Comment remettre l’agriculture au cœur de l’économie haïtienne

I.- CONTEXTE HISTORIQUE ET ACTUEL DE LA SITUATION DU SECTEUR AGRICOLE :
D’après l’IHSI (Institut Haïtien de Statistique et Informatique), Haïti a une population de 10,911,819 habitants, 50,43% de femmes et 49,56% d’hommes (IHSI, 2015). Le pays a la plus forte densité de la population dans la région caribéenne (soit 379 personnes au km2). Le taux de croissance annuelle de la population est de 1,3%. La population est essentiellement rurale (48,1%) mais avec un début d’accélération de l’exode rural. Les enfants et les jeunes de moins de 25 ans représentent plus de 56% de la population totale.
Le Secteur agricole a été dans le passé la plaque motrice de l’économie haïtienne. Plusieurs périodes de l’histoire de l’Ile d’Haïti ont été marquées par les belles performances de son agriculture, telles que les périodes espagnole, française et même post-Indépendance. Le Secteur agricole a connu son apogée dans le temps avec la production d’un certain nombre de denrées mais sans grandes structures mécaniques et scientifiques. Après l’indépendance jusqu’aux années de 1950, le secteur a été dominé par la production de la canne-à-sucre, le café, le cacao et le coton. Cependant, frappée par un manque de vison et de politiques agricoles adéquates, Haïti n’a pas pu maintenir cet essor et non plus assister à l’évolution de sa productivité agricole.
Le pays compte environ 1 million d’exploitants agricoles et ce secteur comporte environ 60% de la population active (MARNDR, 2010). Les exploitations agricoles produisent environ 45% des produits de consommation alimentaire du pays et sont généralement constituées de plusieurs parcelles de taille réduite (0,62 ha/parcelle en moyenne). La majorité de ces parcelles sont exploitées par leurs propriétaires. Les exploitations agricoles sont caractérisées par un faible accès aux moyens de production et elles sont tributaires, à 90%, de la pluviométrie alors que 10% des parcelles sont dans les périmètres irrigués qui font face aux problèmes d’irrégularité d’approvisionnement en eau et à l’ensablement de canaux d’irrigation, en raison d’un déficit de traitement des bassins versants.
Depuis quelque temps, le pays court vers le chaos et est même en train d’assister à la dégringolade de son secteur agricole. Ce déclin atteint déjà les bas-fonds de l’insécurité alimentaire et frise même l’extrême pauvreté pour environ un tiers de sa population, selon les analyses et statistiques courantes de la CNSA (Coordination Nationale de la Sécurité Alimentaire et Nutritionnelle), institution publique chargée du suivi de la sécurité alimentaire dans le pays.
Malgré ce contexte difficile, les données économiques dont le pays dispose montrent que le secteur agricole est l’issue la plus évidente pour le faire sortir de son marasme économique. Selon la Banque de la République d’Haïti (BRH), en 2016, le secteur « Agriculture, Sylviculture et Pêche » représente 20.35% du Produit Intérieur Brut (PIB). À l’instar des pays en développement à revenu faible ou intermédiaire, la contribution de l’agriculture seule est presque toujours beaucoup plus grande que celle de l’industrie.
Dans le Plan Stratégique de Développement Agricole de 2015 à 2025 du Ministère de l’Agriculture, des Ressources Naturelles et du Développement Rural (MARNDR), de nombreux problèmes ont été posés, notamment les problèmes agraires, fonciers, environnementaux et d’infrastructures agricoles.
LES PRINCIPAUX ENJEUX DU MINISTERE DE L’AGRICULTURE
D’après le MARNDR les principaux enjeux du secteur agricole sont les suivants :
- La réduction de la dépendance alimentaire dans une perspective de souveraineté alimentaire (recherche de la satisfaction maximale de la demande alimentaire nationale) ;
- La création d’opportunités d’emplois en milieu rural pour freiner l’exode vers les villes ;
- L’augmentation de l’apport du secteur agricole en devises ;
- La réduction de la dégradation environnementale.
Toujours selon le document de la Politique de Développement Agricole du Ministère de l’Agriculture, l’atteinte des objectifs de la politique agricole repose sur des engagements de l’État haïtien pour :
- Favoriser le développement des initiatives et de l’investissement privé dans le secteur agricole, en particulier celui des producteurs agricoles, mais également celui des organisations de producteurs et des firmes délivrant des biens et des services au profit des agriculteurs ;
- Pratiquer une bonne gouvernance des ressources publiques, à travers la concertation entre les différentes catégories d’acteurs, la recherche de consensus entre ces différents acteurs, et une gestion transparente des ressources budgétaires disponibles ;
- Garantir une participation active des principaux acteurs concernés, à savoir les producteurs agricoles et leurs organisations, à la définition et la mise en œuvre des programmes, plans et projets qui seront issus de cette politique de développement agricole ;
- Favoriser la promotion des femmes et des jeunes ruraux qui tirent des revenus de la production agricole, notamment par le renforcement de l’accès aux facteurs de production, aux technologies appropriées, à la formation, à l’emploi en particulier ;
- Promouvoir l’inclusion des jeunes à travers des stratégies de développement de l’entreprenariat afin d’assurer une relève dynamique et créatrice de richesse ;
- Assurer la participation permanente, à travers des mécanismes institutionnels, des représentants de la société civile (ONG, secteur privé, organisations de producteurs et autres acteurs des filières) à l’élaboration des stratégies opérationnelles de mise en œuvre des programmes et aussi à leur suivi-évaluation ;
- Augmenter la part des ressources budgétaires nationales consacrées au secteur agricole entre 2010 et 2025. Tripler le taux de 3% actuel.
Mais si l’Éat, en l’occurrence le Ministère Sectoriel concerné, a toujours eu un plan stratégique de développement agricole, où se trouve le problème qui empêche le pays de trouver son autonomie agricole ?
Le manque de vision qui est quasi considéré comme une maladie incurable chez les dirigeants haïtiens devrait être questionné par les regroupements de jeunes cadres du pays. Ceux-ci devraient faire basculer la balance dans l’autre sens, pour mieux affronter les nombreux problèmes ; les problèmes environnementaux engendrant des risques et désastres au quotidien, les faiblesses institutionnelles parfois personnalisées et mal gérées, les difficultés pour les producteurs d’avoir accès au crédit agricole, les coûts de production trop élevés affaiblissant la production haïtienne en compétition avec les produits de la République Dominicaine, la faible implication du secteur privé dans la filière agricole.
III.- PROPOSITION DE GRANDES LIGNES ALTERNATIVES POUR UNE SORTIE DE CRISE
Il faut viser comme objectif la conversion de l’agriculture de subsistance, pratiquée depuis longtemps dans le pays, en une agriculture économiquement rentable. Pour y parvenir, il faut une stabilité politique et le gouvernement doit prioriser une économie stable et une classe moyenne revitalisée, visionnaire et productive. L’atteinte de cet objectif passe aussi par une transformation structurelle de l’économie moribonde que connaît le pays, notamment par une agriculture orientée vers le marché et axée sur la production et la création de richesses à haute valeur ajoutée.
Cette valeur ajoutée de haut niveau passera essentiellement par l’orientation du secteur agricole vers la modernité manifeste. “De l’agriculture pour quelle vision?” Une Agriculture autosuffisante et commercialisée à grande échelle avec l’extérieur dans 25 ans. De manière opérationnelle, le gouvernement doit s’abstenir d’œuvrer dans trop de projets en même temps dans l’idée d’éviter de se congestionner. Après l’adoption de l’objectif 25 par l’État, il faut prendre en compte toute la chaîne de valeurs de la production agricole. De la conception sociale de l’agriculture en passant par d’importantes plantations monoculturales, la transformation et la conservation des intrants agricoles jusqu’à la commercialisation des extrants.
L’État central est le grand manitou du développement du secteur agricole. Il définit les grandes lignes de sa politique, régularise le fonctionnement du secteur, protège toutes les entités du secteur, et implémente les normes établies pour protéger les producteurs nationaux, en particulier dans le secteur agricole. L’impact de ces mesures sur la production, la consommation, les importations et les exportations a une importance capitale et elles doivent être prises en compte pour favoriser l’équilibre. Certaines de ces normes ont une influence directe sur les prix des produits échangeables alors que d’autres le font de façon indirecte, ce qui contribue à rendre les produits nationaux plus compétitifs au plan international. Les États utilisent en général différents ensembles de mesures en fonction de considérations pratiques et des politiques macro-économiques qu’ils poursuivent.
L’État doit envoyer des signaux clairs pour inciter les jeunes paysans à se regrouper en coopératives et entrepreneurs (hommes et femmes d’affaires). Des mesures de sécurité frontalière doivent être prises en vue de protéger la production nationale contre les grands pays industrialisés où la production se fait à moindres coûts et est de meilleure qualité que la nôtre. Les parlementaires haïtiens, de leur côté, devront tenir compte de l’agriculture haïtienne dans leurs attributions de légiférer. Après 219 ans d’indépendance, l’agriculteur haïtien n’a toujours aucun statut légal dans un pays dit essentiellement agricole et même à la Direction Générale des Impôts (DGI), les activités du secteur agricole sont “non classées”.
Il est incontestable que le développement agricole d’un pays résulte de la synergie entre l’État et le secteur privé. Pour atteindre l’objectif défini au préalable, l’État doit allouer au moins 10% de son budget annuel à sa politique agraire, rester par-dessus tout et jouer son rôle régulateur. Comme il s’agit d’un secteur primordial pour les populations les plus pauvres et de plus la majeure partie de ses activités se déroulent dans les milieux ruraux, l’État fera d’une pierre deux coups en étendant l’assistance aux zones les plus reculées qui sont si négligées.
L’approche sociale de l’agriculture haïtienne est très sensible, d’où l’importance de l’analyser avec délicatesse. Premièrement, l’agriculture haïtienne qui est une agriculture familiale à plus de 80% du territoire national, ne couvre que 25% du PIB et 48% des besoins alimentaires du pays, d’après les chiffres du Ministère de l’Agriculture. C’est un secteur en déclin vu que les descendants des familles ne suivent pas la trace de leurs parents et tournent le dos à la campagne pour alimenter l’exode rural. Cependant, l’agriculture est la principale source économique servant à éduquer les enfants des campagnes qui, eux, abandonneront par la suite ce secteur et les causes sont multiples.
Vu les difficultés que rencontrent les agriculteurs haïtiens dans la pratique de leurs activités, ils ne veulent pas que leurs enfants prennent la relève et assurent la continuité au niveau des exploitations. Ils préfèrent que les enfants soient médecins, ingénieurs, avocats et ne remettent plus les pieds dans cette ronde maudite pour certains. D’où l’importance d’une autre catégorie de producteurs agricoles en Haïti avec mobile d’entreprenariat tout en tenant compte de l’agriculture familiale. Cette nouvelle classe d’entrepreneurs agricoles doit voir le jour pour compléter le travail de nos infatigables paysans qui longtemps avaient cette lourde responsabilité sur leurs misérables bras fatigués, qui travaillent sans moyens et sans grandes connaissances scientifiques. Ils en ont assez. De nouvelles approches doivent faire surface pour que l’agriculture ait une autre connotation en Haïti.
La modernisation agricole comme unique voie pour un développement durable du secteur en Haïti est aussi très coûteuse et exigeante à la fois. Elle requiert beaucoup de ressources humaines et financières et c’est là que le partenariat public/privé s’avère déterminant. Le secteur privé des affaires qui détient les grands moyens de production a pour rôle de servir de moteur dans la production pour entraîner la croissance économique et la création d’emplois. Plus loin, Les richesses que produit cette croissance seront réparties au sein de la société en créant de grandes, petites et moyennes entreprises qui, à leur tour, donneront des emplois et l’autonomie financière à la population.
De plusieurs points de vue, cette démarche aura des effets bénéfiques importants pour le pays. Par exemple, elle entrainera une augmentation de croissance, l’agriculture aura profité de nouvelles technologies et les problèmes environnementaux et les bassins versants seront gérés de manière durable et efficace. Finalement, l’espérance de vie, la durée moyenne de scolarisation et l’indice de développement humain (IDH) augmenteront significativement au bout de ces 25 ans.
Les grands chantiers de la mise en œuvre du développement agricole sont l’accès au financement, la mécanisation, la transformation et la conservation. Ils permettent d’accroître la production, d’améliorer le timing des opérations, d’élargir l’application de l’énergie à l’amélioration du traitement des cultures, d’augmenter la durée de vie des produits agricoles. Tout tourne autour d’une stratégie bien définie et d’un plan d’action réaliste pour faciliter la mise en œuvre de ces chantiers. L’objectif de la stratégie de mécanisation agricole est de créer un cadre politique favorable, un milieu institutionnel et des entreprises de services d’engins, à l’intérieur desquels les agriculteurs et les autres utilisateurs finals ont accès à un large choix d’énergies et d’équipements agricoles correspondant à leurs besoins, dans un système cohérent, efficace et durable.
La transformation, la conservation, l’emballage et le conditionnement des produits agricoles sont les seuls moyens de réduire les pertes post-récole et d’améliorer la chaîne de valeur dans l’entreprenariat agricole. Un exemple clair en Haïti, en été, les récoltes des mangues sont abondantes mais ça ne durera que deux mois de l’année. Le meilleur serait que ces fruits soient transformés en jus, en surettes, en poudre pour que l’utilisation soit permanente durant toute l’année. Un deuxième exemple en Haïti : malgré les contraintes d’hygiène à respecter, transformer le manioc en cassaves, farine, amidon et diverses autres formes, génère beaucoup plus de bénéfices que la simple vente de cette denrée sur le marché local. En plus, il faut noter les efforts qui ont été déployés sur le continent africain en transformant le manioc en farine pour faire du pain.
La transformation et la conservation des produits agricoles favorisent la création de petites et moyennes entreprises, bases de toute économie du système capitaliste et facteurs d’incitation de la production agricole dans les champs de manière considérable. Les PME sont considérées comme moteurs de croissance et principales machines de création d’emplois, et surtout permettent une répartition adéquate des biens, le développement durable et la prestation des services publics. Le secteur agricole considéré toujours comme transversal, composé de plus de 40 corps de métiers est le plus grand créateur d’emplois dans les pays en développement.
IV.- CONCLUSION
Haïti souffre de l’inconséquence de leurs dirigeants au point que plus d’un se pose la question sur la vraie capacité des Haïtiens à mener leur propre destin. Et parallèlement, les potentialités agricoles et éco-touristiques sont si nombreuses que les prédateurs râpasses les veulent tout le temps. Il est grand temps que les filles et fils d’Haïti convergent vers une vision politique commune pour le bien être collectif, car il ne nous manque que la clairvoyance qui doit nous guider sur le chemin. Les crises politiques sans précédent ne font qu’engorger la route du développement du pays. L’agriculture est l’un des rares secteurs pouvant donner à l’économie nationale l’élan pour trouver les rails. L’état central doit instaurer son autorité afin d’assumer ses responsabilités envers la nation toute entière, car l’agriculture ne peut être en aucun cas considéré comme une politique ministérielle plutôt qu’une politique d’État. Les grandes lignes du développement agricole doivent être définies au niveau de l’État central et être classées comme priorité dans le budget national.
Ing. Agro Sédric DESRAVINS M. Sc