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Comment désarmer la violence en Haïti?

(TripFoumi Enfo) – La première œuvre à accomplir par l’homme sur terre c’est bien de créer un espace paisible et sécurisé. Donc la paix et la sécurité sont les biens les plus précieux dont l’homme peut jouir. Sans ces derniers, quel que soit le rang social de l’homme, sa santé demeurera chancelante, sa force déclinera et sombrera dans le désespoir. Sur ces entrefaites, les pauvres des pays les plus sécurisés au monde ne sont-ils pas plus riches que les bourgeois des pays les plus dangereux ? Le Rwandais pauvre, mais qui peut vaquer à ses occupations en toute quiétude, ne vit-il pas mieux que l’Haïtien riche qui vit dans la peur, frôle le kidnapping tous les jours ? Que faire lorsque la violence s’empare d’une société ?

Le phénomène de la violence fait partie intégrante de l’histoire de l’humanité (Bazier, 2006). Elle est définie par l’Organisation Mondiale de la Santé comme l’utilisation intentionnelle de la force physique, de menaces à l’encontre des autres ou de soi-même, contre un groupe ou une communauté, qui entraîne ou risque fortement d’entraîner un traumatisme, des dommages psychologiques, des problèmes de développement ou un décès (OMS, 2000) Pouvant prendre multiples formes, à des degrés divers : elle peut être d’ordre moral, physique, verbal, psychologique, économique, sexuel (Bazier, 2006).

Plusieurs modèles théoriques essaient d’expliquer ce phénomène en se référant à l’Etat. Le modèle juridico-étatique présente l’Etat comme une instance de contre violence. C’est-à-dire la violence exercée par l’Etat se justifie d’être une réponse à une violence antérieure. Position soutenue par Max Webert (1919) et Jurgen Habermas (1997). Donc ce modèle consiste à coupler un primat du droit et une instance chargée de faire respecter l’Etat (Navet et Vermeren, 2003). Quant au modèle révolutionnaire, il n’est qu’une critique du premier modèle. Il remet en cause l’Etat comme figure de rationalité, le présente comme une instance qui dissimule et renforce une violence de classe. C’est pourquoi, dit Karl Marx (1844), il est justifié, dès lors, d’exercer à son endroit comme à l’endroit de la classe dominante une contre violence. Le modèle néo-libéral va à l’encontre des deux premiers modèles et voit la violence exercée par ceux ejectés du système inégalitaire comme un moyen de survie. Une réponse aux différents problèmes sociaux auxquels ils font face (Arendt, 2001). Sur ce, nous utilisons le modèle révolutionnaire et néo-libéral comme cadre référentiel pour critiquer un article condamnant la violence du peuple haïtien ces deux dernières années et pour expliquer la violence des groupes armés dans tous les coins du pays.

Dans un article paru chez l’audienceur le 21 janvier 2021, rédigé par Richenel Ostiné, intitulé ”Les manifestations violentes de l’opposition politique : une violation systématique des droits fondamentaux de la population haïtienne”, l’auteur soutient la position de l’ONU selon laquelle les manifestations de l’opposition politique entachées de violences armées, de blocages des routes nationales par des barricades enflammées, d’incendies de biens publics et de pillages d’entreprises privées ont eu un impact négatif sur la capacité de l’État à fournir des services de base à la population haïtienne. Pour manifester notre désaccord à cet article, nous utilisons l’approche révolutionnaire de la violence. D’une part, nous soutenons que ”le pays lock” a certainement eu un impact négatif sur les secteurs vitaux (économie, culturel, social, éducatif) de la vie nationale mais pas sur la capacité de l’Etat haïtien à fournir des services de base à la population haïtienne. Car l’Etat haïtien a toujours fait preuve d’incapacité quant à répondre aux besoins de base de la population. L’Etat haïtien est anti-peuple, affirment moult auteurs. L’Haitien a toujours su comment fouiller le paradis et la terre pour trouver de quoi tromper la faim. D’autre part, nous jugeons que l’auteur a abordé la question de la violence en Haïti de manière très superficielle. Une étude en profondeur lui permettrait de comprendre que la violence de l’opposition politique n’est qu’une réponse aux violences exercées par l’Etat à travers l’inflation des prix des produits de premières nécessités et la hausse des prix du pétrole. Donc la violence du peuple s’inscrit dans le cadre d’une contre violence.

Qu’en est-il de la violence exercée par les groupes armés ? Pourquoi tous les jeunes haïtiens des ghettos s’arrangent pour être au côté de ceux lourdement armés ? Cette préoccupation n’est pas seulement nôtre, elle est celle de madame Yanick Lahens. Comme l’explique le modèle néo-libéral, lorsque dans une société les gens des ghettos sont méprisés, oubliés, privés de tout (éducation, santé, emploi, loisir), la violence leur devient un moyen de subsistance, pour se réhabiliter même pour quelques secondes, faire entendre leur voix. Donc les jeunes se voient à travers les bandits par manque de choix et parce que frappés par l’appétit de l’immédiateté (tout avoir sans jamais travailler un jour). Ils oublient que suivre la voix des bandits c’est faire choix d’être malheureux pour le restant de leur vie. Parce que être bandit c’est perdre sa liberté de mouvement. Mais en Haïti, le bourgeois est-il heureux ?

Faisons une analyse comparative entre le Rwanda et Haïti pour montrer la misère du bourgeois haïtien. Selon un rapport de Gallup publié en 2015, le Rwanda est l’un des pays les plus sûrs au monde, où les gens peuvent marcher seuls dans la nuit. Avec ses parcs nationaux, son réseau de transport performant, sa petite taille et un climat sécuritaire serein, le Rwanda est une destination de premier choix. D’ailleurs Kigali est la ville la plus propre d’Afrique (Francetvinfo, 2018). Quant à Haïti, selon l’indice de Paix Mondial ( 2018), elle est classée parmi les pays les plus dangereux au monde. Port-au-prince est la quatrième ville la plus sale au monde (Tripfoumi, 2020). Par conséquent, les pauvres des pays sécurisés sont plus riches (du point de vue de la santé) que les bourgeois des pays dangereux, car la violence ne procure que des peines, nous prive du bien-être physique et psychologique, alourdit les fardeaux de la vie, désapproprie les populations de la liberté et de l’indépendance.

Il est incontestable que la violence ne fait qu’enfoncer le pays dans l’abîme. Pour désarmer cette violence, en sortir, comme a eu à le proposer Yanick Lahens, Gaëlle Bien-Aimé et Jean Waddimir Gustinvil qui ont eu à animer la nuit des idées à l’Institut Français en Haïti le 28 janvier 2021, nous devons la transformer. La littérature, la musique, la beauté, l’amour, l’art, le sport, l’éducation, la satisfaction des besoins sociaux de base en sont les moyens. Qui a ce rôle dans toutes les sociétés humaines ? L’Etat. L’Etat haïtien peut-il accomplir cette belle œuvre ? Nous répondons non, parce que, au cours de son histoire il n’a jamais travaillé à la promotion sociale et matérielle des plus faibles. D’où la nécessité de reconstruire l’Etat haïtien, si bien sûr il a existé.

Cet article n’a pas épuisé le sujet. Nous n’avons pas cette prétention. Le phénomène de la violence est trop complexe pour penser pouvoir l’aborder dans toute son ampleur et sa dimension dans quelques lignes. Cependant il n’est qu’une modeste contribution à cette grande lutte contre la violence. Nous devons tous nous engager, quelle que soit notre position sociale. Car, en cas de passivité, tôt ou tard elle frappera à notre porte.

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