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BNC : La menace politique permanente !

(TripFoumi Enfo) – De retour au pays le dimanche 20 juin 2021 après un séjour de trois jours en Turquie, le président Jovenel Moïse a fait un appel à la Banque nationale de crédit (BNC) qui pourrait sérieusement nuire à la confiance des clients. Il se présentait comme un entrepreneur qui connait bien la douleur provoquée par le pillage des entreprises par les gangs armés durant son voyage. Au nom de l’État haïtien, M. Moïse dit se tenir auprès des victimes de pillage et invite la BNC à voler à leur secours. « C’est pourquoi l’État haïtien a la BNC. La BNC est une banque commerciale certes, mais elle est là pour supporter dans les moments les plus difficiles quand il y a des problèmes», a-t-il déclaré péremptoirement.

Pourtant, l’article premier de la loi du 17 août 1979 sur la réforme bancaire est très claire : « Dès la parution de la présente loi, la Banque nationale de la République d’Haïti (BNRH) est remplacée par les institutions autonomes : la Banque de la République d’Haïti (BRH) faisant fonction de banque centrale et la Banque nationale de crédit (BNC) faisant fonction de banque commerciale. » Ces deux institutions, précise l’article 2 de la loi, fonctionnent suivant leur loi organique propre.

Selon la loi du 17 août 1979, contrairement à ce qu’a dit Jovenel Moïse, la BNC est une banque commerciale. Évidemment, de par son histoire, son capital social appartient à l’État haïtien, ce qui confère au chef de l’État le droit de nommer son conseil d’administration et à la BNC de verser des dividendes au Trésor public. Mais pour le reste, la BNC demeure une banque commerciale qui doit gérer l’épargne des clients avec tous les principes de précaution que cela exige. D’où vient cette mauvaise perception des dirigeants qui leur fait croire qu’ils peuvent faire un usage politique des dépôts des clients ? Probablement, elle vient des potentielles retombées politiques.

Historiquement, jusqu’au début des années 70, la BNRH cumulait les fonctions de banque centrale et de banque commerciale, rappelle Max Étienne, dans son Code monétaire et financier (Livre I, page 148). À l’époque, il n’existait que deux succursales de banques étrangères en Haïti (la Banque royale du Canada et la Banque populaire colombo-haïtienne) et la Banque commerciale d’Haïti qui était une banque haïtienne.

La BNRH concurrençait les banques commerciales pendant qu’elle les supervisait. Elle était à la fois juge et partie en octroyant des prêts et en acceptant des dépôts des clients tout en fixant administrativement des taux d’intérêt sur ces produits et en jouant le rôle de banque centrale. L’arrivée de sept nouvelles banques commerciales entre 1971 et 1994, confirme Max Étienne, va changer la donne en insufflant plus de concurrence au secteur bancaire haïtien, ce qui avait rendu impérative la séparation des deux fonctions. Certains dirigeants continuent de croire que la BNC appartient à l’État haïtien qui pourrait en disposer comme bon lui semble.

En principe, l’État haïtien pourrait avoir une coopération excellente et productive avec la BNC. Par exemple, pour des secteurs stratégiques de l’économie haïtienne comme l’agriculture, l’énergie et le logement, pour ne citer que ces trois, l’État haïtien pourrait offrir des incitatifs à travers la BNC, comme le fait d’ailleurs la BRH à travers les banques commerciales. Il revient à la banque commerciale partenaire de procéder à la sélection des dossiers à partir de ses propres critères de choix. S’il y a une aide financière à donner aux victimes des gangs armés, elle devrait venir d’ailleurs, pas de l’épargne des clients.

La requête de Jovenel Moïse à la BNC pose plusieurs problèmes. D’abord, il serait beaucoup plus responsable et rentable pour l’État haïtien de sécuriser les citoyens, leurs biens et leurs entreprises que d’essayer de compenser les actes de pillage. Puisque l’état actuel des finances publiques ne permet pas à l’État haïtien de venir en aide adéquatement à toutes les victimes des gangs armés. Outre les entrepreneurs victimes de pillage, le président demandera-t-il à la BNC de venir en aide aux déplacés de Martissant? Va-t-on exiger à la BNC de restituer les véhicules incendiés le samedi 26 juin à la Croix-des-Bouquets à leurs propriétaires ? De toute évidence, au meilleur des cas, on va privilégier certaines victimes au détriment d’autres, très probablement les plus pauvres. Sinon, ce serait la chronique d’une faillite annoncée pour n’importe quelle banque qui emprunterait cette voie.

Ensuite, quand c’est le président de la République qui requiert de supporter des victimes, l’offre a plutôt l’air d’une subvention et non d’un prêt que la BNC requerrait efficacement le remboursement. Ces types d’interventions politiques avaient déjà conduit la BNC au bord du précipice à la fin des années 1990. C’est pourquoi le président René Préval allait faire appel à l’exemplaire Guiteau Toussaint pour sauver la BNC de l’implosion. Guiteau m’avait avoué qu’il travaillait 16 heures par jour lors de la première phase du sauvetage de la BNC. À assainir 50 % de prêts délinquants, passer de 450 employés à 240 à l’époque, sauver la banque d’une faillite technique ressemblaient à une mission impossible au point de n’intéresser aucun professionnel, dans un pays pourtant habitué au lobbying lorsqu’il s’agit de postes ministériels, de direction générale ou de président de conseil d’administration.

Depuis la réforme et la modernité opérées par Guiteau Toussaint, la BNC avait renoué avec la rentabilité qui lui a permis de fournir des dividendes de plus en plus significatifs au Trésor public, conformément au décret de 2005 réorganisant les structures de la BNC. D’où le slogan : BNC, le même nom, une autre banque. Il ne faut surtout pas revenir à la période pré-Guiteau Toussaint.

Finalement la déclaration du président Moïse pourrait ruiner la confiance des clients dans la gestion de la BNC en redoutant des interventions politiques intempestives. Or, la confiance est base de la stabilité de la relation client-banque et de tout le système bancaire.

Parlant de prêt politique, on peut se rappeler les 72 aminibus livrés en 2014 par le président Michel Martelly à des jeunes des quartiers défavorisés à grand renfort de propagande. C’était un prêt réquisitionné par le président Martelly à la Banque populaire haïtienne (BPH). Quelques mois plus tard, ce prêt allait être catégorisé comme improductif. N’était l’intervention du président de la République, la BPH n’aurait probablement pas financé le projet dans l’état d’improvisation où il se trouvait.

Le 2 août 2016, le ministre de l’Économie et des Finances, Yves Romain Bastien, se voyait dans l’obligation d’installer une commission de restructuration et de contrôle à la BPH qui ne laissait planer aucun doute sur la détérioration de sa situation financière. On parlait de faillite provoquée par l’ingérence politique dans la gestion de la BPH qui peinait à respecter les normes prudentielles à l’endroit des clients disposant de solides accointances et recommandations politiques.

La menace politique a donc toujours été une épée de Damoclès pour la BNC (comme la BPH), sauf quand les autorités politiques laissent au conseil d’administration leur pleine autonomie de décision comme le prévoit la loi du 17 août 1979.

Thomas Lalime

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