Opinion

“Le fils du paysan est l’ennemi numéro 1 du paysan”

Si le paysan haïtien se fait duper à tous les coups, est passé pour un ” gwozòtèy” dans l’histoire, c’est parce que tout simplement, préoccupé de l’avenir de son fils, il s’oublia et préféra consacrer la plus grande partie de sa maigre ressource à son éducation plutôt que de la cacher sous la paille. Cette ressource tirée de la terre aurait pu lui permettre d’assurer ses vieux jours, d’achever sa destinée terrestre.

En agissant de la sorte, il croit avoir chanté l’avenir, fait un pari sur demain. Comme on aime dire chez nous : << pitit se byen malere>>. Il croit avoir reçu la promesse sacrée de son fils de ne rien entreprendre contre ses intérêts personnels. Mais heurté aux ambitions de cet enfant, il ne tardera à être frappé par le glaive terrible de la trahison. Lui qui lui a appris à trouver dans la nature les éléments d’une morale de la vie quotidienne. On lui prendra même ce qu’il n’a pas et sera obligé de s’adonner à la mendicité.

Son fils, une fois qu’il ait laissé les coins obscurs des provinces pour poursuivre ses études secondaires, universitaires dans la capitale, jette son costume de ”nèg andeyò” pour enfiler celui de ”nèg kapital”. Quelques jours suffiront pour qu’il oublie jusqu’à le nom de sa bourgade. Grâce à l’aide alimentaire, financière et aux lycées et universités publics créés dans la logique de répandre l’éducation et l’instruction dans les masses afin de préparer une élite intellectuelle indispensable à l’évolution sociale, politique, économique et culturelle de la nation, il décroche une licence en sciences sociales au prix de quels efforts ! de quelles privations de tout plaisir ! Dès son premier emploi, il ne s’identifie plus à la paysannerie et ne songe qu’à changer de nom : de Dieuquidonne Julcius à Peter Williams. Ainsi il croit avoir franchi un palier social.

En effet, ayant pris conscience de son nouveau statut, son appartenance à la paysannerie le dégoute. Sa face se couvre d’un orage de haine et de honte à chaque fois, accompagné de sa femme, il rend visite à son père. Il a déjà oublié la rivière dans laquelle il se baignait, l’eau du vieux puits avec laquelle il avait l’habitude de mouiller sa gorge sèche, le chemin témoin de ses pieds fatigués. La nuit, sa femme et lui dorment dans la voiture par peur de sa maison d’enfance infestée de puces. Pour manifester son sentiment de supériorité (imaginaire), dans les discussions avec ses amis d’enfance, il bégaye des bribes de textes de Bakounine et de Proudhon, c’est sa façon de se dresser au-dessus de tous ; offre l’expression de l’aliéné mental dont parle Karl Marx, ou traduit le bovarysme culturel chez Jean Price-Mars.

Au lieu de s’inscrire dans la logique de Jacques Roumain dans ”Gouverneurs de la rosée (1944)”, c’est-à-dire mettre son retour et ses compétences au service du développement afin de créer des moyens d’existence au profit de sa communauté d’origine, il préfère se cacher hypocritement derrière ” L’énigme du retour (2009) ” de Dany Laferrière pour montrer les difficultés de sa réadaptation à sa terre natale. Au lieu de s’élever à la dimension de Toussaint Louverture (1797) pour qui la reconnaissance est de l’homme sensible et vertueux le plus bel apanage, ou de Jean-Bertrand Aristide pour faire de la reconnaissance la mémoire du cœur, il préfère comme François Duvalier ériger la reconnaissance en une lâcheté. Voilà comment il se révèle d’essence inférieure.

Il part à l’étranger pour des études avancées. Dix ans plus tard revient muni de son passeport : français, canadien…Il n’a qu’un seul souhait : devenir riche. Dès lors il n’y a pas plus dangereux que lui. D’ailleurs il réclame déjà sa part du gâteau au nom de l’esprit, pour cela il est prêt à tout. Pour accomplir son rêve, il se met au service des ambassades occidentales. Son esprit se laisse séduire par n’importe quelle organisation politique, au nom qui dépasse l’entendement humain, tant qu’elle peut lui faciliter l’accès aux caisses de l’Etat. Contaminé par la fièvre de la richesse, étant donné qu’il possède le grand art de la parole, il se fait politicien en épousant un discours farfelu et en se faisant appeler ” défenseur de la paysannerie, des masses ”.

Chose dite chose faite, en un battement de cils il devient riche après avoir brigué un mandat électif, sous l’œil complice du Conseil électoral ; ou après être nommé ministre dans un contexte de complaisance. Nul ne connaîtra le montant de ses comptes en banque dans les paradis fiscaux, ses maisons luxueuses en Amérique du Nord et en Europe. Des prête-noms font de lui l’homme par excellence qui a pillé l’Etat. Son Mercedes-Benz, ses appartements à Pétion-ville ne sont que la pointe de l’iceberg, la partie visible. La plus grande part est sous l’eau, à l’étranger. Pendant que son père endure une cruelle agonie.

Pourquoi s’étonner si c’est le fils du paysan qui trahit le paysan à travers des mauvaises décisions ? Pourquoi être époustouflé si c’est lui qui endort le paysan comme un enfant récalcitrant pour pouvoir s’accaparer de ses terres ? Pourquoi être ébahi si c’est lui qui promeut l’importation au détriment de la production locale ? Pourquoi être sidéré quand on apprend que c’est lui qui facilite à l’Etranger le droit de propriété en Haïti ? Étant donné qu’il faut toujours trouver un bouc émissaire, il accuse les mulâtres d’être responsables de la débâcle haïtienne. La raison fondamentale de sa présence dans les différents mouvements populaires attisant la haine raciale : << Desalinnes pral kay Pétion >>, << Dessalines pa vle wè Blan >>.

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