Opinion

Quand les mandants ne sont pas les véritables bénéficiaires du mandat en Haïti, par Jameson Marcelin

Si pour les partisans du pouvoir en place, le mandat présidentiel de Jovenel Moise prendra fin le 7 février 2022, pour une grande partie de la société civile, de grands experts en la matière, sans oublier les membres de l’opposition, la date constitutionnelle est le 7 février 2021. Et, il n’y a pas de débat là-dessus. Toutefois, en rejetant d’un revers de main ces deux positions antagoniques, l’auteur de cet article croit plutôt qu’au lieu de faire toute un scandale sur la fin du mandat du président (bien que nécessaire), on aurait mieux fait de surseoir sur son contenu. Car, dit-il, le contenu de tout mandat, quelle que soit sa nature, est mille fois plus important que sa durée. C’est à ces propos qu’il en a aussi profité pour dire que dans la grande majorité des cas, les mandants haïtiens ne sont jamais les bénéficiaires des mandats en Haïti. Ce problème qui devait être au centre des débats publics.

Lisez l’intégralité du son texte ici.

« chodjè monte sou non timoun li desann sou non granmoun. » le créole haïtien, malgré marginalisé par certains secteurs à travers le pays, est enjolivé par des phrases imagées qui traduisent de manière codifiée notre imaginaire ainsi que d’autres éléments qui pigmentent notre quotidien en tant que peuple. Ces phrases, que l’on appelle généralement proverbes, colonisent nos lèvres a maintes reprises. Cependant, rares sont ceux qui en tirent profit des leçons de morales qu’elles nous prodiguent. Dans le cadre de ce proverbe ci-dessus cité, l’histoire de la « politique haïtienne » nous argue son sens et sa valeur inouïe. Partant du temps de nos premiers dirigeants, jusqu’à celui des dirigeants de nos jours.

En guise d’une explication factuelle ; Granmoun, comme l’évoque le proverbe représente les gens de la « classe politique haïtienne » constituée d’élus, de certains militants, des dirigeants de partis politiques et de bout-nègre. De surcroit, Timoun , sont les gens de la masse populaire vivant en mal de tout. Ceux dont leur situation de vie est le facteur clé du capital social, politique et économique des éléments de cette dite classe. Somme toute, « chodjè » fait référence à la richesse du pays non disponible pour tous ses fils. Ce récipient clos rempli jusqu’à déverser de nourriture, préparée par nos aïeux au nom de tous les haïtiens sans distinction, afin qu’ils puissent manger à leur faim. Ce repas malheureusement n’est distribué qu’à certaines catégories d’haïtiens (les plus haïtiens dirait-on). D’autres n’en respirent que l’odeur fumante, et ce, depuis bien des années. D’où le sens du discours actuel : « chavire chodjè a ».

Les éléments de cette dite classe politique viennent en majeurs parties de la masse populaire, par suite d’une mobilité sociale. Prétextant de se diviser en partis politiques, adhérant à des idéaux dont leurs discours et comportements sont loin d’être cohérents. Omniprésents dans les medias, porteurs de discours de changement, pourtant en réalité ce ne sont que des opportunistes : Membres du pouvoir quand c’est fructueux, et membres de l’opposition quand ça risque de chavirer. Pour justifier leur attitude impudente ils l’appellent : « faire de la politique ». Pour pouvoir expliciter davantage cette énigme, une radiographie de l’actuelle « classe politique » se révèle nécessaire. Débutons avec la dite opposition politique.

« L’opposition politique » actuelle, est (comme bien d’autres avant) formée d’anciens élus, des organisations politiques de bases et des candidats malheureux aux dernières élections de 2016. Malgré sujet de la méfiance aux yeux de la population, cela ne l’empêche guère de garder sa posture critique vis-à-vis du pouvoir en place. Cette dernière met en cause la légitimité du président Jovenel Moise (élu avec 500 000 voix aux dernières élections de 2016) et l’inculpant pour son implication dans des actes de corruption. Pour ce faire, elle ne se lasse jamais, elle peine toujours à trouver de dossiers consistants soit pour requérir à sa démission, soit pour édenter une bonne partie de son mandat. Parmi ces dossiers il y’a « l’affaire petro caribe ».

L’année 2019, marque l’aggravation d’une crise pluridimensionnelle en Haïti. L’affaire Petro caribe en est l’élément déclencheur. En 2006, par le biais d’un programme dénommé : « petro caribe », une sorte d’alliance entre le Venezuela et les pays de la caraïbe. Ce dernier permet aux pays membres (au nombre de 13) de lui acheter du pétrole a des conditions de paiements préférentielles. Ainsi, Haïti en a bénéficiée une somme de 4.2 milliards de dollars US pour la réalisation des infrastructures de base. Malheureusement, cet argent est passé hors de son but ; Il a été dilapidé par la plupart d’anciens et de nouveaux dirigeants. Le constat est tout a fait clair : rien de sérieux n’a été réalisé sinon que des bâtiments inachevés, et des mini-projets connus pour de grosses sommes.

A cet effet, un ensemble de jeunes lancent un mouvement connu sous le nom de « petro challengers » demandant des comptes à l’Etat haïtien concernant les dépenses liées à ce fond. La question populaire était : « kot kob petwokaribe a ?» Une question jusqu’à maintenant restant pendante. La cour supérieure des comptes suite à plusieurs séances de meeting par devant ses locaux, intervient (dans le cadre de sa mission bien entendu), et produit un rapport dont le nom du président Jovenel Moise a été identifié près de 69 fois parmi les dilapidateurs. La publication du rapport par la CSCCA intensifie le mouvement. La jeunesse pancarte en main, animée par une conscience citoyenne marchant contre la corruption au sein de l’Etat, et voulant à tout prix chambarder le système obscène. De différentes manifestations s’étendaient partout à travers le pays, ce qui l’a rendu dysfonctionnel pendant quatre mois. Le pouvoir en place, contesté par tous les secteurs de la vie nationale, n’a pas tiré sa révérence, et a résisté malgré le niveau gravissime des choses : plusieurs personnes sont mortes recevant des balles en pleine tête, la hausse du prix des produits de premières nécessités, des personnes réduites en chômages, plusieurs magasins ont été pillés et incendiés entre autres. Le président après plusieurs adresses à la nation n’a pas pu trouver le bon mot pour calmer la colère populaire.

T-shirt politique est loin d’être immaculé. Ces derniers, par leur caprice et par l’appuie de certains medias allaient changer le mouvement de nature. Ils prendront le dessus, et feront de l’affaire petro caribe leur cheval de guerre seulement contre le pouvoir en place. En conséquence, elle sera affaiblie et passera outre de son but : la démission du président.

Nous sommes en janvier 2020. Jovenel Moise profitant de la caducité du parlement. Ce fait lui octroie un boulevard libre. Ayant l’appuie de l’international, son pouvoir est renforcé. Après plusieurs mois de silence dû à l’incapacité mobilisatrice, la dite opposition politique semble retrouver force. Elle sort enfin de son mutisme, et ce, avec un nouveau dossier : un débat qui concerne la question de la fin du mandat présidentiel indiquée avec ambigüité dans l’article 134-1 de la constitution 1987 amendée. Une situation qui oppose deux camps distincts chacun, constitution en main profitant de cette ambigüité pour défendre leur position : le pouvoir en place et ses alliés soutiennent 7 février 2022, l’opposition politique de son côté soutient 7 fevrier 2021 date qui marquera la fin du mandat du président Jovenel Moise.

Néanmoins, un fait est à remarquer : les deux camps antagoniques ont une position commune qui est le constat commun de la faille qui sévit au niveau de la constitution. Par conséquent, ils optent tous les deux pour une reforme constitutionnelle. Dans le cadre de ce débat, quelle est donc la position des masses populaires ? Où est donc l’intérêt des gens de la majorité dite silencieuse ? A travers l’histoire de la politique haïtienne, ce problème est identifié dans la plupart des constitutions antérieures. Il perdura tant qu’on continuera à produire des constitutions sémantiques. Sortes de constituions élaborées sous l’influence d’un pouvoir en place pour servir à son caprice, en d’autres termes outil de manipulation politique réalisé hors d’un contrat social.

En effet, pour retourner a nos mots et tons, le véritable problème n’est jamais posé. La situation de la vie des mandants n’est jamais à l’ordre du jour. On ne discute que de la durée des mandats et non pas de leur contenu. Aucune volonté politique n’est manifestée par les mandataires en vue de remédier aux problèmes auxquels ces gens font face. Le pouvoir, le mandat viennent d’eux. Toujours au rendez-vous lors des élections, armés de leur carte électorale, attirés par de beaux discours, trahis par les candidats qui prétendaient leur approcher, en grimpant les montagnes, pataugeant les zones reculées pour pouvoir les rencontrer et gagner leur confiance. Ces mandants, vivent au seuil de la pauvreté, privés quasiment de tout ce qui est inhérent a l’existence d’un être humain.

Durant ces dix dernières années, les mandants (catégories confondues ; ceux qui votent par conviction, ceux qu’on monnaye pour voter) sont toujours la proie des bandes armées par les politicards. Des innocents ont été massacrés à Lassaline, Martissant, Shada 2 (au cap haïtien) des citoyens et citoyennes paisibles désertent leurs maisons a cause la gangstérisassions des quartiers populaires. En outre, ils sont toujours les potentielles victimes lors des affrontements entre ces bandes armées : Souvent violés, tués, kidnappés et rançonnés. La justice n’arrive jamais à juger ni à condamner, les coupables voire freiner ces dérives. Car ses yeux sont bandés. Bandés par la toile de l’injustice, par la puissance des politiciens et des richards en Haïti.

Nos frères haïtiens de la masse populaire sont également victimes d’autres phénomènes : Le séisme du 12 janvier a fait des milliers de morts et de sinistrés, le cholera importé par les forces onusiennes en a fait également des milliers. Et les dirigeants n’ont pas su démarcher auprès de l’ONU afin dédommager les principales familles victimes. Jusqu’à maintenant personne ne connait l’itinéraire du fond CIRH. Aucun procès n’est sollicité par les autorités élues et autres. Il faut dire que ça fait exactement une décennie ! Sans oublier les gens incarcérés innocemment, ceux victimes de la brutalité policière quotidiennement dans les quartiers pauvres, ceux qui sont en détention préventive prolongée, ceux qu’on taxe de violents et de sauvages quand ils expriment leur ras-le-bol contre les oppresseurs dans les manifs.

Le pays est en pleine crise sanitaire, le niveau de son insalubrité, son manque d’infrastructure sanitaire entre autres, nous montre en quoi la plupart de nos dirigeants (anciens et nouveaux) sont cyniques. Constatant les travaux réalisés par ceux des autres pays membres du programme petro caribe, avec l’aide de ce fond. Ex (la Rep. dominicaine par d’exemple) Haïti n’est prête à faire face à aucune catastrophe peu importe sa nature. On ne vit que de l’aide international « Diriger c’est prévoir » cette phrase est malheureusement évidée de son sens chez nous. Nos dirigeants ne pensent qu’à la durée de leur mandat. Et parfois prêt à tout compromettre pour rester au pouvoir. Élus sans plan d’avenir, sans vision politique, sans souci de faire mieux, sans aucun sentiment patriotique, sans ambition christophienne. Les maux du pays sont des points inexorables pour prétendre un programme de campagne électorale. Il faut toujours des maux pour trouver de quoi à dire afin d’être élus. Ils ne réalisent que des projets bidon (sponsoriser un championnat de quartier par exemple).

Le pouvoir en place se vante d’avoir fait une bonne gestion de la pandémie du nouveau coronavirus. De son côté, la population reste et demeure sceptique et incrédule face aux informations données par les autorités sur l’évolution de la maladie en Haïti. En parallèle, d’autres crises refont surface : la vie continue à être chère, l’augmentation considérable du prix des produits de premières nécessités, les activités économiques fonctionnent au ralenti, le nombre des personnes sans-emploi s’agrandit, l’inflation bat son plein. Et, le pouvoir ne se contente qu’à profiter de son plein pouvoir, l’opposition et d’autres acteurs politiques continuent alimenter le débat connu depuis plusieurs semaines. Ce qui est grave et attristant, malgré tous ces maux engendrés par la pandémie, aucun plan n’est encore envisagé pour le post-covid19, aucun plan pour la relance de l’économie.

On ne parle que de fin de mandat, d’élections et transition pour partager le butin. Il est tout à fait clair, il ne s’agit pas vraiment d’une question de changement de système comme on le répète souvent, il ne s’agit pas d’intérêt de la population, du pays en général. Il ne s’agit que d’intérêts politiques. En ce sens, qui va dans les urnes si les mandants meurent de faim ? Vont-ils continuer à voter à lorsque ses filles et fils sont carbonisés sous le regard de ceux qu’ils votent sans pouvoir poursuivre les coupables ? Qu’est-ce qui les encourageraient d’aller voter si à l’intérieur de leur propre demeure ils sont insécures ? Comment encourager la participation massive des gens aux élections si les mandataires une fois élus ne font qu’aggraver la situation du pays, en lieu de les solutionner ? En tout cas, il faut dire haut et fort que le mandat n’est rien en dehors de son contenu. Un mandataire n’a pas seulement à jouir des privilèges que lui octroie le pouvoir. Il doit aussi œuvrer afin de répondre aux aspirations et aux besoins des mandants.

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