société

Comment associer la diaspora haïtienne au développement d’Haïti?

(TripFoumi Enfo) – Tous les auteurs haïtiens sont unanimes sur l’échec des transferts monétaires de la diaspora haïtienne dans le processus de développement d’Haïti. Arguent-ils, ces fonds ne sont pas alloués à de grands projets de développement. Les ménages consacrent la plus grande part à la consommation. Une petite quantité est affectée à l’éducation. Dans l’objectif de faire de cette diaspora un outil de développement réel nous allons exploiter cette source inépuisable de travaux scientifiques sur la question à l’échelle internationale afin de proposer toute une politique d’intégration de la diaspora haïtienne dans les affaires d’Haïti. C’est pourquoi, nous nous posons la question de départ suivante : quel peut être le rôle de la diaspora haïtienne dans le processus de développement d’Haïti ?

Reconnue par le gouvernement haïtien en 1995 (Elisdort, 2006), la diaspora haïtienne joue un rôle incontournable dans le destin d’Haïti (Audebert, 2011), particulièrement dans la survie de la population haïtienne, à travers les « transferts de fonds» et de compétences dans une moindre mesure. D’ailleurs il y a peu de ces gens qui ne soient intéressés et dont le cœur ne palpite à chaque événement, naturel, sportif ou politique concernant le devenir du pays (Dandin, 2012). Mais, qu’est-ce que la diaspora haïtienne ? Pour mieux l’appréhender, définissons d’abord dans le paragraphe qui suit le concept diaspora, ce qui nous permettra d’en trouver une définition dépourvue de toute redondance dans le contexte haïtien. De la complémentarité entre les définitions est tout ce que nous recherchons.

Le concept diaspora se définit comme : « la dispersion géographique d’un peuple qui conserve le sentiment d’unité en dépit de la distance et cultive la volonté de se référer à une histoire commune, nourrit un mythe du retour consigné dans un récit transmis de génération en génération » (Bordes-Benayoun, 2012). Quant à la diaspora haïtienne, selon Cédric Audebert (2012), elle se réfère soit à une personne d’origine haïtienne mais née ou résidant à l’étranger, soit à une personne haïtienne qui a réussi dans un pays étranger, ou plus généralement le groupe d’Haïtiens qui résident à l’extérieur d’Haïti. En termes de chiffres, ils sont environ 4.5 millions (OEA, 2020). Le plus grand nombre vit aux États-Unis. Entre 2010 et 2019, Haïti a reçu de cette diaspora environ 20 milliards de dollars de transferts ( Le nouvelliste, 2020). Malgré tout, le pays végète dans la pauvreté faute à l’improductivité de cet argent. Quelles approches empiriques permettent d’expliquer la contribution des diasporas dans leur pays d’origine ? Lesquelles nous serviront de guide dans notre démarche.

À travers le monde, plusieurs études empiriques ont été réalisées sur la question. La majorité des auteurs l’ont abordé dans une dimension entrepreneuriale. Alan de Brauw et Scott Rozelle (2008) examinent le lien entre diaspora et investissement en Chine en 2000. Suggèrent-ils, les diasporas de retour ont constamment le taux d’investissement le plus élevé par rapport aux autres ménages qui n’ont pas émigré. Ils investissent dans le logement et d’autres biens de consommation durables. Analysant le cas des Philippines, Dean Yang (2006) teste également l’argument entrepreneurial. Et les conclusions sont pratiquement les mêmes que ceux de la Chine.

Dans le cas de l’Egypte, Barry McCormick  et Jackline Wahba (2001) examinent la propension de la diaspora égyptienne à créer des petites entreprises lors du retour, à l’aide des données de l’enquête-emploi de 1988, ils concluent que l’épargne accumulée à l’étranger et la durée du séjour en migration sont deux facteurs importants de la propension à devenir entrepreneur parmi les individus instruits. En revanche, la durée du séjour en migration est sans effet sur cette propension lorsque l’analyse se focalise sur les individus non instruits. Ilahi Nadeed (1999) investit la même question dans le cas du Pakistan et trouve que l’épargne accumulée à l’étranger est également un des facteurs qui autorise la diaspora à se lancer dans une activité entrepreneuriale.

Dans le cas de l’Afrique de l’ouest, un projet de recherche porté par le Centre for Migration Research de l’Université du Sussex s’est intéressé aux liens entre diaspora et développement, en opérant une distinction entre ceux très qualifiés et non qualifiés au Ghana et en Côte d’Ivoire. Bien que les analyses soient qualitatives et que la petite taille des échantillons impose de considérer les résultats avec une certaine prudence, les auteurs identifient une liste de variables clés influençant la propension de la diaspora de retour à investir dans une activité : le niveau de qualification des migrants, la durée de leur séjour à l’étranger, l’expérience professionnelle acquise en migration, les conditions de travail, ainsi que les contacts avec les amis et parents au moment du retour (Vreyer et Robillard,2013).

Matloob Piracha et Florin Vadean (2010) ont exploré l’impact de la diaspora sur l’économie albanaise en analysant le choix professionnel des migrants de retour en différenciant explicitement l’auto-emploi entre travail à son compte et entrepreneuriat. Les auteurs constatent que les travailleurs pour compte propre ont des caractéristiques plus proches des non-participants dans le marché du travail (c’est-à-dire faible niveau d’instruction), tandis que l’entrepreneuriat est positivement lié à la scolarisation, la maîtrise des langues étrangères et l’épargne accumulée à l’étranger. En outre, par rapport aux non migrants, les diasporas de retour sont beaucoup plus susceptibles d’être des entrepreneurs, montrant l’impact positif de la migration sur les activités créatrices d’emplois en Albanie.

Flore Gubert (2010) présente une étude empirique sur des données collectées auprès de la diaspora de retour et des non-migrants en Afrique de l’ouest. Il s’agit d’enquêtes ménages urbains regroupant un échantillon de petits entrepreneurs dans 7 villes (Abidjan, Bamako, Cotonou, Dakar, Lomé, Niamey et Ouagadougou) de 2001 à 2002. Les résultats montrent que les diasporas de retour perçoivent une prime salariale forte lorsqu’ils reviennent d’un pays de l’OCDE. Ils ont une plus forte probabilité d’être chefs d’entreprise ou travailleurs indépendants, que ceux qui n’ont pas émigré ou ceux revenant d’autres régions du monde. Le même résultat est observé pour ceux ayant le statut salarial. En effet, l’expérience à l’étranger permet d’augmenter l’efficacité productive des diasporas de retour de cette région.

En résumé, en termes d’impact de la diaspora de retour sur le développement des pays d’origine, les résultats sont contrastés (De Vreyer et al.,2013).C’est-à-dire dans certains pays, particulièrement ceux d’Asie, d’Europe et d’Afrique dont les migrants de retour proviennent d’un pays de l’OCDE, la migration de retour a un impact signifiant vu qu’elle est valorisée, dans d’autres, ceux d’Afrique dont les migrants de retour ne proviennent pas d’un pays de l’OCDE, l’impact est presque insignifiant et peu valorisé. Par ailleurs, le niveau de qualification des migrants, la durée de leur séjour à l’étranger, l’expérience professionnelle acquise en migration, les conditions de travail, ainsi que les contacts avec les amis et parents au moment du retour (De Vreyer et al.,2013) ont une influence certaine sur le niveau d’engagement du migrant de retour dans des activités économiques et autres, et sur sa réussite.

Fort de ces études empiriques, quel peut être le rôle de la diaspora haïtienne dans le processus de développement d’Haïti ?Cette diaspora peut jouer un rôle crucial dans le développement du pays. Par conséquent l’Etat haïtien doit considérer le retour comme faisant partie d’une gestion globale des migrations et non comme un élément isolé (OIM,2008). D’où la nécessité d’élaborer une politique publique de gestion de la diaspora de retour dans une dynamique de développement. À travers cette politique publique, l’Etat doit attirer les meilleurs intellectuels, les meilleurs cerveaux à travers des offres de salaires élevés, des subventions, des concours promouvant le développement local. Ce qui permettra de renforcer l’éducation, la santé, la politique et de promouvoir la recherche scientifique. Dans le secteur de l’éducation, le rôle des diasporas sera de moderniser le système éducatif haïtien en assurant la présidence des universités haïtiennes et la direction des thèses et des laboratoires de recherche. Ceux ayant un haut niveau dans le domaine de la recherche seront responsables de la création de la première académie de l’ingénierie haïtienne qui aura pour mission de permettre aux Haïtiens de profiter de la mondialisation, des technologies de pointe. Dans le secteur de la santé, ils assureront la gestion des hôpitaux. Les médecins-chefs auront un rôle central dans le domaine de la recherche médicale. Au niveau politique, les diasporas auront la possibilité d’assumer des fonctions importantes telles que ministres, présidents, sénateurs, députés. Au niveau entrepreneurial et technologique, l’Etat haïtien leur facilitera la création de nombreuses entreprises de haute technologie, agricoles afin d’assurer le développement économique du pays. D’où la nécessité de la réforme constitutionnelle afin de revoir la question de la nationalité et de la citoyenneté.

Cet article nous permet de se faire une idée sur le rôle que peut jouer la diaspora haïtienne dans le développement d’Haïti. Outre les secteurs précités, elle peut contribuer au façonnement d’autres secteurs comme le journalisme, la culture, les loisirs et les médias. Cependant pour que le retour de cette diaspora soit effectif, l’Etat haïtien doit dynamiser son économie, rétablir la paix et la sécurité, réformer son système judiciaire, résoudre les problèmes fonciers, dans le cas contraire aucun Haïtien profitant d’un niveau de vie élevé à l’étranger ne viendra risquer sa peau dans un pays où l’on peut tout perdre du jour au lendemain.

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