Opinion

“Ces hommes en uniforme qui bastonnent les manifestants ne font pas honneur à l’institution policière”, dixit Lyonel Trouillot

Ce texte de l’écrivain et Poète Lyonel Trouillot s’adresse à l’institution policière (Police Nationale d’Haïti), à toute l’équipe dirigeante de l’administration en place et à tous les jeunes du pays, en particulier ceux qui se sont soulevés dans le sit-in du 29 juin dernier, face à la situation macabre du pays pendant ces derniers jours. C’est une preuve de maturité, malgré que des policiers en uniforme avaient arraché leurs banderoles, leur lançaient de gaz lacrymogènes et leur avaient tiré dessus à hauteur d’homme. L’écrivain lance un cri d’alarme

Le texte dans son intégralité⤵️

Ici aussi, les jeunes sont debout. Des jeunes cadres issus des classes moyennes défavorisées, de la petite et de la moyenne bourgeoisie. Des jeunes issus des milieux populaires. Ils sont debout pour dénoncer la corruption, la répression, les massacres d’État perpétrés dans des quartiers populaires, l’impunité.

Le 29 juin 2020, ils étaient quelques-uns à organiser un sit-in. On a donné à des policiers transformés en force de répression politique l’ordre de les attaquer à coups de gaz lacrymogène, de leur aracher leurs banderoles, de leur tirer dessus.

Jovenel Moïse, Joseph Jouthe, Lucmane Delille, Audain Fils Bernadel, Normil Rameau (et tous ceux qui occupent des fonctions de décision), le pays et le monde n’oublieront pas que des individus placés sous vos ordres ont ouvert le feu en direction de jeunes qui n’étaient pas armés et utilisaient une forme légale de protestation contre votre « gestion » des affaires du pays. Vous avez des comptes à nous rendre sur cette furie répressive.

Non seulement les gens meurent de faim, de maladie, de criminalité organisée; non seulement ce pays a perdu toute dignité sur le plan de la représentation internationale; non seulement la richesse des quelques-uns qui profitent de votre gestion est une offense à la misère évidente dont souffre le gros de la population; voilà maintenant que, ouvertement, à onze heures du matin, on utilise gaz et balles réelles contre des jeunes de différents milieux réunis par un rêve de dignité, la volonté d’être utiles et une espérance forte malgré un contexte qui a de quoi décourager les plus vaillants.

Cet acte public, cette soif de sang pour étouffer dans l’œuf un bel élan des jeunes de différents milieux est un crime abject. S’y ajoute la rumeur que telle jeune femme en particulier est recherchée, la rumeur que des listes sont dressées de personnes à réduire au silence, la rumeur que tel décret bidon sur le crime de haute trahison sera bientôt mis en vigueur contre celles et ceux qui osent dénoncer le gouvernement ici et surtout à l’étranger. Alors qu’ont lieu – et là ce ne sont pas des rumeurs – des assassinats auxquels des esprits macabres voudraient trouver une vertu exemplaire. Alors que des partisans du pouvoir commettent toutes sortes d’exactions, dépossèdent des gens de leurs biens.

Messieurs, l’image de ces hommes en uniforme arrachant une banderole des mains d’un petit groupe de jeunes femmes ne fait pas honneur à la police, à l’Etat. Réflexe machiste ou misogyne de la part des agents ? Possible. Il y a encore quelques mâles aussi bêtes qu’arriérés qui n’aiment pas que les femmes se mêlent de la chose publique. Mais même lorsque cela tiendrait de l’initiative personnelle, voilà un pays auquel on a volé son présent et l’on voudrait en plus menacer son avenir dans sa chair.

Le vice de ceux qui sont aveuglés par l’obsession du pouvoir, l’habitude de la cooptation, du marchandage pour corrompre, amadouer, assujettir, est de croire que l’humanité entière obéit à leurs codes et souhaite leur ressembler. Faux. À part quelques sbires et thuriféraires, quelques obsédés de l’argent facile, qui voudrait ressembler à des gens qui n’ont rien accompli ? Quand on n’est rien de plus que le pouvoir que l’on exerce, on est mort symboliquement. L’avenir, on peut seulement le retarder. Mais il se fera. Parce qu’il y a ces jeunes. Leur énergie. Leur conviction. Peut-être, au sein du PHTK et du pouvoir, quelqu’un le sait-il. Et ce que ce quelqu’un a voulu tuer en ordonnant de réprimer l’élan de ces jeunes, c’est l’image de lui qui indigne leurs yeux.

Ceux qui ont ordonné l’action répressive de ce 29 juin 2020 sont des assassins de l’avenir. Rien de plus. Et ceux qui les soutiennent, rien de plus que les complices du crime. Il y a des comptes à rendre.

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