Opinion

Ne jamais remettre le sort d’un pays entre les mains de politiciens qui ont connu l’enfer

Deux catégories d’hommes ont dominé l’histoire de l’humanité : ceux qui enfoncent tous les obstacles et mènent leur pays à la grandeur et ceux qui se jettent sur le pouvoir comme un affamé se jette sur du pain et conduisent leur pays au chaos, à la décadence. La plupart des premiers ont eu une enfance heureuse et exempte de tout soucis. La majorité des seconds, durant leur enfance, ont galéré, connu le labeur pénible, la pauvreté et l’errance. Sur ce, est-il prudent de remettre le sort d’un pays entre les mains d’hommes qui ont connu l’enfer ?

Si vous formuliez cette interrogation à Anténor Firmin, il parlerait de la question comme on parle des grands seigneurs : ”Plus on a souffert, mieux on est préparé pour comprendre et pratiquer la justice. Et, vraiment, on ne sait combien magnifique paraîtra aux yeux du philosophe et du penseur cette famille d’hommes sortis de la plus profonde misère intellectuelle et morale, ayant grandi sous l’influence dépressive de tous les préjugés coalisés ; mais engendrant en ces cas mêmes une fleur de vertu faite de courage viril et d’ineffable bonté, deux qualités qui tendent à la fois à promouvoir et à tempérer la justice”. En un mot, la générosité germe toujours au sein de celui qui a été brutalisé, méprisé, hué, martyrisé.

Luiz Inacio Lula Da Silva et Nelson Mandela sont les figures illustratives de ces propos. Le premier est né de parents analphabètes. Son père eut 22 enfants. Il quitte l’école à 10 ans et pratique de petits métiers pour aider sa famille. À 14 ans, il apprend la profession de tourneur et devient ouvrier métallurgiste dans une usine de construction automobile. Il perdra un doigt dans un accident du travail (mensuel 366, 2011). Sa première femme enceinte meurt devant l’entrée d’un hôpital par faute de moyens. Devenu président du Brésil, grâce à son programme Bolsa Familia, il sort des millions de Brésiliens de la pauvreté (Apolitical, 2017). Depuis, il est considéré comme l’un des plus grands présidents que l’Amérique du Sud ait connu.

Le second, Nelson Mandela, est de sang royal. Arrêté pour ses positions politiques en 1962, il est condamné deux ans plus tard à la détention à vie, échappant de peu à la peine capitale. Il est enfermé dans une cellule de 2,50 m, meublée d’un lit sommaire, éclairée par une ampoule de 40 W. Il n’y a ni chauffage, ni eau chaude, ni toilettes. Prisonnier de classe D, la plus basse (Leparisien, 2013). Après avoir passé 27 ans en prison, devenu président de l’Afrique du Sud, il a unifié le pays, a œuvré en faveur de la réconciliation entre Noirs et Blancs, à la fin de l’apartheid (Franceinfo,2013). Il demeure l’un des plus grands présidents africains. Ces deux hommes susmentionnés sont l’idéalisation de l’intrépidité.

S’il revenait à Dany Laferrière de répondre à la question, il l’aborderait en grande hâte au point de vue racial : ” Les Blancs seront un jour remplacés par les Nègres. Les Nègres deviendront à leur tour les pires impérialistes du monde parce qu’ils auront trop souffert. Il ne faut pas remettre le sort de la planète entre les mains de gens qui ont connu l’enfer ”. La grande majorité des présidents haïtiens se sont inscrits dans ce schéma. Au cours de l’histoire d’Haïti, ces politiciens ont conduit le pays au chaos et à la barbarie parce que motivés par la vengeance, par incapacité de transcendance.

Faustin Soulouque a mis le feu au camp des Mulâtres. François Duvalier a privé Haïti de ses intellectuels les plus brillants. Jean Bertrand Aristide a causé beaucoup de torts à la jeunesse des bidonvilles, ce qu’il est en train de réparer par l’éducation. Jovenel Moïse a transformé le pays en une entité ingouvernable. Ces hommes, au lieu de remplir tous les devoirs que leur imposent la loi, ils ne se sont contentés que des gloires de salon. Et le jour où le peuple a essayé de leur ôter le pouvoir ils ont sangloté comme un enfant à qui l’on ôte un jouet. En agissant de la sorte, ils ont livré le pays à la risée de ses ennemis.

Pour moi c’est simple, un homme qui a eu une enfance saturée d’humiliations et de traumatismes, le jour où la roue politique tourne en sa faveur il ne songera point à recycler son amour mais à perpétrer la terreur de ses pulsions permanentes. Sur ces entrefaites, il n’est pas prudent de confier les règnes du pouvoir politique à un homme qui a souffert mille martyres.

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