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Quand les jeunes artistes de Bainet font de la musique un instrument de lutte

(TripFoumi Enfo) – La musique est selon l’acceptation du barde français, Victor Hugo, du bruit qui pense. Cette conception qui accorde une justification à la musique pour faire du bruit son principal ressort, justifie encore plus la voix qui fait du bruit soit pour dénoncer, admirer, inspirer, en partant d’un réel qui mérite d’être repensé.

Pour rompre la tradition du silence, deux (2) voix se sont élevées parmi des milliers éparpillées sur le territoire de la baie nette, pour donner une démonstration à travers un morceau choisi de musique, au titre évocateur : POU BENÈ DEVLOPE.

En effet, cette chanson vidéo-clipée qui fait son tout premier début de prestation en ligne mérite une attention particulière dans le contexte général d’hibernation qui affecte une majorité écrasante de jeunes haïtiens qui projette leur avenir vers d’autres cieux au grand mépris de leur patrie locale.

En effet, cette chanson en question qui propose une autre alternative au désarroi de la Commune de Bainet porte un titre qui dessine la ligne d’orientation que doit prendre la jeunesse dictée par le moment par deux(2) porte-voies.

POU BENÈ DEVLOPE est une musique du genre rap-conscience structurée autour de deux grandes strophes de longueur inégale et de deux refrains.

La première strophe comporte dix-sept vers et le deuxième couplet 15 vers ; en grande partie de vers pauvres, mais qui sont intercalées par deux calembours découverts dans les vers 3 et 4 de la première strophe (Sara et Sa a ra) et les lignes 4 et 5 dans le deuxième couplet (Il s’agit de kitèks et Ki tèks ). Les refrains constitués de trois vers sont ainsi repris avec la même longueur.

Toujours est-il, cette chanson enregistrée et vidéo-clipée d’une durée de 3mn 14 secondes est réalisée par deux jeunes artistes bainetiens, dont le compositeur Marc-Arnaud Simony aka Across de son nom d’artiste et Danis Jean-Pierre dit Lolo Star en featuring. Ce projet en fait est innovateur car depuis les temps où la magie de la technologie draine les passions vers les vidéos, de rares artistes du milieu ont permis à leurs fans de rincer leurs yeux en savourant leur morceau depuis leur petit écran de smartphone.

Le premier couplet qui débute ce morceau porte la voix de l’artiste Across. Ce natif bainetien, nous plonge dans un océan d’amertume, en lançant un cri d’alarme sur l’état dégradant de la route conduisant à Bainet. Sans langue de bois, l’artiste fait revivre en plusieurs épisodes, des faits marquants sur lesquels il a dû former sa conviction pour lancer cet appel mobilisateur aux filles et filles de la commune afin d’asseoir son développement futur. L’artiste Across est sensible à la douleur de sa mère bainetienne dame Sara qui fait des pérégrinations qui croisent l’angle de la mort par rapport aux risques élevés des moyens de transport en commun. Ce dernier est affecté au risque de perdre sa mère dans des conditions non souhaitables.

Plus loin, l’artiste décrit la situation des jeunes de la patrie locale, qui au lieu de foncer dans la lutte, ont choisi délibérément de migrer soit vers la capitale ou vers des cieux plus cléments notamment ceux du chili et du brésil. Cette migration des jeunes vide la commune de ses meilleures têtes et constituent des entraves à un regain de patriotisme porteur du renouveau. D’ailleurs, sur le plan de la production agricole certes, cette absence de la main d’œuvre a affecté les capacités de la commune de pouvoir nourrir convenablement la population urbaine locale vu que la très grande portion de la production est drainée vers la capitale de Port-au-Prince.

Cette situation de désenchantement que dépeint l’artiste touche d’autres aspects de la vie sociale de la commune. Il évoque les dégâts provoqués par les averses et la recrudescence de la rivière Moreau qui constitue un péril imminent pour le potentiel de la commune, qui diminue au fil des ans, avec l’érosion des terres arides vers la baie de bainet. Les portions des terres des 8ème et 9ème sections de Bainet en subissent les effets irréversibles et nombreux sont les élèves originaires de ces zones rurales qui en payent les frais à leur établissement dans la ville pour la poursuite des études.

La ville sous-alimentée devient un espace d’insécurité alimentaire faute de pouvoir détenir de moyens économiques suffisants par les ménages pour se nourrir convenablement.

Cependant, la fête patronale de Saint Pierre qui représente un évènement annuel de grandes retrouvailles reste tout simplement un lieu de consommation de plaisirs de toutes sortes et de débauches tant que du côté des jeunes que des élites politiques locales. Aux yeux de l’artiste, cette occasion n’est pas exploitée pour canaliser les consciences sur des problématiques cruciales et évidentes. A son avis, au grand péril de sa commune tant aimée, la construction d’un pont sur la rivière de moreau, le renforcement d’un centre de santé non équipé en personnel et en matériels atténuerait sous cet angle, les risques imminents de la mort durant le parcours à destination d’un hôpital à Jacmel.
D’ailleurs, les récentes inondations de l’ouragan Laura qui survint les 22 et 23 août 2020 a affecté le département du sud ‘est et endommagea le tronçon de la route en terre battue conduisant à Bainet en passant par la commune voisine La Vallée de Jacmel. Pour mieux dire, au niveau du bas Tikita, un gué construit sur une nappe d’eau s’est écroulé en laissant une large crevasse, donnant une infime possibilité de passage au bord d’un précipice. Depuis lors, le transport à Bainet devient plus périlleux que jamais en empruntant cette voie. Tandis que parallèlement, au loin de ce calvaire, de belles plages non encore exploitées attendent sans coup férir de grands troupeaux de touristes locaux et internationaux pour mettre en valeur nos ressources touristiques et en tirer du même coup des gains économiques pour le développement de la collectivité bainetienne. Car, la construction de la route est une urgence pour éviter de compter des cadavres clame haut et fort Across dans le 17eme vers du premier couplet que sa voix en sanglot a entonné.

Cette chanson éditée en créole nous propose dans son refrain la solution de départ pour reconstruire cette ville frappée d’inertie. En trois lignes, le compositeur met le cap de son projet sur la construction d’infrastructures telles que : route, super marché, bibliothèque, hôpital, centres de loisirs etc.
Le deuxième couplet de la chanson porte à l’écran, un autre jeune artiste qui collabore au projet en enchainant la logique de Across. L’artiste Lolo Star vient apporter sa touche au tableau en dépeignant la situation angoissante de la ville en se référant à son histoire de ville tricentenaire (L’âge historique de la ville est proche de 322 ans). Sa voix dans le morceau est un rappel sur le potentiel de Bainet comme étant la deuxième ville construite dans le jeune département sud-est.

Plus loin, il pointe du doigt son état de délabrement et prône l’urgence de construire École et Université afin de mobiliser une masse critique de ressources humaines et de cadres qualifiés pour lancer ce méga projet de développement. Selon l’esprit de la chanson, cette approche qui doit être la priorité des priorités exige aussi une démarche visant la promotion de la pensée positive afin de saper les bases de la tendance qui prévaut dans le milieu c’est-à-dire, fuir ou abandonner la Commune pour migrer vers la capitale et s’y établir.

Dans cette perspective, la Génération consciente doit jeter les bases pour permettre à la prochaine génération d’avoir un meilleur héritage apte à favoriser son bien- être. Car, l’artiste dénonce une question cruciale qui mérite une solution éthique. Devant l’évidence d’une éducation médiocre qui a tendance à se normaliser, puis la contagion à faire école avec la méchanceté, cette jeunesse épurée accorde carte rouge aux hommes et femmes qui promeuvent ces valeurs qui sont nettement en déphasage avec le temps du développement.

Bref, au moyen de cette chanson, une nouvelle jeunesse se dessine comme porteuse d’un nouveau projet social pour la commune de Bainet. La voix de ces artistes est un canal et il existe plein d’autres pour que ce message puisse se transformer en une action concrète. Il reste maintenant que le temps de passer à l’action. Car pour reprendre les mots du philosophe et homme politique irlandais Edmund Burke : ‘’La seule chose qui permet au mal de triompher est l’inaction des hommes de bien…’’

Willy Jean-Louis fit Ghandi

Sociologue/Formateur

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