HaïtiOpinionPolitique

La conception de l’homme haïtien du pouvoir

(TripFoumi Enfo) – Pour l’Haïtien, le politicien qui a eu à servir l’Etat et qui après son mandat ne roule pas sur l’or a raté sa vie. Tandis que celui qui a éventré les caisses de l’Etat et s’est adonné à toutes sortes de trafics illicites en abusant de son immunité est considéré comme un homme qui a réussi sa vie et dans la vie. La politique en Haïti est un moyen de réhabilitation personnelle non celui de la réhabilitation collective. Ceci ne serait possible sans la complicité du peuple. Mais qu’est-ce qui pousse les Haïtiens à concevoir la sphère politique haïtienne comme la caverne d’Ali baba ?

Quand on laisse un peuple sans éducation, n’attendez pas à ce qu’il se façonne un jour. En démocratie, tout peuple pour voter lucidement a besoin d’un minimum d’éducation civique et sociale. Comme le dit Réjean Bergeron (2016), la démocratie et l’éducation sont, en fait, l’envers et l’endroit d’une même médaille. L’une ayant besoin de l’autre pour exister et se fortifier, la vitalité d’une démocratie découlera de la qualité de la formation de ses citoyens. Donc l’homme ne peut devenir homme que par l’éducation (Kant, 1803).

Quelle place occupe l’éducation civique en Haïti ? Définie comme un processus interactif et continu, elle vise à créer un environnement socioculturel global où les valeurs de la démocratie sont comprises et appliquées par la population. Un tel environnement n’est pas quelque chose qui émerge simplement. C’est la conséquence des actions réfléchies des personnes conscientes de leurs responsabilités vis-à-vis d‘elles-mêmes et de la communauté. Un programme d’éducation civique complet englobe la compréhension publique des concepts clés de la gouvernance dans un système démocratique et l’information de base que chaque citoyen en tant qu’acteur du changement et électeur potentiel doit obtenir afin d’exercer ses droits et devoirs civiques, y compris bien entendu celui de voter, en toute conscience et indépendance (CEIS, 2015). L’école est l’instance par excellence de transmission de cette éducation. Pour comble de malchance, dans le schème social haïtien, beaucoup d’écoles n’enseignent plus le cours de civisme. Les rares écoles qui enseignent cette matière font face à au moins deux problèmes : le contenu du cours n’est pas toujours assez efficace pour susciter l’amour de la patrie chez l’enfant et en outre il y a une inadéquation entre les valeurs enseignées à l’école et les réalités que l’écolier vit dans la société. On constate en effet que les valeurs enseignées à l’école pour être un bon citoyen ne sont pas vraiment pratiquées par les élites. Dans ce contexte, les jeunes finissent par abandonner lesdites valeurs (Lenational,2019). Lors des élections, c’est leur ventre le guide.

À ce sujet, qui gagne les élections en Haïti ? Ce ne sont pas les candidats détenteurs d’un projet de société qui gagnent les élections mais ceux qui peuvent acheter la conscience du peuple. Que vaut la conscience du peuple ? Pas plus que 1000 gourdes, une petite bouteille de rhum barbancourt ou de Bakara ou un plat chaud. C’est pourquoi beaucoup de candidats ne perdent pas leur temps à faire de grandes dépenses lors des campagnes électorales dans la fabrication d’affiches, dans l’installation de posters sur billboards géants, dans la diffusion de spots radiophoniques et télévisés, dans la tenue de meetings, dans l’organisation de tournées dans différents points géographiques du pays (Lenouvelliste, 2015). Ils ne se contentent que d’acheter le vote du peuple au-devant des centres de vote. Et tous ces argents investis, ils les reprennent en faisant du chantage lors de la ratification des politiques générales de Premier Ministre, la convocation des membres du gouvernement, dans la proposition d’un ministre ou d’un directeur général.

Le peuple est-il l’unique complice ? Le système électoral et le modèle de politique de financement des candidats sont construits pour barrer la route aux gens honnêtes, aux intellectuels, aux professeurs. Mais laissent le champ libre aux malfrats, aux voyous et aux illétrés. Les financeurs de candidats, la communauté internationale et les conseillers électoraux le savent bien, il est plus facile de manipuler un corrompu, un cancre, qu’un homme qui inspire une haute estime, un intellectuel. Avantager les voyous s’inscrivent dans une dynamique d’anéantissement du pays.

Le secteur de la presse parlée et télévisée, l’un des plus grands complices des politiciens véreux. Dans la distraction du peuple, il est un élément primordial de contrôle social. Noam chomsky en a fait mention dans les ‘’Dix stratégies de manipulation de masses’’. Selon lui, la stratégie de la diversion est l’une des manières de manipuler un peuple. Elle consiste à détourner l’attention du public des problèmes importants et des mutations décidées par les élites politiques et économiques, grâce à un déluge continuel de distractions et d’informations (Chomsky, 2010). Pour mettre en œuvre cette stratégie, les médias constituent le canal de ruissellement. Ce sont ces derniers qui anesthésient le peuple en détournant leur attention des véritables problèmes sociaux ; des dilapidations de fonds publics. Donc on ne peut manipuler un peuple sans l’apport des médias.

Au final, l’éducation et l’intelligence sont une arme pour un peuple. Un peuple sous éduqué aura toujours son destin dans les mains des peuples les plus éduqués (Diallo…), des crapules, des patripoches, des sindindins, des cultivés ignorants. C’est la triste situation d’Haïti depuis un quart de siècle. Y a t-il de l’espoir pour son avenir ? Le plus d’un million de personnes qui ont bravé les dangers dans les rues de Port-au-prince le 28 février 2021 pour marcher contre la dictature, la médiocrité, la corruption est un signe que quelque chose est en train de changer en Haïti. Peut-on déjà parler de la renaissance de l’Etat-nation ? Trop tôt pour l’affirmer mais le pays est dans une bonne dynamique.

Adblock Detected

Please consider supporting us by disabling your ad blocker