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Haïti a besoin d’hommes doués d’esprit et d’intelligence pour son rehaussement

(TripFoumi Enfo) – L’Etat haïtien est incapable d’alimenter la population, de protéger la santé des enfants, d’émanciper les femmes, d’alphabétiser les citoyens, les soigner, les loger et les vêtir. Nous sommes devenus les parias des Caraïbes. Nos actes politiques démagogiques nous ont transformés en de véritables comédiens. Comment un peuple qui a réhabilité la race noire, produit des individualités aussi douées d’esprit et d’intelligence que Henry Christophe, Alexandre Pétion, Toussaint Louverture et Jean-Jacques Dessalines, peut-il tomber aussi bas ? C’est la question à laquelle cet article s’efforce de répondre.

Jusque dans les années 40, l’élite intellectuelle haïtienne pouvait s’enorgueillir d’être l’une des mieux formées de la Caraïbe, si ce n’est la mieux formée. L’Haïtien était le bienvenu dans pratiquement tous les pays de la Caraïbe. Malgré le fait qu’après l’abolition de l’esclavage en 1804 les paysans n’eurent pas accès à l’éducation et à l’instruction (Dépestre, 2005), ils étaient reçus comme des rois en Martinique et en Guadeloupe. D’ailleurs c’était une grande fierté pour ces peuples d’accueillir un Haïtien dans leur demeure. Cette hospitalité manifestée à l’égard de l’Haïtien était due à sa grande contribution à la réhabilitation de la race noire.

Mais qu’est-ce que réhabiliter la race noire ? Réhabiliter la race noire c’est, au sens de Hannibal Price (1898), rendre à l’homme noir son humanité, le libérer du joug de l’esclavage. Ce que le système esclavagiste, à travers le code noir, lui avait ôté en le ravalant au rang de chose, d’animal (Nicort,2015). Outre cela, pour avoir été le mouton noir écarté du banquet des nations (Icart, 1987), réhabiliter la race noire c’est aussi l’intégrer dans le concert des nations afin qu’elle puisse discuter d’égal à égal avec toutes les autres races.

Que doit-on retenir des émancipateurs de la race noire ? Aimé Césaire (1963), à travers ”la tragédie du roi Henry Christophe”, a chanté les mérites de Christophe pour avoir édifié au Nord d’Haïti la Citadelle Laferrière qui demeure le plus grand symbole de la résistance des noirs à la colonisation. Anténor Firmin (1885), dans son ouvrage hautement anthropologique intitulé ”de l’égalité des races humaines”, a fait l’éloge de la dimension internationale d’Alexandre Pétion pour le rôle éminent qu’il fit jouer à son pays dans l’histoire des luttes de libération de l’Amérique hispanique. Dans l’ouvrage sociologique et historique du général Nemours (1941) titré ”Histoire de la famille et de la descendance de Toussaint Louverture”, il rapporte que Napoléon Bonaparte avait reconnu les capacités d’homme d’Etat de Toussaint Louverture dans les correspondances échangées entre les deux hommes : << le Premier des Noirs au Premier des Blancs >> ; << le Premier des Blancs au Premier des Noirs >>. Par ailleurs, au seuil de sa mort, le Premier des Blancs a regretté d’être resté sourd à la proposition géniale du consul noir de Saint-Domingue, à savoir faire de l’île d’Haïti une sorte de Commonwealth à la française qui eût permis l’émancipation des noirs d’Haïti sans rupture avec la France. Les Russes considèrent Jean-Jacques Dessalines comme l’un des plus grands génies militaires. Sa stratégie militaire a été étudiée par les soviets. Ces hommes, nous dit René Dépestre (1998), dans ”Ainsi parle le fleuve noir”, ont détruit le mythe du prétendu esprit de résignation qui aurait caractérisé l’homme noir.

Comment sommes-nous devenus les parias, les comédiens des Caraïbes ? Ce sont nos choix politiques qui ont réduit Haïti à l’état de squelette comme un pauvre vieillard. En 1957 nous avons fait choix du médecin François Duvalier au lieu de l’industriel Louis Déjoie. Le premier est un homme d’esprit tandis que le second est un homme d’intelligence et d’esprit. En 1990 il fallait choisir entre Jean Bertrand Aristide et Marc Bazin, deux hommes d’esprit. En 1995, nous avons élu l’agronome René Préval, un politicien madré mais un homme de petite intelligence. En 2001, Jean Bertrand Aristide est réélu. En 2006, l’homme de petite intelligence René Préval remporte les élections face à Leslie Manigat, un homme d’esprit et d’intelligence. À noter qu’en 1988 ce dernier a été renversé au pouvoir par un coup d’Etat militaire. En 2010, l’artiste Michel Martelly bat à plate couture la professeure et constitutionnaliste Mirlande Manigat. En 2016, Jovenel Moïse, cet illustre inconnu, parvient à la magistrature suprême de l’Etat. Donc au cours des 70 dernières années, Leslie Manigat, ayant passé quatre mois au pouvoir, est le seul homme doué d’intelligence et d’esprit qui a eu la chance de mener la barque du pays. Jean Bertrand Aristide le deviendra après son deuxième exil.

Mais quelle différence existe-il entre l’homme d’esprit et celui intelligent ? Pour apporter une réponse à cette interrogation nous nous approprions d’une réflexion de Dany Laferrière sur la question dans son bouquin titré ”Cette grenade dans la main du jeune Nègre est-elle une arme ou un fruit ?, paru en 2002. Selon lui, l’esprit est universel tandis que l’intelligence est cette faculté de s’adapter à son environnement, de le transformer. Être un homme d’esprit c’est accepter l’autre malgré sa différence. Or la relation de l’Haïtien avec l’Haïtien se fonde sur le mépris, la haine, la barbarie. Ils ne s’aiment pas. Quand un Haïtien connaît un certain succès, un autre Haïtien est toujours le premier à vouloir sa peau.

Être intelligent c’est faire preuve d’invention et de création. L’étudiant haïtien mémorise toutes les formules chimiques mais ne parvient à fabriquer un savon, un liquide vaisselle. L’Haïtien est capable de réciter toutes les poésies d’Arthur Rimbaud, de Victor Hugo ou d’Albert Camus mais il est incapable de traduire ou d’interpréter sa réalité quotidienne. Notre manque d’intelligence fait d’Haïti l’un des pays les plus pauvres du monde. La cause, dans le système éducatif haïtien nous avons rejeté le vaudou et le créole qui constituent une réponse au processus d’acculturation mis en œuvre par le colon: la transculturation. Outre plus, nous n’arrivons pas à lier l’esprit et l’intelligence.

En conséquence, la majorité des Haïtiens de petites conditions sont de nos jours chassés partout où ils mettent les pieds. Les éléments de l’élite intellectuelle, malgré le fait qu’ils ont la science et la technique en leur disposition, sont restés des hommes d’esprit. La bourgeoisie haïtienne ne se contente que d’acheter à l’étranger pour venir revendre. Vous savez, le peuple russe a été pendant longtemps un peuple d’esprit, avec un admirable élan révolutionnaire. L’URSS s’est effondrée par manque d’intelligence, donc il manquait à ce peuple l’esprit pratique américain. La Chine est devenue une puissance parce qu’elle a su combiner l’élan révolutionnaire russe (esprit) et l’esprit pratique américain (intelligence). Si les Européens ont pu réduire en esclavage des millions de noirs c’est tout simplement grâce à une excellente combinaison entre l’esprit et l’intelligence.

Ce triste état des lieux ne doit aucunement nous jeter dans le catastrophisme, à propos du devenir de l’homme haïtien. Au contraire, il nous offre des pistes de solutions. Parmi lesquels, il est temps que l’Haïtien fasse de la science et la technique son guide. Qu’il parvienne avec l’étranger à des rapports égaux, sains, clairs, sans mirages ni trucages de suzerain à vassal, de maître blanc à sujet noir (Dépestre,2005). Il est temps de créer une école haïtienne avec des pensées haïtiennes. Dans le cas contraire Haïti demeurera le pays le moins décolonisé de l’ancien système colonial. L’Occident continuera à occidentaliser notre esprit et notre corps.

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