Sécurité

Entre la prolifération des bandes armées et l’adaptation des habitants dans les quartiers de non-droit en Haïti

La prolifération des bandes armées est une pratique qui s’impose dans la société haïtienne depuis plus de 30 ans, mais sa forme actuelle commence au début de l’année 2000 avec un ou plusieurs représentants de gangs dans chaque zone, dénommée quartier de non-droit. Par conséquent, depuis lors, le pays s’enlise dans une insécurité institutionnalisée. La République d’Haïti s’est dotée à une époque d’un dispositif de sécurité mais malheureusement, quelques années plus tard, elle est devenue l’un des pays les plus armés du continent américain, avec environ 500 000 armes de différents calibres circulant librement, hors de tout contrôle étatique.

Cette triste réalité suscite un ensemble de questions, à commencer par celle-ci : d’où viennent ces armes ? Puisqu’il apparait évident que cette insécurité est institutionnalisée, alors, qui sont ces véritables maitres d’œuvre ?

Nous proposons de répondre à ces questions de manière objective dans l’analyse qui suit.

De nombreuses interrogations persistent au sein de la société haïtienne sur la prolifération des bandes armées, et les principaux fournisseurs d’armes restent inconnus. En période électorale, la majorité des candidats et certains hommes du secteur privé des affaires se rivalisent violemment, ce qui accroit l’impunité dans les quartiers gangstérisés du pays. Certains quartiers renommés pour leur tranquillité deviennent des zones rouges pendant et même après la tenue de ces processus électoraux, car des politiciens véreux et certains membres du secteur privé des affaires distribuent des armes ainsi que des munitions aux déshérités du sort desdites zones, dans le but de remporter les élections. Les autorités en place (président, parlementaires, maires, délégués de ville, etc.) ont généralement eu recours à ces pratiques lors des élections qui les ont amenées au pouvoir. Du coup, elles sont incapables d’apaiser les insécurités qu’elles ont elles-mêmes créées.

Bien que certains chefs de bandes armées fassent des révélations dans les médias, les autorités policières et judiciaires peinent à mener des investigations pour arrêter les maitres d’œuvre de l’insécurité. Ces derniers fournissent des armes et des munitions tout simplement à des fins de stratégie électoraliste et de protection de leurs entreprises. Pour leur part, les juges ont fait le choix de continuer à garder le silence sur ces actes calamiteux qui sont commis au sein de la société haïtienne. Lesquels actes démontrent d’ailleurs une faillite claire de leurs responsabilités.

De son côté, la population, prise dans cette situation, isolée et impuissante face aux hommes lourdement armés qui terrorisent quotidiennement les quartiers, doit s’adapter à ce mode de vie inhumain. Cette adaptation prend plusieurs formes. Parfois, certains habitants, pour avoir une « quiétude d’esprit », payent les chefs de bande armée. Ils préfèrent également faire appel auxdits chefs en lieu et place des autorités formelles de l’État, car les chefs des bandes armées disposent d’une autorité réelle dans leurs zones. De plus, certains d’entre eux ont même l’habitude de recevoir entre les mains desdites bandes armées des provisions alimentaires lorsque ces dernières ont pris en otage des camions sur leur route contenant des marchandises.

Quant à l’institution policière, elle continue de se montrer impuissante. Nombreux sont les chefs de bandes armées qui prennent plaisir à mettre en échec l’exécution des plans de sécurité de la police. D’ailleurs, il y a des policiers qui sont de connivence avec les bandits et qui, du coup, forment un obstacle frontal à la mise en place des dispositifs de sécurité de l’État. Plusieurs enquêtes menées par diverses institutions crédibles de la société en sont venues à cette conclusion, notamment les organisations locales et internationales de défense des droits de la personne ainsi que la Direction Centrale de la Police Judiciaire DCPJ. Cette sombre réalité entraine un dysfonctionnement majeur de l’institution policière.

Aujourd’hui, la situation devient de plus en plus menaçante, du fait que des bandes armées cherchent à se fédérer dans la région métropolitaine. Il faut dire qu’une telle initiative est possible entre autres parce que ces bandes s’appuient sur la réputation de criminels notoires. Une fois que les bandes armées échappent au contrôle de leurs patrons, elles peuvent utiliser un moyen de pression pour les contraindre à discuter. Ces discussions visent à redéfinir le jeu. Parce que l’insécurité est un levier entre les mains de secteurs bien précis de la société haïtienne. À noter que les acteurs faisant partie de ces secteurs n’ont pas toujours des positions homogènes. Un acteur du secteur privé des affaires ou un politicien véreux peut utiliser un chef de bande armée qui est sous son contrôle pour attaquer ou freiner un rival. De ce fait, cette réalité témoigne du fait que l’insécurité est générée par ces segments de la société haïtienne.

Entretemps, au regard de la situation que nous décrivons dans cette analyse, il s’avère important de se poser la question suivante : ces bandes armées, une fois échappées au contrôle de leurs fournisseurs, pourraient-elles un jour contribuer à la libération réelle de la République d’Haïti ?

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