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Les dessous des préfacs à Port-au-Prince

(TripFoumi Enfo) – Mise à niveau pour certains, pour d’autres, c’est une activité organisée durant environ un mois, réalisée par des étudiants de l’Université d’Etat d’Haïti (UEH) et d’autres issus des centres universitaires privés. Avec pour objectif, d’aider les bacheliers à franchir les portes étroites de l’Université en Haïti. Étant au départ, dans les années 2000, un service à la communauté; aujourd’hui, la nature de ces activités change complètement. En raison de la précarité économique aiguë et à laquelle confrontent les étudiants; ils luttent entre eux afin de s’offrir un pain éducatif, la seule alternative de survie durant les vacances estivales.

Allons à la découverte de la face cachée de ces activités que nous suivons pour vous depuis 2015, qui explosent dans l’aire métropolitaine de Port-au-Prince.

Après le bac, place aux préfacs. Cette formule, les étudiants de l’Université d’Etat d’Haïti la connait très bien. Réalisant leurs études dans des conditions inacceptables, c’est un moyen, en aidant les postulants, d’assurer leur survie. « A la place du service à la communauté, c’est une activité économique.

Les postulants aux concours d’entrée des universités sont des clients. Car, les organisateurs de ces petites entreprises s’entre déchirent afin de draguer le maximum de clients possible », fustige, sous couvert de l’anonymat, un jeune géographe qui vient d’avoir son Master II à l’ENS.

À défaut de servir la communauté, ajoute t-il, ils exploitent les postulants comme des « racqueteurs ». Toutefois, dit-il, c’est la dégradation de la situation économique des étudiants qui est à la base de cette situation.

Il y a de rares groupes d’étudiants qui n’entrent pas dans cette dynamique économique, reconnaît-il. C’est le cas, par exemple, de certains regroupements de la Faculté des Sciences Humaines (Sèk Janil, Sèk Gramsci), la Faculté d’Ethnologie (GREPS, LAKOU) ou encore à l’Ecole Normale Supérieure (LESANPA). Sans oublier « Yvonne préfac » de la Faculté de Médecine et « Transition préfac » de la Faculté d’Odontologie, par exemple, qui s’inscrivent aussi dans le bénévolat.

« Cependant, ces étudiants résistent énormément, car leur situation économique n’est pas différente des autres. C’est un grand sacrifice », nous a-t-il confié. Ce jeune cadre du pays va plus loin pour dire que dans certains cas, les hommes politiques empruntent la voie des préfacs en les finançant sous prétexte d’aider les postulants. Cette situation est liée à la crise systémique qui ronge le pays. Il faut attaquer le système dans son ensemble. Ce qui débouchera sur une transformation sociale, propose le géographe.

Lutter à tout prix pour réussir sa petite entreprise

Pour mieux saisir ce phénomène, il faut juste se rendre à l’entrée de la Faculté de Médecine et de Pharmacie (FMP). En ce vendredi du mois d’Août 2019, il était difficile de franchir les lieux. Entre tableaux publicitaires des préfacs, des voitures garées, des postulants qui font le va-et-vient pour acheter des documents, entre autres, il faut prendre son mal en patience. Djemson Lamy étudie la Pharmacie à la FMP. Ce mois-ci, il dépose sa blouse. Responsable de « Triomphe Préfac », c’est le moment ou jamais de gagner un pain.

Non loin de son tableau publicitaire, Djemson est plus qu’un étudiant, il se transforme en libraire. Des documents de biologie, de chimie, de physique, de mathématiques, des « sòs bèt », sont exposés sur son petit tréteau. Juste à coté de lui, un autre étudiant négocie avec une postulante accompagnée de son père, qui vient d’acheter un livre de biologie végétale de couleur jaune. Le cas de Djemson est loin d’être isolé, à l’entrée de la majorité des entités de l’UEH, le constat n’est pas différent.

Selon les informations recueillies, rares sont les préfacs qui ne se divisent pas en cours de route. Dans la plupart des cas, la mauvaise répartition de la somme crée des conflits. Et, si le nom connaît déjà un succès, ça peut conduire à une légère modification pour créer la sienne l’année suivante. Zenith préfac est un cas emblématique.

Dans ce cas, Zénith préfac est la mère de deux enfants qui sont « Zenith Positif » et « Zenith précision », selon ce que nous a appris un étudiant qui n’a pas voulu citer son nom. Dans certains cas, des organisateurs arrivent même au bras, a-t-il martelé, d’un air pitoyable.

Le prétexte de la gratuité

Afin de drainer le maximum de postulants possible, des préfacs sont lancés gratuitement. Pourtant, lorsque les postulants commencent à suivre les cours, on les impose des frais. Une stratégie que des postulants ne digèrent pas. Ce postulant qui vient des Gonaïves a, en dépit de l’insécurité à la capitale, bravé le danger cette année. Pierre, déplore cette attitude chez les encadreurs. Toutefois, affirme-t-il, il comprend la nécessité des étudiants dans un pays où la cherté de la vie grimpe à chaque instant.

Selon Luder Providance, parfois les préfacs dites gratuites sont financées par des institutions. Ce que les postulants ignorent parfois. Il lie cela à la précarité des étudiants. Le natif de La Gonave croît dur comme fer que c’est une absence de conscience de classe qui est à l’origine de ces comportements. Sans vouloir accuser ses camarades, il avance que leur misère est à la base de tout.

Une activité ramifiée

Les activités de préfacs ne s’organisent pas en vase clos. C’est le moment où les étudiants profitent de la moindre occasion. De la vente des livres, des cahiers et des plumes, en passant par l’inscription en ligne, jusqu’à la vente des enveloppes, ils s’occupent de presque tout. Par exemple, à la Faculté de Droit et des Sciences Economiques en 2019, les frais d’inscriptions en ligne s’élèvaient à 75 gourdes par entité. A l’entrée les étudiants se sont massés pour draguer les postulants. Chacun, afin de vous convaincre, vous offre un maximum d’avantages possibles.

Après un mois de travail, des préfacs se transforment généralement en séminaire. Ce dernier est très fréquenté, car cette activité présente un condensé de l’essentiel des éléments du concours. C’est le moment, en un temps record, d’augmenter son profit. « Grâce à ces activités, à la rentrée de la prochaine année, je vais me procurer d’une valise et des chaussures neuves », déclare sourire aux lèvres, un étudiant de l’ENS, requérant l’anonymat.

Pour une régulation des préfacs

De l’avis de Rourousse Nerette, étudiant à la Faculté des Sciences (FDS), c’est une activité illégale. « De nos jours il y a plus de préfacs que d’universités. Presque chaque étudiant en a une. On doit réguler cette activité qui fait bouger en quelques sortes l’économie. À la FDS, les frais de cette activité s’élève cette année à 3500 gourdes, et on reçoit des centaines », informe l’étudiant en chimie de 26 ans.

La question du trafic de noms de préfacs, amplifie la concurrence entre les étudiants, continue t-il. Si on n’arrive pas à réguler cette activité, et élever le pouvoir d’achat des étudiants, il y aura toujours cette lutte, conclut-il.

Il est vrai que la majorité des préfacs se concentre dans l’agglomération de Port-au-Prince, pourtant plusieurs autres villes de provinces accueillent ces activités également. Gonaïves, Petit-Goave, Petite-Rivière de l’Artibonite et Jacmel, sont parmi les autres villes qui offrent cette formation. Alors que cette activité continue à s’étendre de plus en plus dans le pays, la capacité d’accueil de l’Université d’Etat d’Haïti reste constante. Sur des dizaines de milliers de postulants, l’UEH accueille annuellement environ cinq milles d’entre eux.

Il faut signaler que l’épidémie du coronavirus a eu beaucoup d’impacts sur les activités de préfacs cette année. Dans ce cas, ces activités qui se déroulent durant l’été ont été reportées vers l’automne et au début l’hiver. Cela s’explique en raison de la fermeture des classes, ce qui a retardé l’organisation des examens du baccalauréat. Mais, le nombre a aussi diminué, car les différentes facultés de l’Université d’Etat d’Haïti n’arrivent pas encore à boucler l’année académique 2019-2020, afin de lancer leur concours d’admission pour recruter une nouvelle promotion.

Dans une étude publiée par Worl University Ranking publié en 2019 sur le top des 400 premières universités en Amérique Latine et dans les Caraïbes, aucune université haïtienne n’en fait partie. Ce qui montre que nous sommes à des années-lumière de la formation supérieure. En attendant d’autres alternatives de survie, les étudiants ne peuvent compter que sur les préfacs, pour satisfaire de besoins essentiels comme une valise, des chaussures, de quoi manger, couvrir les frais de transport, entre autres, durant les vacances d’été.

Mosard JEAN-LOUIS, Port-au-Prince
(+509)36386285/ [email protected]

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