Développement

Haïti est l’évidence de la défaillance excessive

Jameson Léopold, expert en politiques publiques, nous présente une nouvelle réflexion qui est basée sur la défaillance excessive d’Haïti… tout au cours de son exercice intellectuel, il nous trace l’histoire d’Haïti, des faits saillants manquant les principales raisons de la défaillance excessive d’Haïti.

Haïti est l’évidence de la défaillance excessive. Le fait de lancer au temps du COVID-19 des initiatives par-ci par-là pour pouvoir collecter quelques billets au profit des hôpitaux en panne de ressources humaines et matérielles ne traduisent pas notre humanisme mais plutôt la triste preuve que « nou pa kanpe sou anyen ». Indigné de cette triste situation, voilà pourquoi je m’applique à découvrir les causes de nos malheurs.

Depuis 60 ans nous sommes au fond du gouffre ; en mode grossesse chaotique. Jamais des politiciens haïtiens n’avaient été aussi avares ; jamais autant de médiocres n’avaient dirigé ce pays ; jamais autant de bandits n’avaient assiégé ce pays ; jamais la presse n’avait été aussi décriée ; jamais le pays n’avait été aussi pauvre ; jamais des pouvoirs n’avaient autant détourné démagogiquement les principes démocratiques.

Pour faire preuve de pragmatisme, permettez-moi de jeter un œil dans la loupe de la corruption. Selon diverses études accumulées, de Duvalier père à Moïse plus de vingt (20) milliards de dollars ont été dilapidés (Duhaime, 2002 ; Denis, 2005 ; Salignon, 2011 ; SR, 2017 ). Si vous avez des doutes sur ces chiffres, prenez votre voiture et faites un petit tour dans le pays, ne soyez pas étonnés si les imposantes constructions appartiennent à des politiciens alors qu’avant la politique ils avaient du mal à bien manger même une fois par jour.

Mais attendez à ce que les partisans de ces régimes crient au scandale. Jamais ils ne reconnaîtront leurs fautes. Vous savez, disait Lénine (1920) : « L’attitude d’un parti politique envers ses fautes est un des critériums les plus importants et les plus sûrs de son sérieux, de son aptitude à s’acquitter de ses devoirs envers sa classe. Reconnaître ouvertement une faute, en découvrir les causes, analyser la situation qui l’a provoquée, examiner attentivement les moyens de la réparer, c’est là l’indice d’un parti sérieux ».

Comment la médiocrité a-t-elle pu faire bouger les remparts de l’intelligence ? Peindre la période d’avant 1957 et celle d’après permet de parvenir à l’aube des causes. Dans les années 1940, l’Elite intellectuelle haïtienne, par son érudition, était considérée comme plus cultivée que celle québécoise (Gingras, 1941). Si bien vrai que les Haïtiens qui s’installèrent au Canada dans les années 1940 contribuèrent grandement au développement économique et social de ce pays. Outre cela, les intellectuels haïtiens ayant fui la dictature de François Duvalier ont combattu l’analphabétisme de masse en Afrique. Dumarsais Estimé, considéré comme le dernier grand président qu’a connu ce pays, fait partie de la génération d’avant 1957. Sa gouvernance est la seule période florissante qu’a connu Haïti au vingtième et vingt-et-unième siècle.

De 1957 à aujourd’hui, n’ayant pas compris qu’aucun médiocre ne peut apporter une réponse lumineuse à un problème politique ténébreux, nous avons passé notre temps à leur confier le règne du pouvoir. Ces idiots professionnels dès qu’on aborde leurs faiblesses morales et intellectuelles s’empressent de crier à la calomnie.

Conséquences : Haïti, cet espace d’incertitudes, s’est perdue au bout de la dérive, de la médiocrité, de l’injustice et de la corruption. Disait William Shakespeare (1597) : « Quand le soin d’une maison est confié aux mains d’un ou deux hommes, et que ces mains ne sont même pas lavées, c’est une sale chose ». J’avoue m’être constitué le juge de la société. Ivan Tourgueniev (1862) comprendra que quand dans un pays le système judiciaire n’assume pas ses responsabilités, n’importe quel citoyen peut s’ériger en donneur de leçons.

Nous sommes au temps de l’absolue dégénérescence. Le véritable responsable n’est autre que François Duvalier. C’est lui qui n’avait pas compris que : « l’homme est la première richesse d’une nation » et qu’aucun pays ne peut aspirer au développement sans les ressources humaines qualifiées. Nous ne faisons que payer le coût des déblosailles politiques, économiques et sociales de Duvalier. Car déjà sur Duvalier 80 % des professionnels haïtiens évoluaient à l’étranger, l’Organisation des Etats Américains comptait dans ses rangs plus d’économistes haïtiens que l’Etat haïtien, à New York et Montréal il y avait plus de médecins haïtiens qu’en Haïti. Il fut le véritable instigateur de la chasse aux cerveaux.

Relatif aux bandits, chaque pouvoir s’est assuré de créer sa milice servant de soutien populaire à son régime. C’est d’abord les Duvalier qui, dans leur folie de garder le pouvoir à vie, ont ouvert le bal en instaurant le règne des « Tontons macoutes », estimés à plus de 9000 au beau milieu des années 80 (Amnesty international, 2011). Ensuite les Lavalassiens, s’efforçant de construire une mémoire populaire, font tomber sur notre tête les « Rat pakaka » ou les « Chimères ».Les PHTkistes, n’ayant aucune assise populaire, nous balancent en plein visage les « Bandit légal ».

Ce phénomène des milices est profondément enraciné dans l’Histoire Russe et soviétique (Skinner, 1994). En Europe de l’Est, ce sont des groupes composés de volontaires entrainés et organisés de façon militaire, agissant en tant qu’auxiliaires de la police ou de l’armée (Laruelle, 2019). Donc ces milices agissent en tant que forces de maintien de l’ordre. Les Cosaques furent
les premières milices russes dans les années 1580 (Gogol, 1835). En Haïti, étant donné que les politiciens sont dépourvus de toute intelligence, leurs milices encharognées de pourritures ne servent ou n’ont servi qu’à défier les forces de l’ordre, à semer la pagaille et à piller les communautés.

Quant à la presse haïtienne, avant 1957 on pouvait la comparer avec les meilleures presses des pays francophones. Si l‘on tient compte des propos de l’abbé Gingras (1941) et de l’écrivain Gerald Leblanc (1993), considérer la presse haïtienne des années 1940 comme supérieure à la presse québécoise de l’époque ne serait pas trop dire. Ils maitrisaient mieux la langue française que les Québécois, quoique parler une langue n’a rien à voir avec l’intelligence pour répéter mon feu professeur-doyen Pierre Vernet de la Faculté de Linguistique Appliquée. Ils étaient d’une honnêteté et d’un professionnalisme sans faille.

Quelle est la réalité de la presse aujourd’hui ? Dévorée de la folie de richesses, le pain dans la bouche muette cette presse s’expertise dans la campagne d’obscurcissement de ce qui se passe réellement en Haïti pour protéger des pouvoirs pataugeant dans la graisse de la médiocrité. Les journalistes, ce sont pour la plupart des gens peu formés, pressés par la nécessité, qui passent leur temps à rançonner les gouvernements rien que pour jeter la confusion dans l’esprit du peuple déjà ignorant. Heureusement quelques médias laissent filtrer quelques rais de lumière.

Relative à la pauvreté, à la fin du 19ème siècle et début 20ème siècle, alors que le concept d’aide internationale n’existait même pas, Haïti pouvait se comparer sans désavantage à n’importe quel petit pays de la Caraïbe et de l’Amérique Latine. Après 1950, malgré le flux d’aide étrangère, Haïti dégringole à la dernière place au classement des revenus per capita parmi les pays d’Amérique. Elle a gardé cette place depuis, et l’écart s’est agrandi entre elle et les autres pays. C’est donc, argue Cepalc (2005), sur une toile de fond faite de rachitisme économique et de retards importants au niveau de tous les indicateurs socio-économiques, qu’Haïti a abordé un cycle long de stagnation et de difficultés énormes à partir de 1981. Déjà en 1970 la Banque Mondiale (1998) estimait bassement le taux de pauvreté absolue à 74 %.

Le Cepalc (2005) explique que cette pauvreté est due à l’instabilité politique qui a eu des conséquences néfastes sur l’investissement privé ainsi que l’exécution des programmes publics de développement ; l’instabilité économique, caractérisée par un changement notable de politiques économiques en 1986 et 1987 renforcé en 1996/97, politiques qui ont consisté pour l’essentiel à aménager l’ouverture très large de l’économie au commerce international et secondairement à libéraliser le marché financier. Ces changements, introduits dans le cadre de deux programmes d’ajustement structurel très partiellement appliqués, n’ont pas donné les résultats escomptés notamment en matière d’accroissement du volume et du poids relatif des
exportations dans ce petit pays surpeuplé . La réforme de la fonction publique et des entreprises publiques est restée dans un premier temps très partielle. Après 1999, les ressources financières et humaines du secteur public se sont même amenuisées par rapport à leur niveau des vingt années antérieures.

En ce qui a trait à la démocratie en Haïti, jamais les principes démocratiques n’avaient été autant violés. Avant 1950 il existait une myriade de journaux dans le pays ; de l’eau propre coulait dans le robinet de la population ; le taux d’analphabétisme était certes plus élevé mais le niveau d’éducation faisait la différence ; une partie importante de la population avait accès à la santé et la
médecine traditionnelle assurait la santé de ceux n’y ayant pas accès ; Haïti était autosuffisante en alimentation ; l’Elite intellectuelle n’avait pas encore migrée ; les cadres de l’administration publique étaient très bien formés ; la corruption n’avait pas encore atteint son pic dans les différents pouvoirs (exécutif, législatif, judiciaire) et institutions publiques.

Après 1950, et au temps du Covid-19, Haïti dispose d’un journal pour informer environ 12 millions d’habitants ; de 1986 à nos jours un seul président (Jean Bertrand Aristide) a été élu démocratiquement ; depuis toujours ce peuple est privé du droit élémentaire d’apprendre à lire et à écrire dans sa langue ; 3 Haïtiens sur 10 sont analphabètes ; parmi les 3 millions d’habitants de Port-au-Prince, seulement 5% n’utilisent pas de l’eau de puits mélangée avec des eaux usées des latrines ; 2 hôpitaux (Mirebalais, Mevs) en pleine activité pour environ 12 millions d’habitants ; jusqu’à 75 % de la population est privée des soins de santé appropriés ; moins de 70 dentistes en fonction pour environ 12 millions d’habitants ; 70 % des produits consommés en Haïti sont importés ; 80 % des diplômés haïtiens vivent à l’étranger ; sur plus de 81 000 employés formant la fonction publique, moins de 5 % disposent d’une licence ; Haïti demeure l’un des pays à recevoir une aide publique au développement par capita et en pourcentage de son PIB parmi les plus importants au monde, pourtant c’est l’un des pays les plus pauvres au monde, l’un des plus
corrompus au monde ; le système judiciaire haïtien l’un des plus corrompus au monde ; Haïti le pays ayant plus de bandits légaux par mètre carré.

Nous sommes de ce pays en grossesse chaotique où l’utopie nouvelle est difficile à naître dans l’atelier des mutations (Frankétienne, 2007).Comment apporter une réponse pouvant supplanter nos problèmes en étendue et en intensité ? Il nous faut préconiser une démocratie (de la majorité) combinée avec nos traditions ; le pays doit orienter, canaliser l’aide extérieure vers les secteurs nécessiteux, en attendant l’exploitation des ressources minières ; l’agriculture doit être prise pour base ; le créole doit être la langue d’apprentissage ; les ouvriers doivent être transformés en intellectuels et intégrés aux masses ouvrières ; le pays doit épouser la science et la technique comme facteur dirigeant ; faire de l’homme qualifié le facteur dominant.

Ces quelques recettes-slogan peuvent, je crois, nous permettre de transformer Haïti dans une période courte en une puissance dans la Caraïbe.

Jameson LEOPOLD
Expert en Politiques Publiques

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