Éditorial

Éditorial | Le gouvernement haïtien perd globalement le contrôle de la réouverture des classes

(TripFoumi Enfo) – La dégradation quasi-permanente de la situation sociopolitique du pays rend régulièrement impossible le fonctionnement de l’école et plusieurs autres secteurs d’activités. Une réalité qui prend de l’ampleur ces dernières années, notamment suite à l’arrivée au pouvoir du régime Tèt Kale.

Sous l’administration de Jovenel Moïse, pour des raisons liées aux différents mouvements de mobilisation citoyenne et populaire exigeant son départ à la tête de la magistrature suprême de l’État, le calendrier scolaire avait été constamment bouleversé. Cette année, avec le gouvernement dirigé par le Neurochirurgien Ariel Henry, la situation se poursuit. On est dans la dernière semaine du mois d’octobre, toujours pas de retour en classe pour les écoliers. Le pire ? On ne sait pas jusqu’à quand cette situation perdurera. Les mouvements populaires contre le gouvernement en place ont tout chamboulé, alors que le ministre des Affaires étrangères étrangères et des Cultes, Jean Victor Généus, a récemment déclaré à l’Assemblée générale de l’ONU que “tout était globalement sous contrôle dans le pays”.

Prévue initialement pour le lundi 3 septembre, sans donner de raison, le vendredi 26 août, via un communiqué, le Ministère de l’Éducation Nationale et de la Formation Professionnelle (MENFP) a annoncé le report de la rentrée scolaire pour le 3 octobre, tout en promettant aux principaux concernés que le nombre de jours de classe réglementaires sera respecté. Entre-temps, les mouvements de protestation entamés depuis la fin du mois d’août contre la dépréciation de la gourde, la cherté de la vie, la rareté du carburant s’intensifient partout dans le pays. En supplément, la décision du gouvernement d’augmenter à plus de 100% les prix des produits pétroliers, la provocation du Premier ministre Ariel Henry lors de ses adresses à la nation ont exacerbé la colère de la population, et du coup attisé les mouvements populaires ; la population exige le départ du locataire de la Primature. La désormais pratique du “Peyi lòk” refait surface. Et le Premier ministre fait toujours la sourde oreille, maintenant mordicus sa décision de continuer à diriger le pays.

Résultat : la deuxième date prévue, à savoir le 3 octobre 2022, n’a pas été salvatrice, et les portes des institutions scolaires sont restées fermées sur tout le territoire national. Celles-ci, inquiètes de la situation d’insécurité qui prévaut dans le pays, manifestent également leur solidarité envers la population, tenant compte de ses désidératas. À la suite de quoi, le MENFP a publié un deuxième communiqué concernant la rentrée des classes, le ministère confirme avoir reconnu que la première semaine du calendrier scolaire 2022-2023 démarrant le 3 octobre sera difficile pour la relance des activités scolaires dans plusieurs endroits du pays et s’attend à une rentrée scolaire progressive. Ce qui est loin d’être la réalité jusqu’à présent. Ceci étant dit, même sous les directives d’un ministre qui fait toujours la plaidoirie pour le respect du nombre de jours et d’heures de classe, le calendrier scolaire n’est toujours pas respecté. Ce qui confirme une tradition, les politiques haïtiens ont quasi- généralement négligé le secteur éducatif. Une réalité qui persiste et ce, au grand dam de la République.

Si l’on fait un retour historique, on verra qu’à l’époque coloniale, l’accès à l’éducation était toujours très difficile, les quelques rares institutions scolaires furent réservées uniquement aux colons blancs et affranchis. Ce fut complètement impossible pour les noirs d’en bénéficier. Après l’indépendance, la discrimination raciale a été remplacée par le népotisme. L’accès à l’éducation fut réservé aux enfants des “pères-fondateurs”, ceux qui ont joué des rôles importants à la tête de l’armée indigène. Cela explique que dès le départ, l’éducation a été un luxe. La constitution de Dessalines, dans son article 19, prévoyait de construire uniquement six écoles publiques, une par division militaire. Alors que le pays comptait à l’époque un demi-million d’habitants, quasiment analphabètes.

Le pire, c’est de constater l’attitude primitive des dirigeants inconscients de l’importance de l’éducation, Boyer avait, pour sa part, fermé l’Université de Santo Domingo après la réunification de l’île. Ce dernier n’avait réalisé aucun progrès en ce qui a trait à l’éducation dans le pays. Celà nous a pris 40 ans, après l’indépendance, avant de voir le premier ministère de l’instruction publique créé, sous l’administration de Rivière Hérard, pour très peu de réalisation.

Sous Geffrard, en 1860, ce fut le moment du Concordat. Les communautés provinciales ont pu recevoir les premières écoles publiques. Mais la réalité a été grandement différente par rapport à ce qui se faisait dans les villes. Les élèves habitant les communautés rurales n’ont pu apprendre que des choses élémentaires ayant rapport à la lecture et l’écriture.

Dès le début du XlX siècle, des personnalités comme Elie Dubois, Maurice Dartigue et Tertullien Guilbaud ont consenti beaucoup d’efforts pour apporter un souffle nouveau à l’Éducation. Mais malgré tout, seulement 3% de la population écolière avait été scolarisé à l’époque. Un pays qui n’accorde aucune importance à l’éducation se dirige tout droit vers le néant.

Grâce à Joseph C. Bernard, en 1979, une vraie réforme avait, enfin, été proposée à l’administration de Jean Claude Duvalier, mais boycottée par les autres membres du gouvernement. Cette réforme prônait notamment l’enseignement du créole dans les écoles. Programme que Nesmy Manigat essaie d’appliquer depuis ses débuts à la tête du ministère de l’éducation nationale.

Soulignons aussi qu’après la fin de la dictature des Duvalier, le taux d’analphabétisme dans le pays dépassait 80%. L’accessibilité à l’école secondaire a été un casse-tête chinois. Comparativement aux autres pays de la région, tel le Cuba où toute la population active a déjà eu accès à l’éducation, Haïti est au fond de la salle.

Avec l’arrivée de l’administration Préval, en 1997, le Plan National de l’Éducation a vu le jour. Ce programme visait à répondre à la grande demande d’éducation après le départ des duvaliéristes. Apprentissage en créole, enseignement de l’anglais et de l’espagnol, municipalisation de l’éducation de base, cantines scolaires, tout cela faisait partie de ce programme. Le budget de l’éducation a été presque triplé, passant de 9% en 1997 à 22%, en 2000. Instabilité politique, manque de compétence, suspension de l’aide internationale… le programme a échoué.

Et depuis l’arrivée du régime Tèt Kale au pouvoir, avec les Présidents Michel Joseph Martelly, Jovenel Moïse et le Président-Premier ministre Ariel Henry, c’est de l’insouciance quasi-totale et de la débandade générale. Le Programme Scolaire Universel Gratuit et Obligatoire (PSUGO) annoncé par Martelly lors de la campagne électorale 2010 et mis en application durant son mandat est considéré par plus d’un comme un vol organisé. Ce programme favorisait l’enrichissement des partisans de l’ancien président. Qui pis est, le PSUGO contribuait largement à la disparition de plusieurs institutions scolaires dans les communautés rurales et ce, malheureusement, avec la complicité de Nesmy Manigat qui joue le rôle de ministre de l’éducation à deux reprises pour ce régime qui ne se soucie guère du secteur éducatif.

Les plus hautes autorités de l’État sous le régime Tèt Kale sont prêtes à tout pour préserver leur pouvoir. L’ouverture de l’année scolaire 2019 – 2020 a été retardée de 4 mois à cause des mouvements populaires réclamant le départ de Jovenel Moïse. C’est seulement en janvier 2020 que les écoliers avaient finalement eu la chance de retourner à l’école. Durant cette période, que ce soit du coté des dirigeants de l’opposition politique, ou ceux de l’État, la décision était d’aller jusqu’au bout, pas question de considérer la situation gravissime de la population écolière. C’est la même réalité qui se répète avec Ariel Henry et Nesmy Manigat. Ils ne veulent prendre aucune décision qui favoriserait la réouverture des classes.

“Tant vaut l’éducation, tant vaut la nation”, dit le vieil adage. L’école contribue à l’adhésion sociale en transmettant une culture commune et transmet le sentiment de patriotisme au peuple ; intégration professionnelle en favorisant l’acquisition d’un statut professionnel : l’école permet à chacun d’obtenir une qualification qui lui assurera une place dans la société au travers du monde du travail. Il n’y a pas de développement sans l’Éducation. De ce fait, les dirigeants haïtiens doivent avoir de la considération pour l’éducation de la population. Si l’on veut vraiment un changement pour le pays, celà doit forcément passer par la formation des citoyens et futurs citoyens.

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