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Éditorial | Martissant, Croix-des-Bouquets, Plaine du Cul-de-Sac… la liste des frontières mortelles d’Haïti grossit

(TripFoumi Enfo) – Dans le Nord de Port-au-Prince, c’est la guerre. Guerre de gangs rivaux dont les victimes sont pour la majorité des civils. Parmi eux, se trouvent une famille de huit personnes ainsi que trois jeunes femmes et trois enfants, tous tombés sous les balles assassines entre 24 et 26 avril 2022, indique un rapport établi par la protection civile haïtienne.

Et depuis, la zone est sous le contrôle de la bande à « Lanmò san jou » et celle du groupe armé « Chen Mechan ». Plusieurs centaines de personnes ont quitté la zone d’affrontement, dont une cinquantaine se sont réfugiées sur une place publique à quelques centaines de mètres de la ligne de front.

Des femmes violées, des maisons incendiées… les gangs continuent de faire leur loi en Haïti. Surprises pour les uns. Pour les autres pourtant, on ne saurait parler de hasard. L’historien Michel Soukar l’avait prédit : « Il arrivera un moment où il faudra avoir l’autorisation d’un gang pour circuler dans son quartier ». Quelques mois après cette triste prédiction scientifique, la réalité nous saute aux yeux.

Dans un livre précédemment publié, l’auteur avait même évoqué une possible « somalisation d’Haïti », si aucune mesure sérieuse n’est prise pour combattre l’insécurité. Mais qui va combattre ce phénomène ? La PNH ? La même qui n’a pas su assurer la sécurité du premier citoyen de la nation ? La même qui n’est pas en mesure d’assurer la sécurité de ses propres adhérents ?

D’ailleurs, les informations font croire que Frantz Elbé, le numéro un de l’institution policière, aurait lui-même fui la commune de la Croix-des-Bouquets, son quartier de résidence, par peur de se faire tuer par les lieutenants de « Lanmò 100 jou ». Ironie du sort.

« Les pays en dehors »

« Le Pays en dehors », on s’octroie le droit de faire nôtre le titre de l’essai de Gérard Barthelemy. Ce, non pas dans le contexte de « l’univers rural haïtien », tel évoqué par l’écrivain, mais plutôt dans un contexte territorialiste, où à l’intérieur d’un même pays érigée une légion de frontières internes, séparant les populations les unes des autres à cause de la gangsterisation du pays.

L’on se souvient encore de Village-de-Dieu. En décembre 2020, les Forces de l’ordre avaient lancé une opération au Bicentenaire afin de réinstaller les séparateurs en béton qui bloquaient tous les points de passage donnant accès à ce quartier. La zone était ainsi coupée d’électricité, de transport public, d’alimentation en eau, entre autres services sociaux.

En mars 2020, plusieurs policiers ont été tués au fief du Gang « 5 segonn », dirigé par le dénommé Izo, dans une opération d’amateurs. Sur des courtes vidéos largement partagées sur les réseaux sociaux, on pouvait voir des individus traînant des corps de policiers comme des piles d’immondices. Ces images étaient insoutenables.

Des membres du gang ont aussi brandi comme trophées les armes des policiers confisquées ainsi que le véhicule blindé de l’unité spécialisée Swat team de la PNH. Les informations font croire que c’est avec la complicité des civils du quartier que ces agents de la PNH ont été tués. Ce qu’on utilisait comme justificatif pour exclure de la vie sociale haïtienne toutes les personnes qui habitent ce quartier.

La situation n’avait pas tardé à devenir pareille à Martissant où des centaines de gens étaient obligés de fuir le quartier. La plupart d’entre eux prenaient la direction du grand sud. D’autres allaient plutôt au Parc Sportif de Carrefour où ils ont passé plusieurs mois.

Malgré cela, d’autres qui vraissemblablement n’avaient nulle part où aller, étaient obligés d’y rester malgré tout. Mais en dépit de tout cela, certains propriétaires de maisons ne voulaient pas faire affaires avec eux sous prétexte qu’ils ne savaient pas s’il s’agissait de vrais citoyens ou non.

La même histoire refait surface fin avril et début mai 2022. Des centaines de citoyens, parmi eux, des femmes enceintes, des enfants, des vieillards… ont fui la côte nord de Port-au-Prince pour se réfugier on ne sait où. La plupart d’entre eux ne savent quelle direction prendre. Ils n’étaient pas préparés à cette migration interne inattendue.

Frontières de la mort

Le pays en entier est séparé en parcelles. Depuis près de deux ans, Port-au-Prince est coupé de plus de quatre départements du pays. À Martissant, voie unique séparément l’Ouest et la côte Sud du pays, quiconque tente d’y passer, risque de se faire loger une balle gratuite en plein cœur. C’est la frontière de la mort.

Aujourd’hui encore, la côte Nord de Port-au-Prince est en passe de devenir pareille. Le Gang « 400 Mawozo » qui germait autrefois dans les parages de la Croix-des-Bouquets, commence à étaler ses tentacules sur d’autres quartiers, dont Gantier, Marins, et le nord de Port-au-Prince.

Le quartier où ont lieu les violences du 24 avril est hautement stratégique pour la bande à « Lanmò 100 Jou », car il constitue l’unique voie d’accès routier vers le nord du pays ainsi qu’entre la capitale haïtienne et la République Dominicaine.

Le grand nord, va t-il devenir l’un « des pays en dehors » de la République tout comme le grand sud ? Ces gangs armés, vont-ils faire de la Nationale #2 une frontière mortelle tout comme Martissant ? L’avenir dira le reste. La seule certitude que l’on a, c’est que, si aucune mesure n’est prise, le pire est à venir.

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