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7 février 2021: Par le droit, au-delà du droit, par Me Blair Chéry

1.- La date du 7 février 2021 est dans l’air du temps et se trouve depuis quelques semaines au centre des débats politiques en Haïti. Dans les médias, elle fait l’objet de plusieurs prises de position et d’articles relatifs au mandat présidentiel en cours. La conjuguer avec la problématique du mandat impose une mise en perspective avec la constitution et la législation électorale voire même d’aller au-delà du droit. En effet, structurant le rythme de la vie politique, économique et sociale d’un État, la notion de mandat oblige à adopter une démarche interdisciplinaire. Le Lexique des termes juridiques (Dalloz 2012) le définit comme une « mission que les citoyens (mandants) confient à certains d’entre eux (mandataires) d’exercer le pouvoir en leur nom et pour leur compte » pour une durée limitée.

2.- La durée limitée des fonctions électives renvoie à l’idée selon laquelle aucun individu, ni aucune organisation de quelque nature que ce soit, ne peut s’approprier de manière définitive et de façon exclusive le pouvoir politique. À l’instar de la doctrine(1) et les théories politiques (2), la constitution haïtienne(3) fait de la limitation du mandat un principe. Non seulement, il est limité dans le temps et ne peut être prolongé (4) une fois arrivée à son terme. C’est le cas pour le président qui après cinq années passé au pouvoir doit céder sa place au nouveau président élu lors des élections organisées le dernier dimanche d’octobre de la cinquième de son mandat. Ça n’a pas été les cas en 2016. En effet, à cause des problèmes d’irrégularités enregistrées dans les élections de 2015, le processus n’avait pas abouti et aucun président ne pouvait remplacer celui qui partait le 7 février 2016.

3.- Pour faire face à cette situation, un accord signé le 6 février prévoyait l’élection d’un président provisoire, un nouveau Conseil Électoral Provisoire (CEP), une commission d’évaluation du dernier scrutin et d’autres mesures pour la poursuite du processus électoral. Ces mesures dont la constitutionnalité et la légalité peuvent être mises en cause, avaient été prises pour assurer la continuité de l’Etat et le fonctionnement des pouvoirs publics. Quand les autorités dérogent à des règles de droit pour prendre des mesures que les circonstances imposent, cela renvoie à la théorie des circonstances exceptionnelles. « Véritable doctrine des pouvoirs de crise» (5), cette théorie permet, en effet, « d’adapter les règles de droit aux circonstances du moment afin que des décisions nécessaires à la sauvegarde de l’intérêt public puissent être prises » (6). Dans cet article, elle sera utilisée comme cadre d’analyse de cette situation qui à l’évidence entretient des rapports avec le mandat présidentiel en cours, car c’est dans ces conditions que les élections ont été organisées en novembre 2016.

4.- Dans les autres systèmes juridiques, en France en particulier, « l’analyse de la jurisprudence montre que c’est la théorie des circonstances exceptionnelles qui a été, si ce n’est utilisée directement, au moins invoquée lorsque des événements hors normes ont perturbé l’organisation d’élections »(7). Ce genre de cas est prévu par la constitution haïtienne en son article 134 -2§2 « au cas où le scrutin ne peut avoir lieu… ». Ainsi, l’existence des circonstances exceptionnelles pourrait avoir des conséquences sur la date d’entrer en fonction du président. Au regard de la situation actuelle, se posent clairement des questions sur la date de la fin du mandat présidentiel en cours.

5.- Dans les débats relatifs à la fin du mandat président, « on néglige trop souvent l’étude des finalités du droit» (8) pour se cantonner dans les dispositions des textes de lois. La logique juridique sera mise en perspective avec d’autres disciplines. C’est une manière d’aborder le sujet différemment. En effet, « le droit ne se limite pas à une accumulation des règles de droit positif. Il faut en saisir la raison d’être, les finalités, les choix essentiels, les principes fondamentaux, les méthodes, pour en comprendre le sens, savoir l’interpréter et pouvoir l’appliquer» (9). Pour des raisons de fond et tenant compte de l’aspect politique de la question, la méthode téléologique est privilégiée ici. En s’appuyant sur la présente introduction, on retiendra quatre aspects pour décrire notre raisonnement.

I.- Le temps cyclique du mandat présidentiel
6.- Dans le système politique haïtien, dont l’élection constitue le mode d’accession au pouvoir, le mandat des élus est limité dans le temps. À chaque fonction élective, est assimilée une durée de temps dans la constitution. Le mandat présidentiel tel que stipule l’article 134-1 est de cinq ans. Dans ce sens, la notion de durée est de chiffrer, de nombrer et de fixer le temps du mandat. À l’échéance de chaque quinquennat, une nouvelle période de cinq ans commence. Par là, la constitution dégage une conception cyclique du temps, avec une répétition des mêmes événements au bout de cinq ans. En temps normal, chaque cycle s’achève avec l’élection du nouveau président et la fin du mandat présidentiel en cours.

7.- Dans ce modèle, la durée du mandat présidentiel se fait dans des temps cycliques identiques qui se « succèdent dans le même ordre et dont la série recommence sans fin ». Dans un système politique où le mandat est intégré dans une organisation cyclique du temps, le mandat se renouvelle à intervalles réguliers. En accord avec la constitution, depuis les élections de 1990, le cycle du mandat présidentiel est ainsi structuré (1991-1996/ 1996-2001/2001-2006/2006-2011/2011-2016/
2016-2021). C’est un temps qui se renaît indéfiniment. En conséquence, à la cinquième année de tout mandat présidentiel, de nouvelles élections doivent être organisées, selon l’art 134-2 §1 (const), pour remplacer le président en fonction. Aujourd’hui, cela renvoie concrètement à l’année 2020 pour l’organisation de ces élections et une fin de mandat en 2021.

8.- De part sa nature cyclique, la temporalité du mandat présidentiel est « représentée comme un cercle qui parcourt, toujours identique à lui-même, la ligne théorique du temps »(10). Comme telle, elle est objective et détachée des situations de fait parce que sa durée est fixée par la constitution. En effet, « Dire qu’un mandat politique est à durée fixe signifie que, quelles que soient les circonstances qui ont présidé à son commencement, échéance normale ou élection anticipée, la durée sera toujours celle d’un mandat entier tel qu’elle est fixée par la constitution »(11). De ce fait, le temps constitutionnel ne peut pas être modifié de manière conjoncturelle, mais des circonstances exceptionnelles peuvent avoir des incidences sur la date d’entrée en fonction du président sans mettre en question les dispositions de la constitution (134-2§2) fixant la durée de son mandat à cinq ans.

9.- Le mandat présidentiel ne s’inscrit pas dans un temps linéaire. Un temps qui dans son acception générale donne l’aspect d’une ligne continue, selon le dictionnaire Larousse. Selon cette conception du temps, aucun événement ne peut arriver plus d’une fois identiquement. Aucun recommencement n’est possible. Tout s’ajoute, s’accumule, nourrit le présent et féconde le futur. Or, le mandat du président se renouvelle tous les cinq ans quelles que soient les circonstances qui pourraient différer son commencement. « L’une des spécificités du temps linéaire est son orientation vers l’avenir »(12) en privilégiant une logique de continuité. Le temps linéaire, c’est celui de l’enchaînement des événements. Un temps rythmé par les événements politiques et qui se définit en fonction des événements.

10.- La conception linéaire du temps est contraire aux articles 134-2 §2 (début du mandat) et 149 (fin du mandat) de la constitution qui ne tiennent pas compte des aléas politiques ou événements qui pourraient affecter la durée effective du mandat présidentiel. Dans les deux cas, le temps du mandat présidentiel est stable et se situe dans une fourchette de temps. La circularité du temps bannit toute approche quantitative de ce mandat. En effet, son effectivité peut ne pas étaler sur cinq années civiles. Ainsi, dans la logique des articles précités, la durée du mandat est variable dans le sens d’une restriction du temps effectif parce que le président peut, en raison des circonstances exceptionnelles, entrer en fonction à une date autre que le 7 février, mais sans sortir dans le temps cyclique qui caractérise son mandat.

II.- Les circonstances exceptionnelles, une constitutionnalité d’exception
11.- En Haïti durant ces dernières décennies, il est de coutume que des circonstances exceptionnelles contrarient le passage de témoin entre un président en fin de mandat et un président élu. Ces circonstances sont souvent matérialisées par des catastrophes naturelles, des crises politiques rendant possible la non-tenue des élections à la date prévue par la constitution. L’article 134-2§2 a inauguré une nouvelle perspective dans la manière d’aborder la question. Cet article est écartelé entre règle et exception. La première, c’est l’organisation des élections à la cinquième année du mandat présidentiel pour une entrée fonction affective du président élu le 7 février. La seconde, en rapport avec la situation actuelle, c’est le cas où le scrutin n’a pas eu lieu dans le temps constitutionnel.

12.- Selon l’article 134-2§2 « au cas où le scrutin ne peut avoir lieu… »,. Cette partie de la phrase évoque l’idée d’une anomalie. La constitution admet implicitement que des circonstances pouvaient justifier le report de la date de l’élection présidentielle. Ainsi, la théorie des circonstances exceptionnelles liée à la situation de crise politique qu’a connu le pays après les élections de 2015 permet de déroger à l’article 134-1 de la constitution pour ne priver les citoyens haïtiens de l’un de leurs droits fondamentaux, participer dans des élections libres et démocratiques où ses choisis sont respectées. Cette dérogation due aux circonstances exceptionnelles n’entraîne pas une violation de la constitution(13), mais une constitutionnalité d’exception avec des effets sur le mandat présidentiel. Ces effets exprimés dans la suite de l’article.

13.- D’abord avec l’adverbe Immédiatement « au cas où le scrutin ne peut avoir lieu avant le 7 février le président entre fonction Immédiatement après la validation du scrutin « . Immédiatement, terme non juridique, se définit comme sans délai ou le moment même. Cet adverbe évoque l’urgence, l’emergency, c’est-à-dire la nécessité de faire quelque chose. Dans sa définition fonctionnelle, immédiatement rappelle une situation de crise ou d’anomalie. Son emploi est destiné à résoudre un problème de manière imminente. Cet adverbe renvoie à un temps ouvert, non défini et non arithmétisé par la constitution. Dans son articulation avec la date du 7 février, il modifie la date de l’organisation du scrutin qui peut avoir lieu à une date autre que celle prévue par la constitution. En cas de circonstances exceptionnelles où les élections ne pouvaient pas lieu le dernier dimanche d’octobre de la cinquième année du mandat présidentiel, le président élu doit entrer immédiatement en fonction. Le temps de la crise est noyé dans la partie du temps correspondant à son début de mandat. Cela est confirmé avec « censé » dans la suite de l’article 134-2§2.

14.- Dans la structure de la phrase, « censé » peut être pris dans le sens de « présumer ». Cela suppose qu’il y a un déjà là, un postulat normatif, c’est-à-dire un principe de base, qui ne peut être mis en discussion. Ce quelque chose est la date du 7 février de l’année de l’élection posée comme point de départ du cycle du mandat présidentiel, et ce quelle que soit la date de prestation de serment du président. Censé est structurant et rétablit le caractère cyclique du mandat. Dans le cas de la théorie des circonstances exceptionnelles, il renvoie à une forme de neutralité temporelle, c’est-à-dire une sorte de flacon transparent. Le report de la date des élections présidentielles n’a aucune incidence sur le temps constitutionnel dans la mesure où le mandat est censé avoir commencé le 7 février l’année de l’élection. Tel est le cas pour le mandat présidentiel en cours qui par voie de conséquence a débuté le 7 février 2016.

15.- Cela rejoint une certaine tradition dans le droit constitutionnel haïtien. En effet, depuis les premières élections en 1990, le temps des pouvoirs non issus d’élections (sept.1991-oct.1994, fév. 2004- mai 2006) est toujours inclus dans le mandat présidentiel. « La coutume est le fait qui précède la règle, un mode de formation du droit par des usages dont la répétition engendre le sentiment de l’obligatoire. Elle permet l’évolution dans le temps de la constitution, donc une adaptation sous forme d’une règle constitutionnelle. La coutume peut ajouter à la constitution écrite en cas de silence » (14). Du fait des circonstances exceptionnelles, le pouvoir inconstitutionnel (fév. 2016- fév. 2017), chargé de poursuite le processus électoral entamé depuis 2015, n’échappe pas à cette règle. C’est la constitution constatée, « constitution coutumière, car elle n’est point exprimée dans un document solennel, mais dans un ensemble de manières de faire dont l’autorité résulte de ce que l’on appelle (opinio necessitatis iurus) sentiments de l’obligation juridique» (15). Le temps de son passage au pouvoir fait partie de la durée du mandat présidentiel en cours qui se termine le 7 février 2021.

III.- Le temps continu du processus électoral
16.- S’il est évident que la constitution fixe la date de l’élection présidentielle (134-2) mais la loi ne dit rien sur celle d’un éventuel report ou l’organisation d’un second tour s’il y a lieu eu regard de l’article 191 (const) cette compétence revient au conseil électoral (CEP). Dans ce domaine, la rigidité de la constitution cède la place à la flexibilité de la règle électorale, mieux apte à s’adapter à la variation du temps du processus électoral qui peut être rallongé pour des motifs impérieux. Ces motifs peuvent être de nature environnementale, politique, sanitaire, etc. tel a été le cas pour les élections de 2016. Le 19 juillet, en vertu du calendrier électoral, le pouvoir exécutif, sur demande du CEP, avait convoqué le peuple haïtien dans ses comices pour le 9 octobre. A cause du cyclone Matthew, le scrutin a été renvoyé pour le 20 novembre de la même année.

17.- Dès le moment que le pays se trouve en face des circonstances exceptionnelles qui pourraient empêcher l’organisation du scrutin dans de bonnes conditions, les élections peuvent être renvoyées à une date ultérieure. Ce renvoi ne signifie pas pour autant la fin du processus électoral, mais tout un bouleversement du calendrier. La preuve l’arrêté du 16 mars 2016 nommant les membres du CEP a clairement indiqué la mission de l’institution « la poursuite du processus électoral entamé au cours de l’année 2015 ». Il était de même pour la Commission Indépendante d’évaluation et de vérification électorale (CIEVE) chargée de « rétablir la confiance des acteurs politiques dans le processus électoral en établissant la sincérité des résultats des élections de 2015 » (arrêté du 18 avril 2016). À l’issue de son travail les membres de ladite avait recommandé la reprise du processus et non son annulation.

18.- Au vu de ces éléments, il y a eu une interruption du processus en raison des motifs liés aux nombreuses irrégularités constatées dans les élections de 2015 notamment celles pour le poste de président. Avec les contestations et les manifestations qui s’ensuivaient, le déroulement du processus électoral s’accompagnait des moments qui nécessitaient une pause dans la poursuite des opérations électorales sans aucun acte d’annulation. L’accord du 6 février 2016 allait dans ce même sens avec les titres V. De la poursuite du processus électoral initié au cours de l’année 2015 et V-1. Relance par le CEP du processus électoral après évaluation des étapes déjà franchies

19.- Cet ensemble d’actions et de dispositions est cohérent. Le droit même appelle à cette cohérence. En effet, comme le souligne J. CHEVALLIER, « le droit se présente comme une totalité cohérente, un ordre unitaire, c’est-à-dire un système de normes solidaires et hiérarchisées, reliées entre elles par des relations logiques et nécessaires ; cette systématicité lui confère clarté, simplicité, certitude »(16). Ces actes avaient une seule finalité, la poursuite du processus électoral initié en 2015. C’est pour se conformer à cet objectif que le CEP avait jugé bon de ne pas inscrire de nouveaux candidats, de ne pas modifier la liste électorale, etc… Des nouvelles mesures ont été prises dans l’organisation du scrutin le 20 novembre 2016.

20.- Dans les périodes de circonstances exceptionnelles, le temps du processus électoral n’est pas délimité par la constitution, mais prolongé jusqu’à la fin du processus dans un délai, doit-on dire, raisonnable. Dans l’esprit de la constitution, une fois lancée, le processus doit aboutir à l’entrée en fonction des élus. Le processus électoral s’inscrit dans un temps continu qui « s’écoule comme une variable continue » reparti entre deux intervalles : son début t(d) (en 2015 par exemple) et sa fin t(f) (la proclamation des résultats des élections du 20 novembre 2016, par exemple). Le fait de l’enchaînement ordonné des décisions prises par le pouvoir exécutif d’alors et le CEP, la crise politique de la fin de 2015 et celle de 2016 représentent un axe de temps marginal t(m). Sa marginalité reste à la périphérie du temps constitutionnel au regard duquel le 7 février 2021 devra être la fin du quinquennat et le début d’un autre à condition que les élections, si elles auront lieu, soient organisées dans la transparence et la sincérité.

IV.- Le principe de sincérité, corollaire de la clarté du choix des électeurs
21.- En temps de crise, « la théorie des circonstances exceptionnelles n’entraîne pas un abandon, même provisoire de la légalité»(17). En effet, il est une obligation pour les pouvoirs de respecter les règles de droit et tous les principes qui y vont avec, notamment en matière électorale. Généralement, « les scrutins politiques sont toujours précédés d’actes ayant pour objet d’en préciser le déroulement et, d’abord, d’en décider l’organisation »(18). Ces actes portent sur le mandat des élus, le registre électoral, les candidatures, les partis politiques, la campagne électorale, les modalités du vote, le contentieux, les sanctions contre les fraudes, etc. En plus de leur conformité à la constitution, ces actes doivent concourir à la sincérité du scrutin.

22.- En temps normal ou comme en période d’exception « la notion de sincérité du scrutin joue un rôle essentiel en ce sens qu’elle permet de s’assurer que le système a bien fonctionné et que le véritable choix conscient des électeurs a bien été pris en compte »(19). Choisir consciemment implique que l’électeur vote en connaissance de cause. En effet, « le principe de sincérité du suffrage suppose que les électeurs soient informés, au moment de leur vote, des caractéristiques des mandats sur lesquels ils se prononcent, notamment leur durée »(20). Autrement dit, la date de la fin des mandats des élus.

23.- L’organisation d’élections pour désigner les représentants du peuple est consacrée par la constitution. Les élections donnent lieu à une compétition entre les candidats. La période électorale, c’est le moment fatidique pour les candidats d’investir l’espace public pour demander aux électeurs de voter pour eux le jour du scrutin. L’une des mesures à prendre par les pouvoirs publics c’est la convocation du peuple en ses comices. En 2016, tels ont été le cas les deux arrêtés du 21 octobre 2016 qui a rapporté celui du 19 juillet 2016. Il n’avait aucun doute que ces élections allaient être organisées dans le cadre de la poursuite du processus électorale entamé en 2015.

  1. De par les actes préparatoires publiés en 2016, les électeurs haïtiens avaient eu des informations sur la durée des mandats des élus qui sortiront de ces élections. L’article 239 de la loi électorale 2015, précisant l’article 134-2§2 de la constitution dispose qu’ « Afin d’harmoniser le temps constitutionnel et le temps électoral, à l’occasion d’élections organisées en dehors du temps constitutionnel, pour quelque raison que ce soit, les mandats des élus arrivent à terme de la manière suivante : a) Le mandat du président de la République prend fin obligatoirement le 7 février de la cinquième année de son mandat quelle que soit la date de son entrée en fonction ». Il était évident pour les électeurs et les partis politiques que le mandat du président qui allait être élu dans ces élections arrivera à terme le 7 février 2021 peu importe la date de sa prestation de serment.

25.- Le principe de sincérité établit des liens avec le principe d’alternance de la démocratie représentative, système adopté par la constitution de 1987. En théorie, l’alternance politique peut se définir comme la possibilité pour les partis, groupements ou courants politiques, différents, de se succéder au pouvoir, par le biais d’élections libres et transparentes. Pour ce faire, l’opposition politique doit connaître les échéances des mandats de manière à se préparer à l’alternance que, par principe, s’inscrit dans l’ADN de la démocratie représentative. Dans ce sens, « Il existe des liens très étroits entre la clarté, la sincérité et l’efficacité de la loi électorale, d’une part, et, d’autre part, la stabilité de nos institutions » (21). Raison pour laquelle le décret électoral et les textes préparatoires des élections de 2016 à la poursuite du processus électoral en vue de combler les postes vacants et de doter le pays des institutions stables.

Conclusion
26.- Le 7 février 2021 se présente comme la date de la fin du mandat présidentiel en cours. Au vu de l’article 134-2§2 de la constitution et précisé en de termes plus clairs par l’article par le 239-a du décret électoral de 2015 pour qui le mandat du président prend obligatoirement fin le 7 février de la cinquième année de son mandat quelle que soit la date de son entrée en fonction. Le quinquennat est censé avoir commencé le 7 février 2016, l’année de l’élection. Toute forme de prolongation est interdite par la constitution. Ainsi, dans la logique du temps constitutionnel, l’année 2020 devrait être l’année de l’élection présidentielle, car le passage de relais est fixé pour le 7 février 2021.

27.- Le temps du mandat des élus politiques haïtiens, comme d’ailleurs celui du président de la République est défini par la constitution et non par la loi. Le décret électoral ne fait que préciser les dispositions de la constitution qui « comme loi mère ne s’applique pas mécaniquement » (22). Située dans le champ du droit constitutionnel, la question du mandat n’est pas seulement juridique mais également politique, philosophique, etc. La raison pour laquelle nous avons fait à d’autres disciplines, la théorie des circonstances exceptionnelles et la méthode téléologique pour arriver à la conclusion que le mandat présidentiel en cours prendra fin le 7 février 2021.

28.- Ces choix nous ont permis d’utiliser le droit comme outil d’analyse et d’aller au-delà du juridique pour rester dans la constitution dans l’analyse des questions liées au 7 février 2021. Cette date constitue bien la fin du mandat en cours au niveau de la présidence du fait du caractère cyclique du mandat présidentiel. Comme un cercle, il se tourne sur lui-même par période cinq ans et reste imperméable aux impondérables de la vie politique. Cela est d’autant plus vrai que même en cas de circonstances exceptionnelles, le mandat du président est réputé commencer le 7 février l’année de l’élection pour qu’il soit toujours dans le temps constitutionnel.

29.- Pour rester dans ce temps, les élections doivent être organisées de manière régulière. Et même en cas de contrariété, le processus électoral doit être lancé dans les meilleures conditions politiques et terminé à l’élection d’un président issu d’un scrutin libre et démocratique. Un scrutin dont sa sincérité, indique clairement la durée de chaque mandat, appelle à l’application des mêmes règles de droit pour les candidats et tous les élus que ce soit pour le président ou les parlementaires. En effet, tout le monde doit partir à la fin de leurs mandats constitutionnels : janvier 2020 pour le 2è tiers du Sénat et la chambre des députés, et le 7 février 2021 pour le Président en fonction. Aucune discrimination ne doit être créée en faveur d’une personne ou d’un groupe de personnes. C’est contraire à l’esprit et à la lettre de la constitution.

30.- Une constitution dont ses contenus ont subi l’action du temps. Par là, elle mérite d’être réformée pour mieux s’adapter à l’évolution du temps. Sous le mandat présidentiel en cours, seule une procédure d’amendement était possible comme il est clairement tracé dans les articles 282 à 284.4 de la constitution. Avec la fin de la 50è législature, Haïti n’est plus dans le temps de l’amendement. Aujourd’hui aucune provision constitutionnelle ou légale ne donne droit à un président de former une assemblée constituante. Se lancer dans une telle démarche, le président sort de la constitution sur laquelle il a prêtée serment et perd toute légitimité pour agir au nom du peuple. En agissant ainsi, ne doit-on pas considérer qu’il est démissionnaire et se retirer du pouvoir avant la fin de son mandat programmée pour le 7 février 2021?

Me Blair CHERY, av
Docteur en droit/ Université Toulouse Capitole
Professeur aux Universités
[email protected]

Notes de référence
1.- CONSTANTINESCO Vlad et PIERRÉ-CAPS Stéphane : Droit constitutionnel. Thémis Droit. PUF 6ème éd.2013/ FAVOREU Louis, Patrick GAIA, GHEVONTIAN Richard, MESTRE Jean-Louis, PFERSMANN Otto, ROUX André et SCOFFONI Georges : Droit constitutionnel. Précis Dalloz 12è éd. 2009.
2.- ROSANVALLON Pierre : La démocratie inachevée. Histoire de la souveraineté du peuple en France. Les temporalités plurielles du politique, éd Gallimard, Collection Folio Histoire, Paris : 2003
3.- Art 134.1 pour le président, art 95 pour les sénateurs, art 92 pour les députés,…
4.- Art 143.3
5.- LONG Marceau, WEIL Prosper, BRAIBANT Guy, DELBOLVE Pierre GENEVOIS Bruno : Les Grands Arrêts de la jurisprudence administrative, Dalloz 22è éditions, Paris : 2019, 1048 p.
6.- La théorie des circonstances exceptionnelles (CE, 28/02/1919, Dames Dol et Laurent)
7.-RAMBAUD Romain: Droit électoral et circonstances exceptionnelles, In «AJDA» no 16 du 04/05/2020, p.824
8.- BERGEL Jean-Louis : Théorie générale du droit, éd. Dalloz, Paris : 2012, p. 25
9.- BERGEL Jean-Louis : Théorie générale du droit, éd. Dalloz, Paris : 2012, p. 22
10.- MARTIN-VALLAS François : De la fin des temps au temps de la fin. Quelques réflexions sur la naissance de la subjectivité ; In « Cahiers jungiens de psychanalyse 2005/3 (n° 115), p. 72
11.- STRICHER Daniel : La durée des mandats politiques, approche institutionnelle et comparative, thèse soutenue le 3 décembre 2015 à l’université de Lorraine, www.univ-lorraine.fr, p394
12.- GUI EKWA Matthieu : Temps cyclique, temps linéaire, In « Aspects sociologiques », Vol. 3, no 1, Mars 1995, Paris, p.6
13.- MONTGOLFIER Jean-François (De) : le respect de règles constitutionnelles en ces de circonstances exceptionnelles. L’urgence et le Conseil constitutionnel In « Les nouveaux Cahiers du Conseil constitutionnel » – n°54 – page 31Date de parution : 01/01/2017
14.-www..http://netcampus.free.fr/droit/constit/2-constit_e-c.php3 consulté le 25/05/2020
15.- BORELLA François : Éléments de droit constitutionnel, éd Les presses SciencesPo, Paris : 2008, p.65
16.- CHEVALLIER Jacques : Vers un droit post-moderne ? Les transformations de la régulation juridique, In « Revue du droit public et de la science politique », LGDJ, Paris : 1998, p. 663
17.- www.lagbd.org/index.php/Circonstance_exceptionnelle_en_droit_administratif_(fr) consulté le 23/06/2020
18.- CASSANOVA Jacques ARRIGHI (de) : Le juge des actes préparatoires à l’élection, In LES NOUVEAUX CAHIERS DU CONSEIL CONSTITUTIONNEL » No 41, Octobre 2013 www.conseil-constitutionnel.fr
19.-Richard Ghevontian : La sincérité su scrutin, « In » Cahier du conseil constitutionnel no 13, janvier 2003, www.conseil-constitutionnel.fr consulté le 24/06/2020
20.www.legifrance.gouv.fr Saisine du Conseil constitutionnel en date du 15 mai 2013.
21.-Thierry RAMBAUD quelques réflexions sur l’instabilité de la règle de droit électoral sous la Vème République, In « RIDAI » n° 2, janvier 2015, p. 25
22.-BLECHÊR Philippe : Un an de politique jurisprudentielle de la cour de cassation en matière QPC, In « Le juge judiciaire et la constitution » (Dir.) Arnaud MARTINON et PETIT Franck, éd. Dalloz, Paris : 2012, p.5

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