Éducation

La covid-19, l’élément déclencheur d’un nouveau système éducatif haïtien

“À l’ombre du mal se cache le bien ; il faut savoir l’extraire”. Dans un langage plus clair on aurait pu dire : “derrière chaque crise se trouve une opportunité”. Ceci dit, dans cette période de crise sanitaire mondiale, toutes les institutions qui requiert les contacts physiques sont obligées de fermer leurs portes ; règles auxquelles les écoles et universités ne sont pas exemptes, quelle leçon peut-on donc en tirer ?

Après la fin de ce fléau mondial, les institutions scolaires et universitaires dépendront-elles toujours de manière stricte aux interactions physiques entre enseignants et élèves ? Quelle serait la place de l’enseignement virtuel (à distance) après la fin de la pandémie du nouveau coronavirus ? Le système éducatif haïtien était d’ailleurs toujours au coeur des débats publics depuis avant même la COVID-19, vue qu’il a été depuis des décennies le bastion de toutes les critiques. L’État haïtien, en particulier les cadres du MENFP, ne devraient-ils pas profiter de la période post-pandémique pour résoudre à tout prix les grands maux du système ? C’est dans ce contexte que, Antoine PIERRE, éducateur de son état, profite de l’occasion pour rappeler aux autorités éducatives du pays, la nécessité de repenser le système éducatif haïtien après le passage de la COVID-19.

La covid-19, l'élément déclencheur d'un nouveau système éducatif haïtien
École nationale de Barank, située à la première section communale de Malagette (Thomassique)/2017.

L’une des missions de l’école c’est d’offrir un service de qualité à la population estudiantine qui est sous sa tutelle, quelque soit sa race, son niveau économique, son milieu social tout en se basant sur les finalités de l’éducation haïtienne qui, “s’inspirant d’une philosophie humaniste et pragmatique, se veut nationale et affirme l’identité de l’homme haïtien. Elle doit favoriser l’épanouissement de la personne dans toutes ses dimensions, physiques et sportives, affectives, intellectuelles, artistiques et morale et former des citoyens responsables, agents de développement politique, économique, social et culturel du pays” (Cf. Programme opérationnel d’éducation à la citoyenneté).

D’une façon plus concrète, les produits du système ne reflètent pas effectivement les finalités de l’éducation haïtienne. Une certitude non exprimée, car nous produisons des délinquants, des ratés, des hommes et des femmes dépourvus de sens, d’amour, de conscience et de tolérance, des citoyens prétentieux avec un complexe élevé. Des citoyens qui ne savent même pas qui voter pour représenter la nation, puisqu’à l’école nous commençons déjà à voter le plus tapageur, le plus barbare et stupide pour représenter les comités des classes et celui de l’école au détriment du plus intelligent, de celui qui est le plus discipliné comme a été le cas de Martelly en face de madame Manigat.

Beaucoup d’efforts ont été consentis en dépensant beaucoup d’argent et de temps dans le but de réformer le système en passant par beaucoup de réformes. Depuis les années 1980 une réforme est engagée dans le système par le ministre Joseph C. Bernard (20 avril 1979 – 12 juillet 1982) “La réforme de Bernard”. Le “Plan national d’éducation et de formation (PNEF)” a fait son apparition à la fin des années 1990. Le “Plan opérationnel 2010 -2015 (PO)” est une autre tentative, des mesures ont été prises aussi et autres. On constate clairement que la plupart des réformes en éducation produisent peu d’effets positifs sur l’enseignement et l’apprentissage des élèves.

En outre, l’instance régulatrice de l’éducation en l’occurrence le Ministère de l’Éducation Nationale et de la Formation Professionnelle (MENFP) a failli à sa mission ou n’est pas à son pied d’escale d’offrir à la société haïtienne une école efficace et efficiente que celle d’aujourd’hui qui ne reflète pas l’image d’une éducation de qualité.

Au cours de l’année académique 2018-2019, l’école haïtienne a connu des moments difficiles par le biais d’une grande instabilité politique et aujourd’hui, la COVID-19 fait son plein et pourrait être un élément déclencheur d’un nouveau système éducatif et d’offrir au MENFP la possibilité de repenser le système en tenant compte de la réalité haïtienne. Selon les lois de la République, l’État est garant de l’éducation se trouve que dans les écrits. Selon Fausner (2015), le secteur privé occupe 88% du milieu scolaire contre 12% pour le secteur public. Même avec ce chiffre, l’inégalité fait son plein tant du côté public et privé surtout avec le concordat de mars 1860 qui selon moi mérite une grande réflexion autour de lui et d’être au centre des débats.

Ainsi, avec la COVID-19, c’est peut être le moment opportun de redéfinir des objectifs bien précis et réalistes a l’image de la société haïtienne en tenant compte de ces objectifs :

1) Il faut réviser la langue d’enseignement, le premier. La voie la plus facile de détruire une nation c’est d’atteindre son système éducatif. Aucun apprentissage serait efficace que si cela se fait dans la langue maternelle. C’est le moment pour le MENFP de dynamiser ce problème de langue dans le système de concert avec Akademi Kreyòl Ayisyen (AKA) de travailler sur une réforme de la langue créole, de travailler autour des dictionnaires scientifiques de la langue créole et de préparer ensemble les programmes, les modules, des livres, des documents et tout autre outil permettant le perfectionnement de l’apprentissage en créole et que celle-ci soit la langue d’enseignement, comme disait le sénateur Gracia Delva: “timoun yo ap panse an kreyòl, y’ap ekri an fransè” ;

2) Un personnel d’éducation compétent et qualifié, dès la plus haute instance jusqu’au bas de l’échelon quelque soit la nature du poste: directeurs départementaux, superviseurs, les enseignants et autres, qu’ils soient à la hauteur de leurs tâches ;

3) Un contrôle plus sévère des écoles ;

4) De repenser le système d’accréditation des écoles ;

5) De mener une politique inclusive (accessible à tous) ;

6) Un bacc unique ;

7) De tenir compte des réalités éducatives du 21 ème siècle ;

8) Formation continue des maîtres et directeurs et d’insister sur le processus de promotion des acteurs compétents dans le système ;

9) De créer un bureau spécialisé au recrutement des enseignants, ce qui ne donnera pas la possibilité à quiconque de nommer n’importe qui dans le système, la nomination de quiconque devra passer exclusivement par ce bureau après analyse des dossiers de ce dernier ;

10) L’éducation fondamentale soit totalement sous la responsabilité de l’État avec beaucoup plus de perspective concrète car nous constatons qu’avec certaines décisions l’État prépare la plus grande catastrophe éducative du dit système avec le passage automatique des trois premières classes fondamentales en éliminant le CEP le pire est à venir ;

11) De restructurer les curricula, les programmes détaillés de l’école fondamentale qui date depuis 1989. Ces derniers doivent décrire la réalité telle qu’elle est au 21 ème siècle en tenant compte des NTIC et des TICE et de l’approche par compétences ;

12) De créer un portail informatique pouvant établir un lien plus rapide entre le ministère, les villes provinciales et les écoles accréditées par le ministère ce qui facilitera une communication parfaite ;

13) De créer une unité pédagogique qui travaillera de concert avec les directions d’écoles qui contrôlera le travail des professeurs et élèves.

Or, nous croyons fermement que le moment propice est venu de repenser, de redéfinir les choses en impliquant tous les acteurs de la société : l’État, les universités publiques et privées qui soient dotées d’une branche en éducation, les syndicats des parents et des enseignants, des associations, des travailleurs sociaux et autres dans le but de toucher le problème du système sur le plan macro pour qu’à la reprise des activités éducatives on recommence à nouveau mais sur une base solide, efficace et efficiente.

En guise de conclusion. “Les meilleurs systèmes scolaires remplissent trois critères :

1) Ils incitent les personnes les plus compétents à devenir enseignants ;

2) Ils leurs fournissent une formation de qualité ;

3) Ils s’assurent que le système est conçu pour offrir à chaque élève le meilleur enseignement possible. (Cf. McKinsey & Company 2007, p. 1)

Il est certain qu’autant de fois qu’un système ne se repose sur ces trois critères, comme souvent en Haïti le secteur le plus affecté en manque de ressources c’est le système éducatif car nos valeureuses ressources intellectuelles se trouvent à l’extérieur du pays puisqu’ici on ne donne aucun encadrement aux enseignants comme déjà mon inquiétude pour après la COVID-19 est grande concernant une perte énorme d’enseignant de grande envergure soit qu’ils soient infectés ou après ils laissent le pays.

Aujourd’hui nous devons saisir cette opportunité qui n’est autre que ce moment pour déclencher avec une réforme inclusive en tenant compte de la langue maternelle et de la réalité haïtienne d’ici 2020-2021.

Antoine PIERRE
Éducateur

[email protected]

Adblock Detected

Please consider supporting us by disabling your ad blocker