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Éditorial | Entre l’État et le peuple, lequel est le plus violent?

(TripFoumi Enfo) – Haïti vit l’une des périodes les plus sombres de son histoire. Jamais une crise n’avait atteint un niveau aussi inquiétant ; jamais la situation n’était arrivée à un point où aucune once d’espoir ne se pointe à l’horizon. L’avenir ne présage rien de bon, le pays est plongé dans un chaos. Le malade saigne partout, le diagnostic est accablant. Pénurie de carburant et d’eau, inflation, insécurité totale (assassinat, kidnapping)… le peuple en a ras-le-bol. L’augmentation récente des prix des produits pétroliers est la dernière goutte d’eau venant renverser le vase. Depuis une semaine, Haïti fait face à une explosion sociale. Le peuple s’adonnant au “dechoukay” et à toutes sortes de violence, est vu comme une bête sauvage, violente plus que jamais mais en réalité, entre l’État et le peuple, lequel est le plus violent ?

En Haïti, plus rien ne va. Et depuis quelque temps, rien ne fonctionne comme il se doit. « Le pays n’est ni dirigé, ni administré », une déclaration du feu bâtonnier, Me Monferrier Dorval, qui malheureusement se perpétue. La population, laissée pour compte, vit depuis des années dans des conditions infra-humaines. Ici, sur la terre de Dessalines, tout ce qui est bon est inexistant. Absence de soins de santé ; pas d’accompagnement social ; l’éducation traitée en parent pauvre ; le système judiciaire, dépassé par les événements, fait profil bas, misère, malnutrition, gangstérisation systématique du pays, bref c’est un quotidien dans lequel on assiste à des affrontements entre gangs armés occasionnant des massacres dans des quartiers populaires, sans oublier l’industrie la plus florissante du pays, le kidnapping.

Et pourtant, l’État est bien là, insouciant, insignifiant, complaisant, complice ou impuissant, aucune disposition concrète n’a été prise pour arriver à un halte-là. Desmond Tutu considère que « si tu es neutre en situation d’injustice, alors tu as choisi le côté de l’oppresseur ». Donc l’État qui devait détenir le monopole de la violence légitime est resté inactif alors que la population meurt à petit feu.

La violence, faut-il souligner, n’est pas que physique. Si les gangs armés issus des quartiers populaires kidnappent, violent, volent, massacrent, les bandits en costume, eux, ont d’autres modes opératoires. Dilapidation des fonds de l’État, corruption dans l’administration publique, détournement de fonds, trafic illicite d’armes et de munitions, des dépenses injustifiées, ajouter à toutes ces injustices, le gouvernement, pour augmenter ses recettes, décide de mettre fin à la subvention des produits pétroliers qui va impacter considérablement sur la vie de la population.

L’augmentation des prix du carburant va conduire à l’augmentation du tarif des trajets (transport en commun), l’inflation va continuer de grimper du coup, augmentation des prix des produits de première nécessité, augmentation de la misère, etc. Livrée à elle-même, la population, face à cette violence systématique, décide de riposter.

Je ne vous apprends rien : « Le mal appelle le mal et la violence engendre la violence ». Depuis environ une semaine, le peuple, ne pouvant plus la contenir, crache toute sa colère. Non seulement le « peyi lòk » revient à l’ordre du jour mais des scènes de pillage et de vandalisme ont été enregistrées dans plusieurs villes du pays, notamment au Cap-Haïtien, aux Gonaïves, à Saint-Marc, aux Cayes, Petit-Goâve et la capitale, Port-au-Prince. Des institutions publiques et privées ont été prises pour cibles par des manifestants en colère, les résidences de plusieurs personnalités politiques tenues pour responsables de la situation de la population ont été attaquées et pillées.

Le gouvernement d’Ariel Henry illégitime dès le départ, n’a jamais inspiré confiance. Qui pis est, que des promesses fallacieuses, des projets d’apaisement social toujours au point mort, alors que les membres du gouvernement se la coulent douce en pleine crise économique. Certains sont soupçonnés de kidnapping, de trafic illégal d’armes et de munitions pour alimenter l’insécurité tandis que la grande majorité de la population est en pleine insécurité alimentaire.

Fidèle Castro considère à raison qu’un peuple qui n’a accès au strict minimum (éducation, santé, alimentation…) a le droit de se rebeller. Si le gouvernement fait la sourde oreille depuis une semaine, il faut que les cris et les mobilisations du peuple soient encore plus retentissants. Aux grands maux, des grands remèdes. Sans la formule “Koupe Tèt boule kay”, la nation haïtienne n’allait jamais voir le jour.

« Quand le mal est aussi ardemment défendu, le bien doit devenir violent. »

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