Haïti

Du Bois-Caïman au « Bwa kale »

L’envie d’une révolution sans « RE »…

14 Août 1791, peu d’Haïtiens et de nègres ignorent cette date, considérée en Haïti comme l’acte fondateur de la révolution et de la guerre de l’indépendance. En effet, la cérémonie du Bois-Caïman est le premier grand soulèvement collectif des esclaves de Saint-Domingue devenus aujourd’hui des Haïtiens, des libres.

Du Bois-Caïman on retient les noms de : Dutty Boukman et de Cécile Fatima. Ces noms ont fait scander le son de la liberté, ces noms ont introduit le « RE » dans l’accord principal de l’indépendance. Avec des refrains engagés, ils ont pénétré la conscience des négres au Bois-Caïman:

Eh ! Eh ! Bombal ! Han ! Han !
Canga, Bafio té
Canga moun de lé
Canga, do ki là
Canga, do ki là
Canga li.

Plus de 230 ans après la cérémonie du Bois-Caïman, Haïti est au point mort. Elle est en quête d’une autre révolution. Mais cette fois, aucun son, aucune note musicale, aucun accord, aucune vision, aucune idéologie, aucun refrain, si ce n’est que « Bwa kale ».

Rappelons que « Bwa kale » a vu le jour dans un contexte assez particulier, juste après l’annonce de la hausse des prix du carburant. Et le slogan est né. Certains verront le côté politique de la chose, nous autres, nous voulons souligner le côté culturel.

La langue, la musique et la religion sont la base de toute culture. Haïti est donc soumise à cette réalité. La langue créole est un vecteur clé qui traduit les mœurs, la diversité, les revendications, la vie, le tout et le rien. Et la musique est aussi le moyen d’exprimer ses sentiments et sa vision des choses. Que dire de la religion qui se veut être morale, qui conduit l’individu à prendre conscience de lui-même et des entités qui l’entourent.

Ainsi, du Bois-Caïman au « Bwa kale » la culture haïtienne semble être esclave de la communauté internationale. Aujourd’hui, l’Haïtien est un étranger dans sa propre culture. Il veut ressembler à celui qui le maintient dans l’esclavage moderne, l’empêchant de vivre comme une nation souveraine.

L’Haïtien, au lieu de s’identifier à Langichatte Débordus (Théodore Beaubrun), se voit comme un Mister Bean (Rowan Sebastien Atkinson). Au lieu de prendre la relève de l’engagement de Kessy Koudjay (Jean Samuel Lubin), il  préfère être fan du rappeur Drake (Aubrey Drake Graham). La liste d’exemples serait interminable si l’on devait continuer avec l’exercice.

Le plus drôle dans tout ça est que même les plus grands artistes haïtiens n’en sont pas épargnés. On parle bien ici de ceux qui forment le fameux “HMI” (Haitian Music Industry). Pour plus d’un, la musique haïtienne est une industrie, mais qui semble ne rien produire en termes de réflexion culturelle, une industrie en manque de production ou encore qui n’existe que par le nom.

À l’heure où nous parlons « Bwa kale » n’est ni chanté, ni interprété, ni inspiré par les artistes haïtiens. Plus de textes musicaux, plus de textes poétiques, plus de textes théâtraux. Plus rien. Plus de messages de sensibilisation dans nos églises, plus d’appels à la conscience patriotique. La religion est aussi absente dans le « Bwa kale ». Alors que la population semble avoir une soudaine envie de révolution, mais quelle révolution ? Si ce n’est qu’un slogan qui accompagne l’envie d’une révolution sans le « RE ». Comme pour dire sans référence, sans refrain, sans une note de « Re » dans la musique engagée haïtienne, hélas, sans engagement.

Au moment où nous parlons, les fans des artistes sont un peu partout dans les rues, avec le même slogan depuis des jours « Bwa kale », tandis que les artistes qui n’existent que par leurs fans restent eux-mêmes « Bras croisés », attendant impatiemment que le calme revienne pour inviter les fans (le peuple) à retourner dans les clubs de nuit (night-clubs) pour consommer de la bonne musique en mode “HMI”.

Si Bois-Caïman a provoqué la liberté des esclaves en leur ôtant les chaînes aux pieds. « Bwa kale » devrait, lui aussi, entraîner une révolution de la conscience patriotique. Que chaque Haïtien puisse s’identifier à sa culture. « Bwa kale » devrait être un appel à la conscience culturelle, que l’Haïtien puisse s’aimer lui-même avant d’aimer les autres. Qu’il se mette en valeur au lieu de valoriser les autres.

Du Bois-Caïman au « Bwa kale » !!!

On a besoin du « RE ».

Jules Nicolas Michel

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