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La Constitution ne prévoit pas d’exécutif législateur

On est en pleine escalade juridique, les décisions inconstitutionnelles se suivent et se ressemblent. Le régime autoritaire d’Haïti aujourd’hui vient encore une fois de gonfler ses muscles avec l’adoption, dans sa série de décisions inconstitutionnelles, de deux nouveaux décrets, enlevant au peuple haïtien opprimé son droit légitime de révolter. Désormais, ce décret traite de terroristes tous ceux qui osent protester face à la barbarie du régime actuel. Une dictature s’installe en Haïti. Elle chasse l’État de droit et la démocratie. Il s’agit purement et simplement d’atteinte à l’État de droit et aux droits fondamentaux de la personne humaine. Quand la raison d’État se substitue à l’État de droit, la première victime demeure la justice et les institutions destinées à sa mise en œuvre, notamment la police.

Maintenant on n’est plus dans une rhétorique de la guerre : on est déjà dans la guerre. Jovenel Moïse ne fourbit plus ses armes : il dégaine.

La corruption à laquelle on identifie ce régime fait que la décision de se maintenir au pouvoir à travers des élections frauduleuses qu’il compte organiser envers et contre tous, constitue un bouclier pour se protéger lui-même et les éléments de son régime. C’est le sens de son décret sur la sécurité nationale. La création de ces corps de milices participe de sa volonté de domination et d’hégémonie. Les travaux des états-généraux sectoriels, tout comme ceux du Comité consultatif indépendant, resteront sans effet. Tout cela fait partie de la stratégie de Jovenel Moïse de confisquer le pouvoir au-delà de la fin de son mandat constitutionnel qui prendra fin le 7 février 2021. Il s’arrange pour se perpétuer brutalement dans l’histoire du pays.

On est pris entre deux maux. D’un côté, un Chef d’État qui prend la route de la catastrophe, qui a fait le choix de renforcer l’arbitraire jusqu’au moment où il se heurtera au mur qui lui tracera la limite de l’inacceptable. Et de l’autre côté, les leaders de l’opposition qui, malheureusement, ne sont pas à la hauteur de l’enjeu actuel. Ils sèment la division et font diversion. Ils se chamaillent à longueur de journées, baragouinent devant une dictature qui chaque jour prend de l’ampleur. En réalité, ils n’ont rien à dire et à offrir alors que la population attend d’eux un dépassement. Leur seul but semble d’être au-devant de la scène. On attend peut-être que le blanc décide le 7 février 2021 de mettre hors de nuire ce pouvoir. Mais s’il le ferait, ce serait pour ses propres raisons, et dans le cas contraire, la nation se réveillera le lendemain avec un « pouvoir mal renforcé » agissant contre l’intérêt national.

On est dans une situation si chaotique et si imprévisible que tout est possible. À cause des fautes de quelques dirigeants politiques qui se sont illustrés au pouvoir sans bilan, le projet démocratique est en régression. La société haïtienne elle-même est désemparée dans tous ses compartiments. Les institutions haïtiennes ont failli et n’ont comme référence que le mal. Les Haïtiens sont contraints de dialoguer autour du mal. L’ignorance du mal est pire que le mal lui-même. L’ignorance du mal n’engendre que le mal. Quand rien n’est debout, il faut trouver une formule exceptionnelle, inhabituelle pour corriger l’inadmissible et l’inacceptable. Dans une société, il doit exister des hommes et des femmes d’envergure qui, en l’absence d’institutions, sont à même de redonner vie et substance à la république.

Le fait que nous continuions à faire du surplace nous oblige à nous demander si Haïti a encore des âmes d’élite ou si elle a cessé d’en produire.

Nos efforts démocratiques anéantis
Le président Moïse, avec la complicité de ses tuteurs internationaux regroupés au sein du Core Group, a anéanti les efforts démocratiques d’Haïti entamés depuis 1987 avec la mise à mort de notre Constitution, reconnue comme l’une des plus avancées de notre époque moderne, en dépit de quelques imprécisions, confusions et même ambiguïtés. Ces manquements qu’on impute à la Loi mère devrait appeler à une réflexion rigoureuse. Mais au lieu de cela, les politiques profitent malignement de ses défauts pour ne pas la respecter et tirer le drap de leur côté.

On constate avec dépit que les trente trois (33) ans de combat démocratique en Haïti n’a pas modifié les réflexes autoritaires de nos dirigeants. 7 février 2021 doit engendrer something irregular afin de nous permettre de rentrer une fois pour toute dans la normalité démocratique et constitutionnelle.

Le Président Moïse se lance dans une guerre contre le peuple, en s’attaquant à la Constitution et aux institutions, comme si elles lui appartenaient. Et pendant ce temps, la Cour de cassation, notre Cour suprême, oublie qu’à côté de sa fonction juridictionnelle, elle a un rôle de sauvegarde de la Constitution, de la démocratie et des droits fondamentaux. Ils gardent le silence sur le comportement anti-démocratique des détenteurs du Pouvoir exécutif qui attentent depuis des mois aux droits fondamentaux des citoyens. Nos juges laissent le Chef de l’État confisquer la souveraineté nationale malgré la mise en garde faite par la Constitution en son article 58. En agissant de la sorte, les juges de cette Cour, membres d’un pouvoir d’État et dépositaire de la souveraineté nationale au même titre que l’Exécutif, de même que les dix sénateurs en fonction, se rendent coupables de crimes de haute trahison pour leur complicité manifeste dans la réalisation du projet autoritaire en cours. Sont aussi coupables de cette même infraction tous ceux qui l’ont aidé par des moyens matériels et intellectuels à accomplir cet acte odieux contre la loi du peuple.

Dans une société de droit, la politique est un outil d’aide à la bonne décision politique. À partir de quel référent peut-on examiner ces deux derniers textes pris par l’administration Moïse-Jouthe ? Comment analyser juridiquement les décrets, notamment les deux derniers sur l’intelligence et la sécurité nationale pris par le pouvoir de Jovenel Moise, si la Constitution est écartée et si les principes démocratiques et de l’État de droit ne sont plus de mise ?

Qui va appliquer ces décrets illégaux pour répondre à la suprême volonté du Président Moïse ? La justice. Par puérilité politique et intellectuelle, c’est en direction de cette Cour que l’opposition se tourne pour choisir un président provisoire pour encadrer la transition qui sera décrétée à la fin du mandat du chef de l’État le 7 février 2021. Comment peut-on confier la présidence provisoire à un de ces juges quand cette Cour ne comprend pas la fonction que lui est dévolue par notre Charte fondamentale ? Qui protège la Constitution et l’empire de la règle de droit ? À qui revient la fonction d’assurer la cohérence du système juridique national ?

Les principes démocratiques, de l’État de droit et les droits fondamentaux lient les pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire. Ceux-ci doivent les respecter, les protéger et les faire respecter. La protection de ces valeurs relève de la fonction des pouvoirs d’État. Une fonction que leur confère l’ordre constitutionnel démocratique moderne d’Haïti. Dans notre système constitutionnel et démocratique, c’est l’État qui doit protéger et garantir les libertés publiques.

Infraction à l’article 136
Le Conseiller du Président de la République, M Guichard Dore, avait récemment déclaré qu’en période de crise, la politique saisit le droit. Le rôle des tribunaux aujourd’hui, est réduit à appliquer les décisions du pouvoir autoritaire du régime en place. Quand la justice, en tant que pouvoir d’État, ne réagit pas, elle se fait complice.

Tout le monde sait qu’aucun Président élu sous l’empire de cette Constitution n’est habilité à prendre des décrets ayant force de loi susceptibles de modifier les lois existantes. Notre État de droit démocratique instauré par le régime politique de 1987 ne prévoit pas un Exécutif législateur. L’article 111 de la Constitution accorde au pouvoir législatif le monopole normatif exclusif, ce qui est une sorte de légicentrisme. La Constitution de 1987 a donc énuméré les attributions du Président de la République et évacué toute tentation d’extension par l’énoncé de l’article 150 : « Le Président de la République n’a d’autres pouvoirs que ceux que lui attribue la Constitution ». La question n’est pas de savoir si ses décisions sont illégales, mais d’où vient ce pouvoir qui autorise le Chef de l’Exécutif à décider sur des questions d’intérêt général réservées par la Loi mère seulement au domaine législatif. L’absence du parlement dans l’espace politique est une infraction à l’article 136 de la Constitution qui met en cause la responsabilité directe du Président de la République.

Seul le Conseil national du gouvernement que la Constitution de 1987 a octroyé des pouvoirs législatifs (Art 285-1 inséré au chapitre des « Disposition transitoires »). Cette disposition est épuisée avec l’entrée en fonction du parlement de 1988.

Même s’il ne se déclare pas à vie, il agit en dictateur. Depuis l’anéantissement du Parlement, le Chef de l’État prend des décisions illégitimes et illégales comme s’il était le seul dépositaire de la légitimité populaire et de la souveraineté nationale. La Constitution n’est pas responsable du brigandage institutionnel actuel, ni la désinvolture du régime provisoire du sénateur Jocelerme Privert qui, suite à la proclamation des résultats de novembre 2016, a utilisé de manière illicite la date symbolique et officielle du 7 février à son profit au lieu de comprendre l’urgence que requiert l’article 134-2, savoir l’installation immédiate du président élu.

Le 7 février 2021 sera la fin de tout un monde frappé de déchéance, que ce soit la Justice, le Parlement ou l’Exécutif. Au milieu de la caducité naîtra un monde nouveau, celui de la renaissance politique et intellectuelle de la nation. La jeunesse ramassera le drapeau et mettra fin à l’institutionnalisation de la terreur. Mais avant tout, le rejet de tous les décrets en violation de notre Charte fondamentale et du régime doit se manifester par un refus citoyen global. Les Haïtiens dans l’unité doivent trouver rapidement une formule pour le prouver.

Bonne saison des fêtes ! Dieu vous donne rendez-vous en 2021.

Me Sonet Saint-Louis
Professeur de droit constitutionnel Université d’État d’Haïti
Sous les bambous de la Gonave, 8 décembre 2020
Tel 37368310/42106723
[email protected].

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