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Des citoyens haïtiens et canadiens demandent à Justin Trudeau de se désolidariser de Jovenel Moïse

(TripFoumi Enfo) – Des citoyens canadiens et haïtiens résidés au Canada ont conjointement ce 19 février adressé une correspondance au Premier ministre canadien Justin Trudeau, dans le but de lui demander de se désolidariser du gouvernement haïtien « dont le mandat du président Jovenel Moïse est constitutionnellement arrivé à terme » disent-ils. Composé de cadres et d’étudiants de différents niveaux, ils sont 25 à avoir signé cette lettre, dont le poète haïtien John Wesly Delva. Lisez dans les lignes ci-après l’intégralité de cette correspondance avec TripFoumi Enfo.

Monsieur Justin Trudeau, Premier Ministre du Canada, [email protected] [email protected]

Bureau du Premier Ministre et du Conseil privé, 80, rue Wellington St, Ottawa, ON K1P 5K9.

En ses bureaux.-
Monsieur le Premier Ministre,
Montréal, le 19 février 2021.
Nous, citoyen.ne.s canadien.ne.s d’origine haïtienne, citoyen.ne.s haitien.ne.s résidant au Canada ou étudiant.e.s haitien.ne.s dans différentes universités canadiennes, avons l’honneur de vous faire parvenir cette présente pour demander au gouvernement canadien de se désolidariser du gouvernement haïtien dont le mandat du Président de la République est constitutionnellement arrivé à terme depuis le 7 février 2021.

Votre gouvernement n’a jusqu’à présent pas encore pris de position officielle et unilatérale concernant la situation d’instabilité politique qui sévit en Haïti et alimentée par les mauvais agissements et les décisions antidémocratiques du gouvernement haïtien en place, maintenant de facto. Cependant, l’Organisation des États américains (OEA), les Nations unies à travers le Bureau intégré des Nations unies en Haïti (BINUH) et le CORE GROUP, dont le Canada est membre, soutiennent le Président haïtien. En l’absence d’une position officielle et unilatérale, votre gouvernement est donc réputé apporter son plein et entier soutien au Président haïtien et cautionne, en conséquence, ses mauvais agissements qui mettent en danger la population haïtienne et la démocratie en Haïti.

Monsieur le Premier Ministre, une liste non exhaustive de tels agissements devrait vous sensibiliser sur le fait que le Canada ne doit nullement continuer à apporter son soutien à un Président de facto qui se maintient au pouvoir par la force et contre la position des forces vives de la nation. Les faits dont il s’agit peuvent se classer en trois catégories: le démantèlement ou l’affaiblissement des institutions républicaines, la « gangstérisation » des quartiers populaires et la répression violente des mouvements populaires.
Permettez-nous, Monsieur le Premier Ministre, de vous rappeler, sinon de vous informer, certains faits qui peuvent attirer votre attention sur le véritable démantèlement ou l’affaiblissement des institutions républicaines. Il y a lieu de citer en effet :

  1. la non-réalisation des élections telles que exigées par la Constitution haïtienne a permis au Président Moïse de facto, d’une part, de constater la « caducité » du Sénat haïtien le 13 janvier 2020 et l’inexistence de la chambre des députés à partir de cette même date et, d’autre part, de remplacer les conseils municipaux par des conseils intérimaires composés de membres proches du Président ;
  2. l’affaiblissement de la Cour des comptes qui, par arrêté présidentiel, perd son droit de contrôle sur les actes du gouvernement ;
  3. l’affaiblissement de la Cour de cassation depuis le début du mois de février 2021 par la révocation illégale et arbitraire de trois juges, pourtant inamovibles selon la Constitution, et la nomination en dehors des lois de la République de trois nouveaux juges réputés à la solde du pouvoir. Un tel acte affaiblit davantage la justice haïtienne déjà fragilisée par le Président de facto lui-même qui avait déclaré, le 13 décembre 2017, qu’il a été contraint de nommer 50 juges soupçonné.e.s de corruption dans le système judiciaire haïtien.

S’y ajoutent l’arrestation, la menace de mort et le mauvais traitement d’un Juge à la Cour de cassation et de plusieurs autres personnalités faussement accusées par le gouvernement de fomenter un coup d’État et de vouloir attenter à la personne du Président Moïse. Pour justifier de telles actions, le Président prétend invoquer la Constitution pour constater la « caducité » du Sénat imputé de deux tiers, et pour s’octroyer les pleins pouvoirs en revendiquant d’être le garant de la bonne marche des institutions républicaines. Vous aurez compris, Monsieur le Premier Ministre, la contradiction qui entache une telle prétention, car comment le Président de la République peut-il garantir le bon fonctionnement des institutions républicaines et démocratiques en les démantelant ou les affaiblissant ?

Monsieur le Premier Ministre, vous êtes sûrement informé de l’insécurité qui sévit en Haïti à cause de la prolifération des gangs, notamment dans les quartiers populaires. Certains de ces gangs, qui ont le soutien du pouvoir et qui seraient même reconnus par le Ministère des affaires sociales et du travail par la création du groupe G9 et alliés, agissent pour le compte du gouvernement et prennent des positions publiques au profit du régime en place. À titre d’illustration, nous voulons attirer votre attention sur les faits suivants :

  1. les divers massacres perpétrés dans diverses localités de la Capitale haïtienne, dont ceux de La Saline en novembre 2018 et de Bel-air en novembre 2019, n’ont donné lieu à aucune arrestation des membres des gangs impliqués et des personnalités politiques proches du pouvoir en place soupçonnées d’avoir participé dans de tels massacres, malgré les différents rapports des organisations haïtiennes de défense des droits humains et de l’ONU ;
  2. les nombreux cas de kidnapping dont la plupart sont revendiqués publiquement par des membres du groupe G9 ne semblent inquiéter le pouvoir en place car aucun effort n’a été constaté du côté des autorités policières pour faciliter la libération d’otages et, de surcroît, pour aboutir à l’arrestation des kidnappeurs ;
  3. des membres des gangs réputés proches du pouvoir font l’objet de mandat d’arrêt et d’avis de recherche mais circulent librement et organisent des manifestations publiques pro gouvernementales et sous la protection de la police haïtienne.

Ce banditisme d’État crée une situation invivable pour les citoyen.ne.s haïtien.ne.s et les ressortissant.e.s étranger.ère.s. En témoignent les nombreux cas d’assassinat et de prise d’otage de citoyen.ne.s haïtien.ne.s et certains cas d’assassinat et de kidnapping de citoyen.ne.s étranger.ère.s dont la tentative d’assassinat sur le canadien Philippe Fils-aimé et sa famille dans la nuit du 22 au 23 décembre 2020, l’assassinat de M. Wilner Bobo dans la nuit du 27 au 28 août 2020, l’enlèvement le 23 janvier 2021 suivi de la libération contre rançon de M. Philippe Schubert Samedi, tous les trois citoyens canadiens d’origine haïtienne.

La police haïtienne vassalisée et déchirée par des conflits internes est incapable de protéger la population. Bien au contraire, elle est utilisée par le pouvoir en place pour réprimer violemment

les manifestations populaires et pour assassiner les citoyen.ne.s, comme en témoigne l’assassinat le 2 octobre 2020 d’un étudiant dénommé Grégorie St-Hilaire dans l’enceinte même d’une faculté de l’Université d’État d’Haïti par un agent de l’unité de la Police responsable de la garde présidentielle. Même le quartier de la résidence privée du Président de facto, hautement surveillé par des agents de la Police nationale, a été le spectacle de l’assassinat du Bâtonnier de l’Ordre des avocats de Port-au-Prince, en l’occurrence Me. Monferrier Dorval le 28 août 2020. Tous ces faits, dont la plupart font l’objet d’enquêtes interminables, sont restés impunis. Il est à noter également, Monsieur le Premier Ministre, que même l’organisation internationale de défense des droits de l’homme dénommée Avocat sans frontières Canada avait plaidé en faveur de la création d’une commission d’enquête internationale visant à faire la lumière sur l’assassinat du Bâtonnier, mais aucune suite n’a été donnée du côté des autorités étatiques haïtiennes.

Monsieur le Premier Ministre, vous conviendrez avec nous que dans le cadre d’un pays démocratique comme le Canada de tels actions et agissements seraient suffisants pour pousser le peuple canadien à se soulever et à prendre définitivement congé de tout gouvernement qui en serait reconnu responsable et coupable. Malgré les différentes manifestations populaires et dénonciations des actes de corruption, de crimes financiers et de ce banditisme d’État, la communauté internationale, y compris votre gouvernement, continue d’accorder son soutien au Président sous le prétexte du respect du mandat présidentiel et de l’ordre constitutionnel, en signe du respect du principe démocratique relatif au renouvellement du personnel politique par l’organisation des élections.

Monsieur le Premier Ministre, les élections n’ont pas été organisées à temps par le pouvoir en place pour renouveler le personnel politique des municipalités, du parlement et de la présidence. Aujourd’hui, différents secteurs de la vie nationale se mettent d’accord pour constater la fin du mandat présidentiel, selon la même interprétation de la Constitution haïtienne dont le président de facto s’est servi pour constater la « caducité » du Sénat et l’inexistence de la chambre des députés en janvier 2020. Pour vous aider à bien apprécier la volonté du peuple haïtien exprimée par le canal de différents secteurs de la vie nationale ou par les mouvements populaires, nous attirons votre attention sur les prises de positions suivantes :

  1. le Conseil Supérieur du Pouvoir Judiciaire, à travers une résolution datée du 6 février 2020, a exhorté au Président de facto de respecter l’esprit et la lettre de l’article 134.2 de la Constitution haïtienne amendée le 9 avril 2011, lequel article qu’il a lui-même utilisé pour constater la caducité du Sénat et dont la lecture montre que son mandat est arrivé effectivement à terme le 7 février 2021 ;
  2. le président du Sénat dans une note rendue publique le 8 février 2021 exprime sa position personnelle en faveur du respect de l’article 134.2 de la Constitution ;
  3. la Fédération des barreaux d’Haïti a adopté le 30 janvier 2021 une résolution dans laquelle il a été constaté que le mandat de Moïse prendrait fin le 7 février 2021 ;
  4. le secteur religieux, à travers une note de la Konfederasyon vodou nasyonal entènasyonal revolisyonè du 3 février 2021, un communiqué de presse de la Conférence des Pasteurs Haïtiens du 9 février 2021 et un message des Évêques Catholique d’Haïti sous le label de la Conférence Épiscopale d’Haïti, a pris position en faveur du départ du Président pour le 7 février 2021 ;
  5. l’Université Quisqueya, à travers la Chaire Louis-Joseph Janvier sur le constitutionnalisme en Haïti, a publié le 8 février 2021 une « note sur l’expiration du mandat du Président Jovenel Moïse » qui montre que le mandat présidentiel se termine le 7 février 2021 selon une lecture technique des articles 134.1 et 134.2 de la Constitution ;
  6. La diaspora haïtienne, à travers des notes publiées par des associations, dont « La voix des réfugiés » aux États-Unis, et des notes de dénonciations ou des correspondances d’étudiant.e.s haïtien.ne.s à l’étranger, dénonce les agissements antidémocratiques du Président de facto en l’exhortant de respecter la fin constitutionnelle de son mandat ;
  7. La manifestation populaire organisée dans la Capitale haïtienne le 14 février 2021 où des centaines de milliers de personnes ont investi les rues pour demander au Président de facto de quitter le pouvoir et pour dénoncer le retour à la dictature en Haïti.

Monsieur le Premier Ministre, il n’y a pas que le peuple haïtien qui s’inquiète des dérives du pouvoir en exprimant son refus des agissements antidémocratiques du gouvernement. En effet, la Global Justice Clinic de New York University, l’International Human Rights Clinic de la Harvard Law School et la Lowenstein International Human Rights Clinic de la Yale Law School ont conjointement publié une déclaration le 13 février 2021 pour exprimer leur préoccupation quant à la détérioration de la situation des droits de l’homme en Haïti. Ces trois prestigieuses universités américaines sont parvenues à conclure, après analyse des textes de loi et de la Constitution haïtienne amendée, que le « mandat de Jovenel Moïse est largement considéré comme terminé le 7 février 2021 ». Au Canada, la Conférence religieuse canadienne dans une lettre qui vous a été adressée le 11 février 2021 vous demande, Monsieur le Premier Ministre, de « défendre les valeurs démocratiques en dénonçant ouvertement et clairement le régime dictatorial instauré par le président Jovenel Moïse en Haïti ». Également, différentes personnalités, dont l’ancien ambassadeur Stephen Lewis, l’animateur et écologiste David Suzuki, l’auteure Naomie Klein et consorts ainsi que 100 autres universitaires, ont paraphé une lettre pour demander au gouvernement canadien de mettre fin à l’appui donné au Président haïtien considéré comme « répressif, corrompu et dépourvu de légitimité constitutionnelle ». En outre, des québécois.es organisent, en ce jour même du 19 février, une manifestation contre l’appui du Canada au retour de la dictature en Haïti devant le Bureau du Ministre des affaires étrangères du Canada.

Monsieur le Premier Ministre, toutes ces prises de positions se basent sur le constat réel de la mauvaise foi de monsieur Jovenel Moïse, qui ne veut pas respecter la Constitution, et de la concentration du pouvoir sur sa seule personne. Il dirige le pays d’un bras de fer en se garantissant de la protection de la Police nationale, des Forces armées d’Haïti, des gangs pro gouvernementaux et d’un corps armé formé par le gouvernement dénommé Brigade de surveillance des airs protégées. C’est donc à juste titre que le peuple haïtien et des citoyen.ne.s étranger.ère.s, dont des canadien.ne.s, s’inquiètent du retour de la dictature en Haïti. Car, le Président de facto légifère depuis janvier 2020, forme un Conseil électoral provisoire avec des personnalités douteuses et selon son gré, prévoit de changer la Constitution en dehors des prescrits constitutionnels et malgré les désaccords des forces vives de la nation, et s’entête à organiser des élections malgré le refus de la société civile et de la majorité des partis politiques d’une telle démarche, lequel refus étant provoqué par un déficit de confiance des membres dudit conseil électoral.

La communauté internationale, dont le Canada, ne peut pas continuer à soutenir un Président qui met en péril la démocratie en instaurant un régime dictatorial en Haïti. Monsieur le Premier Ministre, le Canada doit entendre raison et écouter les forces vives de la nation haïtienne et les citoyen.ne.s étranger.ère.s, dont les canadien.ne.s, qui demandent à Jovenel Moïse de respecter la fin constitutionnelle de son mandat survenue depuis le 7 février 2021.

Veuillez agréer, Monsieur le Premier Ministre, nos salutations distinguées.
C.c. : Erin. O’Toole, Chef du Parti Conservateur ([email protected]), Jagmeet Singh, Chef du NPD ([email protected]) et Yves François Blanchet, Chef du Bloc Québécois (Yves- [email protected]).
Suivent les signatures :

1) Junior AGENA, étudiant à la Maîtrise en Droit des affaires à l’Université de Montréal.

2) Frantzy Beauvais, diplômé en Maîtrise en Travail Social à l’Université du Québec à Chicoutimi.

3) Jefferson Solon, travailleur social et étudiant à la Maîtrise en travail social à l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue.

4) Junior Rosier, étudiant au doctorat en Philosophie à l’Université du Québec à Trois-Rivières.

5) John Wesley DELVA, étudiant en communication et politique à l’Université de Montréal, poète.

6) Thervilson MULÂTRE, étudiant au doctorat en Philosophie à l’Université du Québec à Trois-Rivières.

7) Quesnel FILS-AIME, étudiant au baccalauréat en administration à l’Université du Québec à Montréal.

8) Alex Milhomme, diplômé à la maîtrise en administration de l’éducation, enseignant d’histoire et de géographie.

9) Cassandra Jean-Baptiste, diplômée en droit civil/ développement international et
mondialisation.

10) Patrick Télémaque, diplômé à la maîtrise en éducation à l’Université d’Ottawa.

11) James OSNE, étudiant en science politique à l’Université de Montréal.

12) Wilson Jean, diplômé en Travail social et en Science de l’éducation.

13) Elie Diespt AUGUSTIN, Avocat et étudiant en Relation Internationale.

14) Astrude RENARD, Travailleuse Sociale, intervenante Psychosociale.

15) Richardson L. Charles, économiste, Global Supply chain management Specialist, Diplômé HEC Montréal

16) Evenold SENAT, étudiant en Maîtrise ès art sociologie, à l’Université d’Ottawa.

17) Marc Emmanuel Dorcin, Maîtrise en Droit, Université Laval.

18) Dieubon SAINTINE, Spécialiste en développement économique.

19) Handy Leroy, étudiant au Doctorat en Travail social, Université d’Ottawa.

20) Wilton Vixamar, Dr. en médecine, citoyen engagé.

21) Sabine BAZILE, Bachelière en travail social, agente de relations humaines.

22) Stevens AZIMA, étudiant au Doctorat en agroéconomie, Université Laval.

23) Josué FORTUNE, bachelier en criminologie, Université d’Ottawa.

24) Wadna Jean-Louis, étudiante en comptabilité et gestion.

25) Frantz ANDRÉ, Comité d’Action des Personnes Sans Statut (CAPSS).

Pour authentification : Junior AGENA
[email protected]
Jefferson SOLON
[email protected]
Cassandra Jean-Baptiste
[email protected]

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