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Homosexualité et classes sociales en Haïti

L’homosexualité est présente dans toutes les sociétés humaines. Elle est une dynamique sociale et culturelle (Henriquez, 2016). Pour mieux la cerner en Haïti, il convient d’effectuer une analyse comparative de sa manifestation à travers les classes sociales. Lesquelles définies par Max Weber comme étant des catégories de personnes qui possèdent une position économique, un mode de vie et des attitudes et comportements qui se ressemblent (Weber, 1992). En d’autres termes ce sont des individus semblables qui partagent une dynamique probable similaire sans qu’ils en soient nécessairement conscients (Chauvel, 2001). Sachant que les homosexuels ne flottent pas au-dessus des réalités sociales, comment l’homosexualité se manifeste-t-elle à travers les classes sociales haïtiennes ?

Le mot homosexualité, ayant pris naissance en Europe en 1869, a été sujet de beaucoup de préoccupations. Une multitude d’auteurs se sont penchés sur sa définition, mais n’en n’ont pas la même conception vu qu’elle évoque tellement d’images et de réalités. Qui plus est, les pays n’appréhendent pas l’individu homosexuel de la même manière. Quant à l’origine de la pratique, en Europe elle est attribuée à la Grèce. En Amérique, avant l’arrivée des espagnols, à travers les sociétés amérindiennes, particulièrement les Berdaches, elle était bien présente. Dans la Côte Est africaine, elle est assignée aux natifs à influence arabo-musulmane (Amory, 2001).

Si on prend le cas d’Haïti, notre principale préoccupation, la grande majorité des Haïtiens n’établit aucune différence entre bisexuel, homosexuel, transsexuel, intersexué… D’ailleurs ces concepts, mis à part l’homosexuel, s’ils existent dans les dictionnaires n’existent pas dans leur vocabulaire. Pour dire qu’elle ne reconnaît que le Masisi et le Madivin. Ainsi un homme qui entretient une relation amoureuse avec un autre homme est un Masisi, une femme avec une autre femme est une Madivin. Tout comme, un homme ayant changé son sexe est un Masisi ; une femme ayant changé son sexe est une madivin. Un homme qui couche avec des hommes et des femmes, pour la société haïtienne, est un Masisi ; une femme qui couche avec des hommes et des femmes est une Madivin. Sur ces entrefaites, nous définissons l’individu homosexuel, dans le contexte haïtien, comme tout individu qui a eu des contacts ou des rapports sexuels consensuels avec d’autres individus du même sexe. Cette définition constitue notre cadre référentiel.

Pendant longtemps l’homosexualité a été considérée comme « contre nature ». Ce fut la position d’Aristote, Thomas d’Aquin, Emmanuel Kant et l’église catholique : une essence ou une nature humaine organisée pour et par l’hétérosexualité. La reproduction sexuée fut leur principal argument pour enterrer cette pratique. Quant aux marxistes, la grande majorité eut une posture d’homophobe. Ils la présentèrent comme le résultat de la décomposition morale de la bourgeoisie (Borillo, 2005). Rappelons qu’Engels considéra l’émergence de l’homosexualité dans la Grèce antique comme le résultat de la désintégration morale des hommes (Engels, 1884). Et que Marx avait lui-même expulsé de son parti certaines personnalités anarchistes, parmi lesquelles Michel Bakounine, pour ses idées trop tolérantes envers l’homosexualité (Borillo, 2005).

Chemin Faisant, Jean Paul Sartre et Simone de Beauvoir déterreront l’homosexualité pour lui insuffler l’air de l’existentialisme. Le premier fera l’éloge de l’homosexuel masculin « authentique » aussi bien sous un angle purement conceptuel qu’à travers l’exaltation de la figure de Jean Genet (1949). La seconde défendra la légitimité du « choix » homosexuel féminin (De Beauvoir, 1949). En effet, les deux grandes figures de l’existentialisme refuseront, l’idée d’une
nature humaine, d’un « en soi » dans lequel les hommes seraient enfermés comme dans un destin (Collas, 2005).

L’homosexualité a souvent été associée aux sociétés bourgeoises. En Haïti la réalité n’est pas différente. L’avocat et professeur Osner Févry, faisant
la genèse de l’homosexualité en Haïti à une émission politique (Moment Vérité) à la radio locale Signal FM en 2013, a argué qu’Alexandre Pétion, héros de l’indépendance et président d’Haïti de 1806 à 1816, fut le premier homosexuel de la première république nègre du monde. Il a continué pour dire que Pétion a refusé la main de Célimène, la fille de l’empereur Dessalines Jean Jacques, pour se mettre en couple avec un homme.

Cela est dû à la munificence des gens de cette classe. Ils sont plus ouverts au monde que les autres à cause de leur contact permanent avec la culture occidentale (pour y avoir étudié et vécu
assez longtemps) où l’individu homosexuel a presque acquis tous ses droits. Pour s’être accommodé aux valeurs occidentales, l’acceptation de la diversité sexuelle ne leur est guère difficile. Dans ce milieu, les couples homosexuels, femmes ou hommes, sont relativement acceptés et jouissent leur homosexualité sans crainte. Et l’amour constitue le premier mobile de leurs relations. Ils vivent ensemble, sauf qu’ils ne peuvent ni se marier ni adopter d’enfants au regard de la loi haïtienne.

Cependant dans cette même classe certaines familles accrochées aux valeurs traditionnelles et à leur foi chrétienne ou musulmane, malgré leur expérience en Occident, ne tolèrent que leurs enfants soient homosexuels, même si elles acceptent l’homosexualité de l’enfant d’un ami. Comme réponse à cette dérive sexuelle, selon leur propos, forcer l’enfant soupçonné d’homosexuel à s’engager dans un mariage hétérosexuel avec enfants. Des mariages qui pour la plupart du temps tournent à la catastrophe parce que l’individu continue avec ses pratiques homosexuelles. En termes d’acceptation, les forces morales et politiques de la société donnent
l’impression que les bourgeois ont le droit d’être homosexuel, pendant que les autres sont opprimés. Parce que le pouvoir c’est eux, l’argent c’est eux, le pays c’est eux.

Quant à la classe moyenne, elle tient son existence à partir des rapports développés avec la bourgeoisie et les classes populaires (Ilionor,2017). Mais de tout temps et dans toutes les sociétés, elle essaie toujours de se positionner du côté de la bourgeoisie. Dans leur manière d’être, de penser et de sentir, elle se comporte comme des éléments de la bourgeoisie. Mais disposant des moyens limités, elle n’y parvient qu’à petite échelle (Ibidem).En Haïti, l’homosexualité est l’un des moyens pour s’approcher de cette classe.Nombreux sont les éléments de cette classe intermédiaire, hommes et femmes, qui entrent dans des relations homosexuelles clandestinement (par peur des persécutions de toutes sortes) avec des éléments de la classe bourgeoise rien que pour franchir un palier social et accumuler plus de richesses. On ne peut nier qu’il y en a certains qui se lient par amour, mais la grande majorité ne vise que la reconnaissance et l’acceptation. Parce que le premier mobile n’est autre que ressembler à la bourgeoisie. D’ailleurs, la majorité des familles de la classe moyenne, malgré leur foi chrétienne, ne voit aucun inconvénient à une relation homosexuelle entre leurs enfants et ceux de la bourgeoisie. Mais si l’enfant homosexuel tourne vers un individu des classes populaires, c’est le tollé.

Les éléments de la classe populaire, face aux conditions socio-économiques difficiles, les pratiques homosexuelles avec les autres classes leur sont un moyen pour pouvoir répondre à leurs différents besoins. Ils sont les moins conscients de leur homosexualité. Contrairement à ceux qui croient que l’homosexualité et cette classe ne font pas bon ménage, la majorité des homosexuels de la société haïtienne sont confinés dans cette classe, parce qu’elle est tout simplement majoritaire. Toujours est-il que ceux-là qui s’y adonnent par amour et avec les éléments de cette même classe ne sont qu’une infime minorité. Ils ont du mal à vivre leur homosexualité dans un pays où les gens vivent pour empêcher aux autres de vivre. Or, comme le dit Alain Bouchard (1977), l’homosexualité est un style de vie qui doit se manifester par une socialisation et une officialisation.

Jusqu’ici la seule petite avancée est le nouveau code pénal du président Jovenel Moïse qui tend à pénaliser les discriminations basées sur l’orientation sexuelle (la presse.ca, 2020). Mais est-ce une vraie avancée vu l’illégalité de ce code pénal et sachant que dès qu’on parle des droits des LGBTI des milliers d’Haïtiens sont prêts à manifester contre ? Pour résoudre le problème, l’éducation sociale est la clé.

En guise de réponse à ceux qui attribuent le mal-être haïtien aux homosexuels, soyez plus intelligents ! L’homosexualité ne constitue aucunement le mal-être haïtien. Ce dernier n’est autre que le fruit de plusieurs siècles de domination étrangère, de dilapidation des fonds publics, de dictatures sanglantes, et de démocratie au rabais valsant entre le pillage, le crime, la trahison et les violences faites aux femmes, aux enfants et aux paysans.

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