Sécurité

Hadassa Morency, une étoile partie trop tôt

(TripFoumi Enfo)- Hadassa Morency n’aura pas vécu son septième printemps auprès de ses proches. À la fleur de l’âge, son séjour sur terre aura été brutalement interrompu. La jeune innocente vient de payer le lourd tribut des inconséquences des autorités. Une balle assassine lui a fauché la vie.

Aussi son existence fut-elle comme le cours d’un météore rapide et étincelant qui parcourt le ciel de l’enfance, répandant autour de lui une lumière éblouissante, mais éphémère, que remplace aussitôt un deuil profond.

Les gangs rivaux de Martissant et de Fontamara s’affrontaient. Alors qu’elle jouait chez elle avec ses amis, une balle perdue l’a touchée. Transportée à l’hôpital, elle n’a pas survécu.

Haïti vit chaque jour son lot de peine. Si l’on se réfère aux principaux événements des derniers mois, il sonne comme une évidence que le pays boit sa coupe jusqu’à la lie, vit ses heures les plus sombres. La terreur s’installe sans tambour ni trompette au sein de la population, guettant le moment idéal pour semer le deuil gratuit.

Je suis blessé dans mon humanité et, pour toute une première fois, je parviens à comprendre sans le vouloir que ma douleur ne se limite pas à celle de mon entourage direct et qu’elle peut s’étendre à des gens que je ne connais ni d’Eve ni d’Adam mais qui deviennent, l’espace d’un affront, d’un malheur, d’une injustice aussi proches de moi que de vieilles connaissances.

Mourir s’avère un passage obligé. De toute façon, on ne peut pas y échapper. Mais regarder l’autre mourir sous des balles assassines, regarder l’autre mourir parce qu’il réclame ce qui lui est dû, regarder l’autre arraché à l’affection de sa communauté, regarder l’autre partir, bafoué dans sa dignité, échouant sur une pile d’immondices me fait mourir aussi. Regarder l’autre mourir dans des conditions écoeurantes au mépris du respect de la vie rend le phénomène de la mort de moins en moins assimilable et de plus en plus douloureux chez nous. Des cadres, des jeunes, des particuliers et voire des enfants sont tombés sous les coups de la violence. Regarder s’en aller la petite Hadassa avec sa part de promesses pour cette terre haïtienne, sa vision qui ne gagnera pas les rives de la réalisation, son amour magnétique pour ce pays me plonge dans une espèce de mort latente. Regarder l’autre mourir me fait mourir également.

Toutes les raisons sont bonnes pour mourir en Haïti. On peut mourir de tout. Et de rien surtout. On peut mourir violemment pour avoir dit la vérité, dénoncé l’état critique des choses. On peut également mourir violemment pour avoir su se tracer une ligne de conduite et gravir les échelons jusqu’au sommet. On peut mourir violemment pour avoir eu des rêves, pour avoir cru en des lendemains meilleurs, en des jours heureux en allant à l’école, à l’université. On assiste à la grande chasse des valeurs. On meurt parce qu’on ose sortir pour vaquer à ses occupations, par manque de soin dans les centres hospitaliers. On meurt silencieusement de la faim. On meurt également de n’avoir rien fait, de trop de laxisme, de regarder la machine infernale de l’insécurité gagner du terrain sans réagir, croyant qu’elle ne pouvait pas nous atteindre. On meurt chaque jour à cause des erreurs des autorités. Aujourd’hui, nous sommes tous vulnérables. C’est la triste réalité : nous ne sommes pas à l’abri. Pour quelles raisons est morte Hadassa ?

Nous prenons tous part à ce grand concert où la mort se mélange à l’air. Nous vivons, l’âme meurtrie. Nous portons sur nous cette odeur putride de la mort.

Ayiti se tè glise. C’est une évidence. Les crimes se répètent comme dans un thriller où un serial killer prend son malin plaisir à tuer. De nombreuses vies se sont déjà envolées. Les premiers moments d’émotion nous poussent à la révolte. Puis, la peur, la crainte et l’incapacité de passer à l’action se perdent dans le vide. Par notre laxisme, la culture de terrorisation finit par s’imposer. À l’aide de notre peur, de notre refus d’engagement. Le cycle tourne. Chacun attend avec impatience son heure. Pour qui va sonner le glas la prochaine fois ?

J’ai fini par l’accepter, je me suis confondu dans ma ferme conviction. Je meurs à chaque fois que quelqu’un meurt, expire dans ces conditions. Je suis un vivant qui traîne une mort ambulante. Fais ton chemin, fillette. Ne te détourne surtout pas. Tes assassins paieront au centuple le prix de ton sang profané.

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