À la une

L’histoire d’une traversée à Bon Repos, un calvaire

(TripFoumi Enfo) – Depuis presque deux (2) mois déjà, Haïti est plongée dans le déni total. Le pays est au bord du gouffre. Personne du gouvernement décrié ne pipe mot voire agir en conséquence pour donner une lueur d’espoir à la nation haïtienne. Rien ne fonctionne, réalité. Pas même l’école où l’avenir de toute nation qui souhaite demeurer ou renter sur le chemin du progrès, n’est garantie. Disons mieux, rien ne va pour tous ceux et toutes celles qui espèrent vivre en toute tranquillité dans ce petit coin de terre que nous ont légué nos vaillants ancêtres sous la direction du père fondateur de la patrie, Jean-Jacques Dessalines. Rien ne va pour tous ceux et toutes celles qui aspirent vraiment au changement réel de cette nation au pilori depuis bien des temps. Et pendant que des gens s’entretuent pour le pouvoir, la mort ne chôme pas non plus dans les hôpitaux qui sont contraints, pour certains, de fermer leurs portes pour cause d’oxygène, de carburant… La vie en Haïti d’aujourd’hui est un véritable cauchemar.

De la décapitalisation continuelle d’une masse populaire déjà aux abois et d’une classe moyenne presqu’asphyxiée mais qui patauge tout de même dans le faire semblant à l’ironique compagnie de la mort, c’est la descente aux enfers. De la peur qui s’installe dans le cœur de tous à cause de l’exaction des gangs armés qui s’érigent en maîtres et seigneurs partout dans le pays, décidant qui vit qui meurt quand bon leur semble, à une crise de carburant qui perdure et dont le gouvernement en est le principal responsable, c’est le grincement des dents. Augmentation du prix du carburant, nouvel épisode de « Peyi lὸk » pour protester contre cette décision et les barricades (considérées comme l’avenir du pays pour certains) refont surface. Circulation au point mort dans le pays et, pour ce qu’il y en a, les prix sont exorbitants et ceci au péril de sa vie. Je ne vous apprends rien jusque-là, mais mon passage à Bon Repos (situé dans la commune de la Croix-des-Bouquets) est un exemple criant du calvaire que vit cette population. Restez là ! Je vais vous raconter mon vécu de trois (3) heures d’horloge dans cette petite jungle (oups le mot est trop fort).

On est le mardi 25 octobre 2022, vers les 13 h 30, j’ai décidé d’emprunter, par obligation, la Route Nationale #1 à destination de Bon Repos, plus précisément dans la localité de Lizon pour gérer une affaire très importante. Par prudence, avant de sortir, j’ai cherché à m’informer de la situation dans certains recoins de la ville vu l’incertitude qui règne dans le pays actuellement. Et, comme de fait, j’ai dû prendre le soin d’écrire mon ami, frère et collègue qui travaille au Ministère de l’Agriculture, des Ressources Naturelles et du Développement Rural (MARNDR) pour m’enquérir de la situation. Sans me tenir compte de ses judicieux conseils, j’ai laissé, à pied, Bourdon, le lieu de résidence de mon très cher ami de vieille date qui ne laisse jamais passer l’occasion pour m’accueillir dans son antre comme j’en ai l’habitude aussi, pour me rendre à Carrefour de l’aéroport surnommé, il y a peu de temps, Carrefour Résistance.

À Bourdon, le bruit des grosses cylindrées même aux heures indignes de “peyi lὸk” se fait entendre tout le temps. Troublant même le peu de sommeil qui puisse se manifester ces jours-ci. Les occupants de ces voitures (de grandes autorités du gouvernement sur des officiels qui se font accompagner de backups remplis de policiers prêts à ouvrir le feu même sur une mouche qui s’arrogerait le droit de perdre sa destination, des membres du secteur privé des affaires et même des éléments de la classe moyenne…). Pour un pays qui fait face à une pénurie affreuse de carburant depuis plusieurs mois, ces gens s’en sortent très bien on dirait. L’on pourrait même dire que leur Haïti est totalement différente tenant compte de la galère que vit la majorité depuis cette période obscure baptisée « Bwa kale ». Le train de vie que mène cette frange minoritaire dépasse l’entendement. Ils semblent même faire fi de ce qui se passe dans les quartiers populaires (Bélair, Cité Soleil, Martissant, Canaan…) où des gens se font tuer pour rien.

Arrivé au Carrefour de l’aéroport, c’est une toute autre réalité. On dirait que la vie reprend son cours. Les activités semblent marcher à merveille. Des tap-taps pour Pétion-Ville, Gerald Bataille, carrefour de l’aviation… Comme ma destination est Bon Repos, je me suis vite précipité vers l’un de ces gros autobus jaunes qui font la route. Ey monsieur, dis-je à un travailleur, vous passez par où ? Par route neuf, répond-il. Sans rien dire de plus, je vais vers un autre travailleur, je pose la même question. Il me répond : par Croix-des-Bouquets pour tomber tel endroit dont je ne plus souvenir. Illico, le mot Croix-des-Bouquets entendu seulement m’a déconcentré, tout comme route neuf, des lieux où des bandits volent, violent et tuent en toute impunité ces derniers temps. Alors, je me dis en mon cœur : « fanmi m ak lὸt moun ki renmen m bezwen m toujou ».

Après plus d’une heure d’attente, enfin une camionnette fait son apparition pour Croix-des-Missions. Ouf, Dieu merci ! Ignorant tout le calvaire qui m’attend sur cette route, je monte tout joyeux la camionnette au prix fort. D’ailleurs, il y a pas moyens de négocier puisque c’est un muet qui touche l’argent pour le chauffeur. Sur tout le parcours, il n’y a que quelques camionnettes sur la route Nationale #1 jonchée de trous, d’eau, de boues et d’ordures. Et peu avant d’arriver à Croix-des-Missions, presqu’en face de la barrière principale du MARNDR, une première barricade est érigée. Et l’aventure commence pour moi ! Descendant la camionnette tout en colère comme tout le monde qui s’y trouvait d’ailleurs, j’emprunte la route à pied. De la barrière du MARNDR jusqu’à Marin, j’ai dû traverser une vingtaine de barricades de toutes sortes (en bois, en blocs, en fer et même en pots de fleur…). Et le pire dans tout ça, les barricades ont des surveillants et même des propriétaires. Des hommes armés recueillent l’argent surtout des mains des rares motards qui essaient de gagner leur pain quotidien dans cette fâcheuse situation. Refusant de donner la somme demandée, ces motards ne peuvent passer. Très menaçants, ces surveillants armés leur demandent de rebrousser chemin.

Une fois passé cet épisode douloureux de ces barricades, c’est au tour d’un chauffeur de motocyclette de me taxer au prix du sang pour environ un kilomètre de route. La fatigue qui s’empare lourdement de ma personne m’oblige à accepter son prix pour un aller-retour Marin-Lizon. Ce n’est que sur la route avec le chauffeur que j’ai remarqué que les plus grandes barricades n’étaient pas encore traversées. Et le chauffeur de taxi, avec le prix demandé dans une situation aussi spéciale avait totalement raison. Même si cette situation n’est pas à revivre mais ma ténacité a payé puisque je suis arrivé à destination, réglant l’affaire comme prévu. Le chauffeur de taxi, qui m’a laissé patiemment gérer l’affaire, m’a déposé là où il m’avait pris à Marin. Et j’ai répété le même épisode de Marin à Croix-des-Missions jusqu’à trouver une camionnette pour pouvoir retourner chez moi.

Voilà à quoi doit faire face un habitant de Bon Repos et ses environs actuellement. Voilà les dangers auxquels s’exposent bon nombre d’individus qui ne demandent qu’à vivre paisiblement dans leur pays. Quid d’une femme enceinte qui, en complication, a besoin de l’assistance d’un médecin pour accoucher ? Quid d’un enfant, d’un vieux ou d’une vielle qui nécessite de voir régulièrement un médecin ? Quid de toute autre personne qui a besoin d’aller à l’hôpital pour une quelconque maladie ? À toutes ces questions qui restent pendantes, il faut dire que l’heure est vraiment grave et les habitants de Bon Repos et quasiment dans toutes les sphères de Port-au-Prince en paient le prix fort. À quand un retournement de situation ? Personne ne le sait vraiment. Voilà donc la réalité d’aujourd’hui.

Sainvilus Loveson

Adblock Detected

Please consider supporting us by disabling your ad blocker