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S’achemine-t-on vers la création d’un Tribunal pénal international en Haïti ?

Les droits de l’Homme comme finalité de l’Histoire sont en danger en Haïti. L’État, avec l’appui tacite de la communauté internationale, maintient notre pays dans une zone de turbulence sur fonds de corruption généralisé. N’est-ce pas le cas de se demander par quel construit politique en sommes-nous arrivés à cette périlleuse destination ?

Depuis un certain, les organisations des droits humains ne cessent d’alerter l’opinion publique nationale et internationale sur les cas de massacres perpétrés contre les innocents dans les quartiers précaires. Ces actes odieux sont commis par des groupes armés réputés proches du pouvoir en place ou travaillant pour celui-ci. Les raisons de ces exécutions sommaires sont souvent liées à l’appartenance politique des victimes.

La Police nationale d’Haïti, la seule force en exercice, semble se croiser les bras devant ces faits révoltants et laisse mourir des innocents, alors que sa mission consiste à protéger les vies et les biens. Avec l’apparente complicité des autorités politiques et policières et celle, tacite, de la communauté internationale à travers le BINUH, les groupes armés se substituent lentement et sûrement aux forces de sécurité nationale. Ils poussent l’audace jusqu’à se fédéraliser et à présent, ils revendiquent carrément un statut politique. Ils exigent leur reconnaissance par l’État. On estime que dans un an, le « G9 et alliés », groupe armé constitué à la barbe du pouvoir, aura autant de soldats que la Police nationale d’Haïti. La possibilité pour que les massacres se suivent à un rythme inquiétant dans les zones populeuses hostiles au pouvoir, est grande.

Le vocable « massacre », étranger au droit pénal haïtien et qui revient sans cesse dans les rapports des organisations des droits humains, en grande partie financées par l’international, n’est pas innocent. Nous sommes entrés, malgré nous, dans un jeu cruel dont on ne sait pas vraiment qui tire les ficelles et dans quel but précis.

A quoi faudrait-il s’attendre dans les mois à venir ? Haïti est placée sous le chapitre VI de la Charte de l’ONU comme un pays dont les institutions sont en faillite et totalement dominées par la corruption. Face à cet État failli, la réalité quotidienne démontre que la force sur le terrain n’est ni plus ni moins celle de la communauté internationale et des entités criminelles. Ce sont elles qui détiennent le contrôle sur tout.

Une absence flagrante de l’État
Depuis le mois de janvier de cette année, le Parlement haïtien est dysfonctionnel. L’un des trois pouvoirs de l’État, donc co-dépositaire de la souveraineté nationale, qu’est la justice, est en difficulté, donc incapable d’apporter des solutions aux différends des citoyens. Désorganisée et traversée par des contradictions internes, la police dispose de trois syndicats en son sein, ce qui met en échec son unité de commandement. De ce fait, elle se révèle incapable de sécuriser le pays et protéger les citoyens contre l’arbitraire des groupes armés.

Ces entités criminelles ont en conséquence la haute main sur le territoire de l’État. Elles ont le champs libre pour massacrer la population car pour plus d’un, l’objectif du pouvoir n’est pas d’apporter les solutions aux problèmes fondamentaux du pays mais de contenir la révolte des populations des quartiers pauvres en constante détresse afin de préparer les élections contre la souveraineté populaire. Les plus fins analystes affirment que l’Exécutif veut mettre en place un pouvoir acquis à sa cause dans le but de dissimuler les infractions économiques et financières dont on accuse le régime tèt kale. L’international aidant, tout est fin prêt pour une tuerie en masse. Faut-il souligner qu’il n’y a pas que les massacres par-ci et par-là à condamner : les familles haïtiennes sont rongées en silence par le viol et le kidnapping commis par des bandits dans l’extraordinaire complicité des dirigeants qui s’amusent dans la beauté du gain facile. Dieu, semble-t-il a quitté définitivement le Président Jovenel Moise ainsi que la terre d’Haïti ? Ainsi verrons-nous le diable en face dans les prochains mois, comme ce fut le cas du général Romero Dallaire en plein génocide rwandais ? Les contextes haïtien et rwandais sont différents mais il y a des signes évidents qui nous permettent de parler de quelques concordances des faits à l’étape préparatoire des événements de 1994 au Rwanda qu’on retrouve curieusement en Haïti. On sent que la guerre est proche

Rien n’arrive au hasard dans la vie d’un peuple. Y aurait-il un projet à l’œuvre ? Si oui, à quoi sert cette situation actuelle ? À qui profite le crime ? Comment est-elle née et comment est-elle ce qu’elle est ? Comment détecter ce qui se cache derrière les différentes missions des Nations-Unies en Haïti ? Ce n’est pas par hasard que la justice haïtienne se révèle incapable de donner réponse ou que cette coalition de gangs s’est formée dans le silence du pouvoir et ses tuteurs internationaux.

Nous paierons comme peuple notre imbécillité d’avoir confié le pouvoir à des « âmes animales » (Hegel, La raison dans l’Histoire). Des dirigeants peuvent se tromper mais quand c’est le peuple qui se trompe collectivement sur des questions fondamentales concernant son histoire, sa culture, son identité et son avenir, le pays va plus vite à sa déchéance.

La situation d’Haïti est extrêmement inquiétante. Elle annonce l’impensable. Mais avant que le désastre humain n’arrive, il y a des responsabilités à fixer. Le Chef de l’État est le seul à bord. L’État, c’est lui. Tout se fait par lui et pour lui. Il est donc responsable de tout ce qui va et ne va pas dans cette république. Il doit en être conscient. Il n’y a pas d’autorité sans responsabilité. Tout comme l’État à travers ses institutions, il a un devoir de protection. Il ne peut pas livrer ses citoyens à la violence d’entités privées. La raison d’être de l’État, c’est la protection de ses citoyens et on constate que le chef de l’État manque à son devoir de protection. Tout ce qu’il aurait dû faire et n’a pas fait, engage sa responsabilité personnelle. Le Chef de l’État, le directeur général de la police, le Premier ministre et les membres de son gouvernement ne peuvent pas prétexter l’ignorance des groupes armés sur le territoire qui massacrent les innocents. L’ignorance volontaire ou l’insouciance en droit pénal est interprété comme un refus systématique de savoir et d’agir.

Crimes contre l’humanité
Quand en 2006, j’ai écrit mon mémoire de maîtrise en droit pénal international intitulé « l’élaboration des règles de preuve et de procédure pénale internationale dans un contexte de diversité des systèmes juridiques nationaux » pour l’obtention du grade de maîtrise en droit à l’Université du Québec à Montréal, j’étais un jeune homme qui accomplit la deuxième étape d’une aventure intellectuelle qui a commencé en 1999 à l’Université d’ État d’Haïti. Fraîchement diplômé en philosophie à l’École normale supérieure, j’avais rédigé mon mémoire pour le grade de licencié en droit sur les causes des violations de la Constitution de 1987, trois années après que la professeure Mirlande Manigat eut publié son ouvrage intitulé « Plaidoyer pour une nouvelle Constitution ». Ancien étudiant de Jacques Yvan Morin, mon troisième projet a commencé avec l’étude des zones franches haïtiennes dans un contexte de libéralisation et de mondialisation de l’économie. Ce travail académique rédigé en 2006 n’est pas une œuvre parfaite, donc non définitive. Elle est beaucoup lue et devient une curiosité pour les amoureux du droit pénal international. La connaissance de cette œuvre comme celle de Me Guerilus Fanfan rédigée deux années après, à la même adresse sur le rôle du procureur dans la justice pénale internationale, est vivement recommandée. L’humilité, la modestie et la rigueur scientifique m’interdisent d’aller au superlatif. Loin d’être une source de complaisance, d’une part, et de subjectivité d’ autre part, quand c’est moi qui fais l’éloge de mon travail et celui d’un ami frère; peu importe la critique, ce qui fait la valeur d’une production intellectuelle et scientifique, c’est son utilité théorique et pratique. Sachons leur en savoir gré !

Ces deux textes sont à lire pour comprendre la situation actuelle d’Haïti faite de violations systématiques des droits humains, avec la multiplication des massacres dans les quartiers populaires. À l’époque où ces deux travaux ont été effectués, il n’y avait pas un grand marché de droit pénal international, c’est-à-dire la littérature dans ce domaine n’était pas si féconde.

En Haïti, l’espace du droit pénal international n’est pas trop fréquenté. Il manque chez nous de toute évidence des compétences en la matière. Ce n’est pas le cas du Canada où ce type de travaux se multiplient de plus en plus.

Comme on le sait, le droit pénal international recouvre et étudie les infractions les plus graves qui révulsent la conscience humaine : crimes contre l’humanité, génocides (meurtres collectifs, tortures, persécutions) et crimes de guerre (exterminations, meurtres, déportations ou transferts forcés de populations), violences sexuelles etc.

En Haïti, il y a l’absence d’encadrement légal en ce qui concerne la notion de massacre, l’un des éléments constitutifs du crime de génocide. Notre justice pénale n’a pas encore pris position sur les faits constitutifs de ce type de faits répréhensibles, notamment les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre. Dans la loi de 1999, le législateur parle de « crimes imprescriptibles » sans pour autant décrire la nature de ces derniers et en quoi ils se différencient des infractions de droit commun.

La loi de 1999 rend en effet imprescriptibles les crimes commis de 1991 à 1994, date qui coïncidait à la période du coup d’État contre l’ex-président Président Jean-Bertrand Aristide, renversé brutalement et inconstitutionnellement par l’ancienne armée aujourd’hui défunte.

Incompétence d’Haïti en la matière
Cette loi qualifiait -elle ces meurtres comme des « crimes contre l’humanité » ? Si c’est le cas, comment donc les réprimer dans l’ordre interne ? En ce sens, le cas d’Emmanuel Constant soulève des préoccupations juridiques et politiques majeures. Nonobstant les pressions exercées par les ambassades occidentales en Haïti pour juger l’ancien chef paramilitaire, la Justice haïtienne se trouve en face d’un dilemme juridique et constitutionnel. Comment ce dernier pourrait-il reprendre son statut d’accusé sur la base de la loi de 1999 sans poser des accros aux principes de la non rétroactivité des peines, crimes et délits et celui de l’égalité, hissés au rang de principes généraux du droit ? Le droit est une affaire de science et d’expérience. Cette expérience, chacun l’a vécue différemment, selon son niveau de science.

Dans le nouveau Code pénal publié récemment par décret en violation de la Constitution de 1987, l’article 221 stipule que l’amnistie attribuée au Chef de l’État ne s’applique pas dans les cas de crimes de génocide, crimes contre l’humanité et crimes de guerre. Ces atrocités sont pour l’instant réprimés dans l’ordre international. Le statut de Rome prévoit cette possibilité pour les États signataires, mais Haïti n’est pas partie de ce traité. Notre justice pénale n’est donc pas compétente pour juger les personnes accusées de crimes de génocide, de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre. Haïti est-elle en train de se donner, en dehors de son accord au traité de Rome, des compétences universelles pour réprimer de tels crimes ? Notre pays peut-il se donner des moyens juridiques et politiques pour jouer ce rôle complémentaire ? Cet emprunt qui ne serait qu’une fraude académique, jette une sorte de déraison dans notre système pénal et dans l’ordre juridique national. La légèreté intellectuelle constatée dans la rédaction de ces décrets présidentiels démontrent que l’intelligence et le sérieux ont déserté la République. Le droit n’est pas de la poésie qui fait appel au style poli mais une science qui obéit à la technique et aux règles de clarté et de précision. Mal conçu, ce « copy paste » brouille notre système juridique national. Cette attitude des élites à vouloir tout importer serait-elle la cause de la domination du pays, ou encore le résultat de la colonisation mentale, pour répéter Dr. Jean-Bertrand Aristide ? Cette confusion est-elle vraiment inutile ou cache-t-elle un quelconque projet dont nous ne sommes pas au courant?

Le rôle de la justice pénale internationale
L’internationalisation ou l’universalisation de ce type de crimes avait conduit le Conseil de Sécurité de l’ONU à créer deux Tribunaux pénaux internationaux ad hoc : l’un au Rwanda et l’autre, en Yougoslavie. Ils ont pour fonction de juger les génocidaires rwandais et les crimes contre l’humanité perpétrés en l’ex Yougoslavie. Créée par le statut de Rome en 2002, la Cour pénale internationale (CIP) est entrée en fonction 2012. Cette Cour permanente a la même mission que les deux précédents Tribunaux pénaux internationaux : réprimer les crimes les plus durs commis contre le genre humain. Haïti, les États-Unis et la Chine n’ont pas signé le Traité de Rome.

Le fait qu’Haïti n’ait pas signé le traité de Rome voudrait-il dire que ses citoyens ne pourront pas être traduits devant la Cour pénale internationale ? On serait tenté de dire sur le plan légal, il n’y a pas provision pour une telle action. Faut-il rappeler que le droit n’est pas toujours neutre dans son application. Et, surtout, en relations internationales, ce ne sont toujours les questions les plus justes qui triomphent mais celles du plus fort. En droit international, la raison du plus fort n’est pas toujours mais souvent nécessairement la meilleure.

L’existence d’une Cour pénale internationale pour réprimer les crimes les plus graves contre le genre humain est une nécessité. Il est un fait qu’aujourd’hui cette justice internationale est de nature hégémonique. Elle est souvent considérée comme un outil idéologique – et même une entreprise néocoloniale – aux mains des puissants. Certains grands pays développés conçoivent très mal que leurs ressortissants puissent un jour être traduits devant cette Cour internationale. Somme toute, cette justice pénale internationale est conçue pour juger les dirigeants des pays du sud accusés de violations graves de droits humains. C’est le principal reproche adressé jusqu’ici à cette justice pénale internationale par certains dirigeants des pays du sud. Les différents rapports rédigés par les organisations des droits humains relatant des cas de violations graves des droits humains, doivent être pris au sérieux. Car ces ONG constituent la principale source d’informations de la justice pénale internationale et voient dans cette Cour permanente un élément pacificateur et de dissuasion.

La question de la saisine de la Cour pénale internationale ou la création d’un Tribunal pénal international ad hoc surgira tôt ou tard dans la mesure où elle sera nécessaire pour faire arrêter les massacres dans les quartiers populaires en Haïti, ou pour juger les chefs politiques, militaires et policiers coupables d’avoir porté atteinte à la vie d’autrui. C’est donc un tumultueux destin pour la première république nègre indépendante du monde : deux interventions militaires américaines en moins de dix ans et trois en un siècle, à cause des conflits au sein des élites inconscientes et incompétentes. C’est déjà assez humiliant d’être traités de la sorte, de grâce n’allez pas jusqu’à l’imposture ! Toute la question est de savoir comment amener les Haïtiens à adopter une posture patriotique pour stopper la dérive avant que le néocolonialisme judiciaire prenne place dans la patrie de Jean-Jacques Dessalines ?

Le néocolonialisme judiciaire nous guette
Notre patrie est malheureuse et souffrante. Si les intellectuels refusent de parler, la délivrance de la nation sortira des masses avec douleur. Les invitations faites aux personnalités haïtiennes à témoigner devant le Conseil de sécurité de l’ONU et celles du Congrès américain concernant les violations graves des droits humains en Haïti, démontrent la dimension internationale d’une question nationale. Ces invitations doivent-elles être analysées dans le cadre de l’ouverture d’une enquête préparatoire pour rassembler les faits dans la perspective de la création d’un tribunal ad hoc en Haïti. Cette fillette de neuf mois de Cité soleil tuée d’une balle à la tête montrée dans une vidéo qui tournait en boucle sur les réseaux sociaux, est un crime qui choque la conscience collective.

Il y a quinze années, mon ancien professeur à l’Université de Montréal, Jacques Yvan-Morin a rappelé dans un cours de droit constitutionnel avancé intitulé “État de droit dans l’ordre national et international” que la finalité de l’histoire, ce sont les droits fondamentaux. Et aujourd’hui c’est avec bonheur que, suite aux travaux scientifiques de mon ancien professeur québécois, Daniel Mockle, j’enseigne la pyramide des normes et, n’en déplaise à Hans Kelsen et partisans du positivisme juridique, ce sont les principes fondamentaux des droits de la personne et de l’État de droit qui sont placés au sommet. Comme quoi, disait l’historien politologue Leslie F. Manigat, il y a deux testaments, l’ancien et le nouveau, dans tout évangile sérieux. Ce n’est pas trop de dire que nos hommes se trompent d’époque.

Me Sonet Saint-Louis av
Doctorant en droit
Université du Québec à Montréal
Professeur de droit constitutionnel ( UEH)
Professeur de droit des affaires ( UNIFA)
[email protected]
Tel 37368310
Sous les bambous de la Gonave, juillet 2020

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