Haïti, de la langue à une culture proverbiale, un patrimoine culturel

(TripFoumi Enfo) – On ne peut être Haïtien/Haïtienne, sans avoir une fois dans sa vie utilisé un proverbe créole en parlant, « Ak pasyans wap wè trip foumi ». Voilà pourquoi, dans cet article, nous nous sommes donnés pour mission de porter à la compréhension des lecteurs une approche linguistique sur les proverbes créoles, leur origine, leur utilisation, leur sens etc. Dans cet article, nous allons, à travers quelques extraits et références des auteurs (œuvres) tels : Simone, de Beauvoir. Tanella, Boni. Les proverbes créoles haïtiens, le reflet de l’âme du peuple (Le quotidien), entre autres, partager avec le grand public, quelques considérations sur les proverbes créoles.
Comprendre la linguistique des proverbes créoles*
Pour reprendre Muselène Carilus : « Les proverbes sont fortement prisés dans la tradition orale haïtienne. Quel que soit le niveau social ou culturel d’un Haïtien, il a recours aux proverbes : soit pour argumenter, soit pour justifier un comportement. Étant décrits comme l’expression de la sagesse du peuple haïtien, les proverbes sont aussi entachés de stéréotypes. Ils ont le pouvoir de déterminer la place de l’homme et de la femme au sein d’une société. En dépit des efforts consentis pour lutter contre les inégalités entre l’homme et la femme au sein de la société haïtienne, la situation ne parvient pas à changer. Les traditions, les lois orales, les manières de penser constituent une barrière empêchant un équilibre dans leurs rapports au sein de la société. La forme figée des proverbes et leurs fréquences d’utilisation favorisent leur perpétuation de génération en génération. La culture joue un rôle déterminant dans la manière dont l’identité des hommes et des femmes se définit au sein de la société
haïtienne. En somme, connaître les proverbes d’un peuple peut aider à mieux comprendre leur imaginaire, leurs valeurs et leurs croyances.
Ainsi, les proverbes ne sont pas, contrairement à une idée reçue, des paroles du passé, des « paroles du temps-longtemps » comme on dit aux Antilles. Le proverbe n’a point de temps : il est éternel. Ainsi, lorsque la langue aura disparu, quand elle aura été effacée par d’autres terreaux linguistiques à cause des incessants bouleversements de l’histoire, le proverbe, lui, continuera à briller de son obscur éclat. II continuera à être proféré et à être compris. Sa puissance de persuasion par rapport à la parole ordinaire n’aura pas diminué d’une maille. Cela est aussi vrai de ses cousins germains le dicton et l’adage ainsi que de ses cousins éloignés la maxime, la sentence, le précepte, l’aphorisme, l’expression idiomatique ou la petite phrase devenue historique qui parsèment notre parler quotidien. Combien de gens ne s’exclament-ils pas «Alea jacta est!» sans être capables de traduire cette phrase latine ou d’en identifier clairement les éléments. De même, dans les pays jadis créolophones tels que Trinidad, Grenade ou la Louisiane, seuls quelques proverbes ou for-mulettes ont survécu à l’effondrement de la langue dans le premier tiers du XXe siècle.
Il faut dire que le créole, comme toute autre langue, contient un grand nombre d’expressions imagées qui servent à traduire les réalités quotidiennes. En termes d’expressions imagées, les proverbes créoles en sont de beaux exemples ! Ayant une portée culturelle, les proverbes créoles haïtiens sont réputés pour leur ton ironique et la sagesse qui en émane. Étroitement liés au vécu quotidien, aux mœurs du peuple, ces derniers interviennent pour conseiller, dénoncer, prévenir ou encore avertir. Découlant de la tradition orale haïtienne, les proverbes créoles reflètent l’âme du peuple ! Mais d’où viennent les proverbes créoles ? Et d’abord ceux du Nouveau Monde, les plus nombreux dans le présent ouvrage. Là encore, il convient d’interroger ce véritable laboratoire humain que furent ces îles et ces pans de continent. Ici, presque toutes les civilisations du monde se sont affrontées, confrontées, confortées, déposant chacune, dans ce qui allait devenir le creuset créole, des traces, des marques propres, lesquelles en se mélangeant à celles qui les avaient précédées n’allaient pas pour autant perdre totalement leur identité première.
L’histoire rapporte qu’en 1625 Français et Anglais finissent par prendre pied dans la petite île de Saint-Christophe (aujourd’hui Saint-Kitts), située au nord de la Guadeloupe, qu’ils partagèrent avec les Caraïbes. Ces derniers, épuisés par des décennies de guerre avec les Espagnols, acceptèrent, de plus ou moins bon gré, de signer des traités de paix avec ces nouveaux venus. Mal leur en prit car, en moins d’une quarantaine d’années, les vaillants guerriers caraïbes furent à leur tour exterminé par les Français, les Anglais et les Hollandais. Cela signifie-t-il pour autant qu’ils n’aient laissé aucune trace dans la culture créole actuelle ? Une expression de l’écrivain martiniquais Édouard Glissant résume bien la question : « les Caraïbes n’ont pas disparu, écrit-il, ils ont “désapparu”. » Par ce néologisme hardi, l’auteur veut faire comprendre que maints éléments culturels caraïbes ont survécu à leur génocide et se sont intégrés au monde nouveau qui se mettait en place, cela sans que les nouveaux habitants des îles, Blancs et Noirs, eussent clairement conscience de ces legs.
C’est ainsi qu’en créole un nombre considérable de noms d’oiseaux, de poissons, d’animaux et d’arbres sont issus de la langue caraïbe ; dans les proverbes créoles, on retrouve, par exemple, l’agouti, le zanndoli (lézard), le balawou (sorte d’espadon) ou encore l’acoma (arbre majestueux de la forêt tropicale). C’est dire que cette langue résonne encore à travers eux, même si ceux qui la parlaient au quotidien ont été décimés depuis trois siècles.
Vinrent donc, à partir de 1625, les colons français. Issus pour la plupart des régions nord-ouest de la France, ils s’exprimaient en des dialectes d’oïl (normand, poitevin, picard, vendéen…) à une époque où le français tel qu’on le parle et l’écrit aujourd’hui n’existait pas encore. D’ailleurs, c’est en 1635, l’année même où les Français occupent la Martinique et la Guadeloupe, que le cardinal Richelieu décide de créer l’Académie française afin de définir une orthographe et d’élaborer un dictionnaire. D’autre part, ces colons étaient majoritairement des paysans analphabètes (l’école gratuite et obligatoire n’existera que deux siècles et demi plus tard), porteurs d’une riche culture orale faite de chants, de contes et de proverbes. Cela explique que nombre de proverbes français sont passés en créole sans subir d’autre modification que linguistique. Par exemple :
• San tan pou volé, an jou pou met-la (Cent ans pour le voleur, un jour pour le maître).
•Yo pa ka mélanjé sèviet épi tôchon (On ne mélange pas serviettes et torchons).
• Pa ni pli soud ki sa ki pa lé tann (II n’y a pas plus sourd que celui qui ne veut pas entendre)…
Si, en effet, la langue créole est le fruit du commerce des Blancs et des Noirs, pendant les cinquante premières années de la colonisation, sur fond de rémanences amérindiennes, par contre, les contes, chants, devinettes, berceuses et proverbes créoles émanent surtout du groupe servile. Il est vrai qu’une fois enrichi et devenu « Béké » (grand planteur de canne à sucre) le Blanc se détournera de la langue et de la culture créoles, les rejetant dans la nègrerie. On trouvera donc aussi nombre de proverbes africains reproduits à l’identique en créole, traduits plus exactement de l’éwé, de l’ibo ou du wolof. D’où la présence dans les proverbes créoles (comme dans les contes d’ailleurs) d’animaux n’existant pas aux Antilles comme le tigre ou l’éléphant (Zomba).
« Sa k nan vant kabrit, se li ki pa l », cet humble proverbe haïtien dit qu’il vaut mieux compter sur ce que l’on possède, plutôt que vouloir compter sur ce qui pourrait venir.
En effet, les aînés ont la courante habitude de réprimander et de conseiller les plus jeunes en utilisant des proverbes créoles. Il est alors difficile d’être Haïtien et de ne pas connaître au moins un proverbe créole. Cette structure linguistique qui fait intégralement partie des traditions orales haïtiennes, est présente dans toutes les couches de la société et représente le miroir des mœurs, des mentalités de la culture haïtienne. D’usage commun, les proverbes relèvent, fort souvent, de l’observation ordinaire de faits qui se déroulent au quotidien.
Pas plus longs qu’une phrase, pour la plupart, ils expriment de manière sous-entendue des vérités, généralement évidentes et universelles, des avertissements et des conseils, comme par exemple : « Yon sèl dwèt pa manje kalalou ». Même si les proverbes créoles sont utilisés pour décrire des choses simples et évidentes, leur sens n’est pas pour autant facile à saisir. Il faut par conséquent, une certaine connaissance de la langue, des choses ordinaires, des pratiques et mœurs du peuple, des préjugés et stéréotypes qui existent au sein de la société haïtienne. Car provenant directement de la manière de penser et des habitudes populaires, ils traduisent sans filtre l’identité du peuple haïtien.
Dans un certain sens, on peut donc dire que le proverbe fige la langue dans un écrin de marbre ou, plus exactement, de pierre, puisque sa marque première est la lapidarité. Le proverbe cisèle la langue, il en est l’orfèvre. C’est pourquoi, le plus souvent, il réduit la morphologie (disparition des articles), épure la syntaxe (suppression des conjonctions) ou ennoblit le lexique. Et c’est d’ailleurs cette dernière tâche, à savoir la mise en exergue du mot le plus banal, qui semble caractériser le plus le proverbe créole. Quelle dignité extraordinaire est ainsi conférée au giraumon, cette modeste citrouille antillaise, dans le proverbe « Sé kouto sel ki sav sa ki an tjè jiwomon » (Seule la lame du couteau mesure la souffrance de la citrouille) I Et que dire du bol dans «Ti bol olé, ti bol vini, lanmitié rété » (Le bol va et vient, l’amitié demeure), ce bol de tous les jours, ce bol usagé, parfois ébréché, que l’on ne prête à autrui qu’en signe de très profonde amitié.
Nous citons là, Jean Guilbert Bélus, licencié en linguistique théorique et descriptive à la Faculté de Linguistique Appliquée et bibliothécaire, il n’existe pas beaucoup d’études réalisées sur les proverbes haïtiens. Le peu d’études parémiologiques existant sur les proverbes haïtiens montrent leurs rôles et leurs sens dans la pratique langagière et linguistique des Haïtiens. Ces études montrent également la place prépondérante qu’occupent les proverbes dans l’imaginaire collectif et à quel point ils illustrent de façon très imagée le degré de savoir du peuple.
Se transmettant de génération en génération et incarnant une forme de sagesse, les proverbes haïtiens constituent un patrimoine culturel inépuisable. Faisant partie intégrante de la culture, les proverbes sont d’un grand apport pour la culture et la langue, soutient Jean Guilbert Bélus, linguiste. « Ils enrichissent la langue tout en puisant dans la culture. Car entre la langue et la culture s’établit un rapport symétrique. C’est l’idée que si la langue est un élément de la culture au même titre que la magie, la religion, etc., c’est aussi la langue le médium le plus intelligent pour médiatiser, véhiculer la culture. Ainsi, les proverbes enrichissent la langue autant qu’ils enrichissent la culture qui les façonne et leur donne sens ».