Russie

Analyse | Que cache la crise ukrainienne qui fait planer le spectre d’une guerre majeure en Europe?

 

(TripFoumi Enfo) – La tension concernant la situation en Ukraine est à son comble. Environ 30 pays occidentaux ont déjà demandé à leurs ressortissants de quitter le pays. Prétextant une invasion imminente de la Russie, certains ont même évacué totalement ou en partie leur personnel diplomatique.
 
Si auparavant, les américains se contentaient de dire qu’elle pouvait s’éclater à tout moment, depuis jeudi dernier, ils l’ont circonscrite dans le temps. L’invasion de l’Ukraine par la Russie pouvait débuter depuis le week-end dernier ou peut tout aussi se faire au cours de cette semaine.
 
Quant à l’Ukraine, pays directement concerné, il demande à son tout puissant allié de temporiser. Car, l’alarmisme américain peut causer une panique que la société redoute en ce moment. Néanmoins, c’est à la Russie qu’elle impute cette panique qui peut être fatale pour son économie. Cependant, bien que Kiev assure qu’il ne fermera pas son espace aérien, certaines lignes aériennes ont déjà coupé leurs liaisons avec Kiev. Même le marché boursier subit les répercussions.
 
Paradoxalement, la Russie, le potentiel agresseur, a une position un peu similaire à celle de Kiev vis-à-vis des récentes démarches de Washington. Elle dénonce “l’hystérie” américaine.
 
Toutefois, il y a une réalité : depuis de mois, les Russes ont réellement positionné plus de 100 mille hommes à proximité de la frontière ukrainienne. En outre, plus récemment, avec son allié biélorusse, ils mènent des exercices militaires impliquant plus de 30 mille hommes. Sans oublier les manœuvres, rapportées, en Mer noire.
 
De leur coté, les Occidentaux envoient des armes et des équipements à l’Ukraine et entraîne son armée. De plus, ils renforcent la position de l’OTAN en Europe de l’Est en envoyant des petits contingents, peu significatifs, mais c’est assez fort symboliquement. Il faut souligner également que ces gesticulations tombent en même temps avec des exercices militaires de l’OTAN dans la région.
 
Fort de tous ces constats, nous sommes en droit de nous interroger sur la situation.
 
La guerre est-elle vraiment imminente en Ukraine? Quels sont les enjeux et intérêts qui se cachent derrière cette tension qui risque de basculer l’Est de l’Europe dans un conflit majeur? Bref, Comment comprendre la crise russo-ukrainienne?
 
À l’époque de la guerre froide
 
À l’époque de la guerre froide, quand le monde était bipolaire, l’Alliance du Traité Atlantique Nord (OTAN) avait pour contrepoids le pacte de Varsovie. Ce dernier était une alliance militaire et économique entre tous les pays du bloc Soviétique sous le leadership de la Russie. À la chute de l’Union Soviétique en 1991, occasionnant l’indépendance des anciennes Républiques soviétiques, cette alliance s’est automatiquement dissoute.
 
L’élargissement de l’OTAN et l’humiliation de la Russie
 
Fort de son triomphe de la guerre froide, les États-Unis, de l’avis des Russes et d’autres observateurs, font fi d’une promesse importante faite à la Russie lors de la capitulation du bloc Soviétique: ne pas élargir l’OTAN aux anciennes Républiques de l’URSS. Pourtant c’est le contraire qui est fait. Depuis, l’Alliance a intégré une majorité de ces pays d’Europe de l’Est.

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Les Russes ont vécu cette situation comme une humiliation. À l’arrivée de Vladimir Poutine qui a succédé à Boris Eltsine en 1999, bien qu’au départ, complaisant envers l’OTAN,  la posture d’empire faible et humilié allait changer. L’avancée de l’alliance atlantique est perçue comme une activité hostile ayant pour but d’encercler la Russie afin de neutraliser sa capacité de dissuasion nucléaire. Au regard de la Russie, elle est perçue comme une base avancée des États-Unis au portes de Moscou, qui, en cas de conflit, serait un désavantage stratégique majeur pour elle (la Russie).
 
Cette nouvelle position de la Russie vis-à-vis de la progression vers l’Est de l’OTAN a été marquée factuellement en 2008. La Russie est intervenue aux côtés des Républiques séparatistes d’Ossétie du Sud et de l’Abkhazie. Officiellement, c’était pour protéger les populations russophones, détenteurs également pour la plupart d’un passeport russe, de  l’intervention de Tbilissi. Par contre, cette intervention avait un autre objectif important qui est de contrer une éventuelle entrée de la Géorgie dans l’OTAN. Car, un article de la charte de l’alliance stipule qu’un pays ne peut pas l’intégrer si ses frontières sont sujets de discorde. Ce qui devient le cas de la Géorgie avec la proclamation d’indépendance des provinces d’Ossétie et de l’Abkhazie.
 
La chute de Victor Ianoukovic et ses répercussions
 
Viktor Ianoukovytch, président pro-russe, est arrivé au pouvoir à l’issue d’une élection démocratique en 2010. En 2014, il est chassé du pouvoir par une série de contestations populaires très violentes, déclenchées dans le pays, suite à la signature d’un accord avec la Russie au détriment de l’accord d’association entre l’Ukraine et l’Union Européenne.
 
Ces mouvements, décrits dans le discours occidental comme la révolution de Maïdan, sont perçus autrement en Russie. Dans leur opinion et même ailleurs, il s’agit d’un coup d’État orchestré par l’Occident afin de chasser le président pro-russe. Ainsi, cela leur a permis de prendre la main en Ukraine sur les Russes.
 
En réaction, la Russie occupe la Crimée d’où elle possède déjà une base très stratégique en mer noire, lui accordant un accès à la Méditerranée. Par la suite, un référendum d’autodétermination a été organisé sous le leadership russe. Sans surprise dans les résultats officiels, plus de 80% des participants ont voté le rattachement de la péninsule à la Russie. Mais pour les Occidentaux et l’Ukraine, il s’agit d’une annexion.
 
Par ailleurs, les événements de Maïdan et la chute de Viktor  Ianoukovytch ont conduit à la guerre civile en Ukraine. Les régions du Dombass, généralement russophones et pro-russes ont  manifesté leur intérêt de se séparer de Kiev. Fort du soutien officieux de Moscou, les Républiques séparatistes de Donestk et de Lougansk ont défait les troupes de la capitale, à l’époque, mal équipées.
 
La brusque montée des tensions et les enjeux
 
Au dernier trimestre de l’année 2021, alors que le dossier ukrainien ne se réduisait qu’aux préjudices qu’aurait constitué North Stream 2 pour l’économie ukrainienne, la tension est brusquement remontée d’un cran. La Russie a massé plus de 100 mille soldats à proximité de la frontière ukrainienne. Pour Washington, l’objectif de Moscou est d’envahir l’Ukraine. Et il ne cesse de faire la promotion de cette hypothétique invasion que les Russes ont toujours démenti.

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Justement, une invasion de l’Ukraine serait plus bénéfique pour les États-Unis que certains ne le pensent.
 
D’abord, les Américains étaient toujours contre North Stream 2, ce gazoduc qui permettrait à la Russie d’augmenter de manière substantielle son approvisionnement en gaz en Europe de l’Ouest. Or, la Russie vend déjà à l’Europe environ 50% de sa consommation. Ce levier non seulement économique, mais aussi stratégique n’est pas du goût des États-Unis. Sans oublier que la super puissance est également productrice de gaz liquéfié. Toute attaque de la Russie par l’Ukraine a de fortes chances d’entraîner l’arrêt de North Stream 2 parmi les sanctions qui seront imposées à la Russie. Ce sera déjà une victoire pour les États-Unis.
 
Ensuite, une invasion de l’Ukraine par la Russie  décrédibilisera celle-ci et confortera le discours occidental anti-Poutine. De ce fait, une telle éventualité poussera encore plus non seulement les anciennes Républiques soviétiques dans les bras de l’OTAN, mais les pays européens s’en remettront encore plus aux Américains pour leurs sécurité vis-à-vis de cette Russie agressive. Une telle situation mettra en péril le projet de « l’Europe de la défense » dans l’avantage de l’influence américaine. Une autre victoire très stratégique pour les États-Unis.
 
En revanche, la Russie aussi cherche à gagner des intérêts stratégiques à travers cette crise. Mais il n’est pas sûre qu’elle souhaiterait aller jusqu’à déclencher une guerre massive comme voudrait le faire croire Washington.
 
Dans cette optique, en décembre, la partie russe a soumis des documents aux États-Unis et à l’OTAN dans lesquels, elle propose deux traités. Ces derniers se résument ainsi: l’OTAN ne doit jamais mener des activités militaires d’envergure dans les États ayant intégré l’alliance après 1997 et l’Ukraine ne doit jamais en faire partie. Des conditions jugées inacceptables par le clan occidental.
 
Effectivement, il est clair que l’expansion de l’OTAN se trouve aux portes de la Russie. Toutefois, certains pourraient dire, comme le soutiennent les Occidentaux, qu’il est tout aussi vrai que les États souverains ont le droit de choisir l’alliance militaire qui leur convient. Mais, si cette assertion était vraie, il n’y aurait jamais eu la crise des missiles à Cuba.
 
La Russie,  grande puissance militaire se dit menacée dans ce qu’elle considère non seulement comme sa sphère d’influence, mais qui est aussi son espace géographique proche. Moscou se plaint de cette situation depuis pas mal de temps. Le développement des armes hypersoniques par la Russie est souvent présenté comme un moyen de contourner les boucliers anti-missile de l’OTAN en Europe de l’Est. Mais comment expliquer cette  montée brusque des tensions ? Pourquoi le déploiement maintenant de ces dizaines de milliers de troupes massées à la frontière de l’Ukraine ? Que cherche le Vladimir Poutine ?
 
Les documents fournis par la Russie est une piste de réponse à ces questions. Tous les spécialistes le disent souvent, l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN est une des principales lignes rouges de Poutine. Mais cette surenchère russe a permis à Poutine de remettre sur la table de discussion l’expansion inexorable de l’OTAN vers l’Est.  
 
Désormais, Poutine fait met sur la table ce qu’il a toujours eu comme vision : réparer cette « trahison » de l’occident et rendre sa fierté à la Russie.
 
S’il parvenait à obtenir ces deux traités, synonymes d’une forme de neutralisation officielle de l’OTAN dans les pays d’Europe de l’Est, ce serait son plus grand héritage stratégique pendant son règne à la tête de la Fédération de Russie. Ces adversaires le savent et ne peuvent se permettre de le lui donner aussi facilement.
 
De ce fait, bien qu’il ne souhaite pas la guerre réellement, Moscou est condamné à maintenir lui aussi la tension afin d’obtenir le plus de concessions possibles de la part des Occidentaux. Mais, ceux-ci ne veulent pas transiger. Car, ce sont eux qui ont vraiment à perdre dans ce bras de fer.
 
Pourtant, bien que la Russie et l’Ukraine puissent ne pas la souhaiter, le risque d’une guerre est bien réelle. La quantité de troupes et d’armes déployées est impressionnante. Un accident, un sabotage, un groupe de soldats nerveux ou un groupe d’extrémistes,  tout peut être la cause qui entraînera l’Europe dans ce conflit tant redouté.
 
L’Ukraine, perdant de toute façon
 
L’Ukraine est le protagoniste qui sera de toute façon perdante dans cette crise. Qu’il y ait la guerre ou pas.
 
En cas de guerre massive, le plus grand souhait de l’Ukraine ne limiterait qu’à infliger le plus de perte à l’armée russe. Mais il ne fait aucun doute, son territoire sera ravagé et armée vaincue rapidement face à la puissante machine de guerre russe. Les armes fournies par certains pays de l’OTAN ne peuvent changer ce pronostic.

Analyse | Que cache la crise ukrainienne qui fait planer le spectre d’une guerre majeure en Europe?

Même si la guerre n’est jamais déclenchée, l’Ukraine sera également perdant. D’ailleurs, il l’est déjà. La panique engendrée par cette tension et les différentes alertes américaines font déjà du tort à son économie. Sans oublier que la Russie peut envisager de reconnaître l’indépendance des républiques autoproclamées de Donestk et de Lougansk.
 
La Russie aussi sera perdante d’une façon, même si elle gagnait une hypothétique campagne de l’Ukraine. Les nombreuses sanctions qui lui seraient infligées lui feraient beaucoup de tort, particulièrement l’arrêt de North Stream 2. En plus, stratégiquement, l’Europe et les anciennes Républiques soviétiques affermiraient leurs liens aux États-Unis. Sans oublier que son image sera ternie. Malgré la légitimité de ses grognes.
 
Le seul gain pour la Russie, ce serait que l’Ukraine ne puisse pas intégrer l’Alliance. En tout cas, pendant un bon nombre de temps. Car, il s’assurait en tant que vainqueur militaire d’installer un pouvoir qui lui est favorable à Kiev. Mais l’opinion ukrainienne lui sera défavorable.
 
Par contre, les États-Unis, mis à part leur main mise sur le pays, ont très peu à perdre si un conflit éclatait en la Russie et l’Ukraine. Ils deviendraient le seul rempart contre la Russie agressive. La confiance des Européens et l’effritement de leur image dans le monde après la débâcle de Kaboul seraient restaurés.
 
Somme toute, les chances pour que la crise russo-ukrainienne se transforme en ce conflit majeur tant redouté, sont minces. Mais elles existent. Les intérêts des différents acteurs sont multiples et peuvent être obtenus grâce à des scénarios différents. Cependant, l’Ukraine, cette ancienne République Soviétique, est celle qui sortira perdante quelle que soit l’issue de cette crise. Car, à ce stade, elle l’est déjà.

 

 

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