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Le complot contre l’Agriculture haïtienne

“L’aide publique au développement est un cancer”, c’est par cette affirmation que Jameson Léopold, expert en Politiques Publiques, introduit sa réflexion, à travers ce texte, sur l’agriculture haïtienne. Il nous peint la situation de la production locale en nous dressant les impacts de la suppression des barrières douanières.

Lisons en toute intégralité son analyse sur ce qui paralyse l’auto-suffisance alimentaire haïtienne⤵️

Le complot contre l’Agriculture haïtienne

L’aide publique au développement est un cancer. Pour y avoir accès, des conditions sont à remplir. Lesquelles consistent en l’application du programme d’ajustement structurel ayant à la baguette le Fonds Monétaire International et la Banque Mondiale. Son vrai objectif est de faciliter la mainmise des pays du nord sur les pays du sud en détruisant leur système commercial, économique, politique, culturel, etc.

Malheureusement, c’est dans ce bourbier que se retrouve Haïti après 1986. Le pays à deux doigts du chaos, l’aide publique au développement s’est présentée comme un sauveur.

Pour la bénéficier totalement, en 1995 Haïti signe un programme avec le FMI. Dès lors, les droits de douane sur le riz chutent de 35% à 3%. Le riz étranger inonde alors le marché haïtien, si bien que ce petit pays atteint la première place dans le classement des importateurs de riz américain (Louis, 2013). Ce qui depuis transforme le pays en un véritable « importateur de riz ».

Suite à la suppression des barrières douanières, le marché haïtien a vu déferler de nombreux produits importés, concurrençant alors fortement la production locale et entraînant une baisse considérable des exportations agricoles. Le cas du riz montre bien cette chute de la production agricole locale.

En 1990, Haïti était presque autosuffisant en riz. Aujourd’hui la production locale s’est effondrée face aux importations de riz étranger à bas prix. Le pays est alors devenu dépendant des importations alimentaires.

Entre 1992 et 2000, les importations de produits alimentaires ont ainsi doublé et les programmes d’aide alimentaire ont fortement augmenté leur distribution ((Ts, 2008). Une fois le pays devenu dépendant du riz étranger, les prix commencèrent à monter, livrant complètement la population haïtienne, surtout les pauvres des villes, aux caprices des prix mondiaux du grain (J.B,Aristide, 2000). Ainsi, l’explosion des importations va tuer la production locale. D’où la perte de « la souveraineté alimentaire » du pays.

En effet, Haïti importe de plus en plus alors qu’il devrait produire beaucoup plus. Ce qui donne une courbe des importations quasiment exponentielle entre 1995 et 2011. Le pays est parti de 600 millions de dollars d’importation et aujourd’hui il est quasiment à plus de 4 milliards d’importation. Il importe pour environ 1 milliard de dollars de produits agricoles et dérivés. Par contre, il n’exporte que pour 60 millions de dollars de produits agricoles et dérivés.

Au début des années 80, Haïti exporte pour près de 250 millions de dollars de café. La production et l’exportation du café haïtien avait atteint alors son pic, pour ensuite entamer sa descente aux enfers en 1986. Et enfin mourir car aujourd’hui, Haïti n’exporte presque plus de café parce que, au contraire des autres pays producteurs, Haïti a décidé de laisser décliner sa production sans chercher à varier et améliorer son produit comme l’ont fait la Jamaïque et la Colombie» (Cyprien, 2016).

Dupont, en 1999, critique ouvertement les donateurs internationaux qui mettent constamment l’accent sur la nécessité suicidaire d’abaisser les tarifs douaniers et d’accroitre les importations agricoles destinées à nourrir une population haïtienne en augmentation et pour un pays où les deux tiers environ du budgetnational sont constitués de l’aide internationale.

En adoptant une telle politique, on n’a fait que déréglementer l’économie haïtienne et appauvrir les couches paysannes. Ce qui conduit cette catégorie tout droit à l’insécurité alimentaire, vu que les paysans sont obligés d’abandonner la terre des zones rurales par faute de moyens pour migrer dans les zones urbaines en quête d’une vie meilleure – qu’ils ne trouveront jamais.

En termes de chiffres, le coût global des barrières douanières érigées par les pays riches à l’encontre des pays pauvres s’élève à 100 milliards de dollars par an, soit le double de l’aide qu’ils fournissent. Si les pays pauvres augmentaient leur part d’exportation mondiale de seulement 5 pour cent, cela générerait 350 milliards de dollars, soit sept fois plus que l’aide reçue (Oxfam, 2002). Ce système international de subventions ne fait qu’aggraver les phénomènes de pauvreté (Charnoz, 2007).

Parnel Saint-hilaire montre qu’il existe une relation perverse entre l’insécurité alimentaire et la coopération internationale. En effet, écrit l’auteur, l’aveu de l’ancien président américain Bill Clinton frape aux yeux et dit tout haut ce que disaient tout bas certaines personnes avisées des gouvernements haïtiens qui se sont succédé.

Le 10 mars 2010, alors Représentant spécial des Nations unies, se présentant devant la Commission des relations étrangères du Sénat, Clinton avait dit ceci : « Depuis 1981, nous avons pensé que des pays riches qui produisent beaucoup de produits alimentaires devraient les vendre aux pays pauvres et les soulager du fardeau de produire eux-mêmes. Ainsi, ils pourraient sauter dans l’ère industrielle; cela n’a pas marché…Cela a été une erreur. Une erreur à laquelle j’ai participé. Je dois vivre chaque jour avec à l’esprit les conséquences de la perte de capacité de produire du riz à Haïti pour nourrir ces gens; à cause de ce que j’ai fait et de personne d’autre ». Il a fini son allocution, mentionne l’auteur, en disant qu’il faut maintenant appuyer l’autosuffisance alimentaire. Autrement dit, il est plus que jamais urgent de se serrer la ceinture et d’arrêter cette importation ou de recevoir des dons alimentaires qui ne cessent de tuer la production agricole nationale.

Ce discours de regret et d’aveu de Bill Clinton, après avoir mis à genoux Haïti, illustre la dimension criminelle de l’aide publique au développement dans le secteur agricole haïtien. Une aide qui n’a fait que détruire l’agriculture haïtienne. C’est le cancer le plus destructeur dont souffre le secteur agricole haïtien. De ce fait, aucun pays aspirant au progrès ne devrait s’engager sur la route de l’aide, parce que accepter de la bénéficier c’est hypothéquer l’avenir des générations futures.

Jameson LEOPOLD
Expert en Politiques publiques

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