Haïti

Wondonmo : itinéraire d’engagement, de dénonciation et de rage

Sorti dans le catalogue des éditions Floraison, Wondonmo est le deuxième recueil-fleuve du jeune poète, dramaturge et metteur en scène Samuel Clermont. Un recueil de poèmes plein
de rage, où l’auteur dit qu’il est grand temps de prendre parti. En restant à l’écoute de nos cris, de nos larmes et nos blessures. Il émeut et attendrit le lecteur sur des sujets comme : la femme, la religion, le vodou, la politique, l’amour, la prostitution, la misère, la mort, etc. Une prise de note.

Apollinaire déclarait fortement : “Je veux vivre, j’ai tout à faire”. Ici, le poète aurait pu déclarer cela. Une main tendue mouillée de rage, une poésie réfléchie. Une poésie de militance latente. Une poésie qui au lieu de faire l’éloge, fustige. Voilà la définition si le fameux Wondonmo de Samuel Clermont était un mot perdu ou égaré dans le buisson d’un petit Robert. Quel choix ! Il prend parti. Il défend. L’un des objectifs de la poésie est, après tout, de nous faire accéder au plaisir. Ce texte est né par une prise de note de la réalité haïtienne, en utilisant des [quelques] codes dialogaux.

En effet, le poète combat avec les mots, il met son art au service de quelque chose, on pourrait dire, marqué de rage, qui tend à dénoncer, fustiger les hôtes politiques, c’est-à-dire ceux qui entravent la bonne marche de la nation, quand le talent du jeune artisan du poème est à son faite. Son cours s’enflamme de haine rouge et grise à la vue de l’Occident. Dit la contrainte d’aimer l’autre (frère) : Lamitye ooo…Se pa renmen non nou pata renmen/Se kè nou ki pa pou nou/Rezon nou mare maleng/Alekile se 2 ti tonton atizay rekiperasyon ki renmen dire/Jem-ayiti ak lanmou nou Loksidan lanmèd pou ou !/Pèsonn pa bezwen listwa franse/Si yo konn ogou feray/si yo konn mètrès. Et il invite les autres à faire corps avec ce qu’ils ont comme culture (vodou). Ayant la femme comme porte-étendard, ce texte est une affaire de révolte. S’il chante la femme, ce n’est pas une question de libertinage, mais pour parler de ce qui l’empèche d’aimer pleinement, c’est pour dire l’échec de ses frères, la misère, l’insécurité, les mauvais jours d’ici : M pa vle li powèm sa cheri/Se ladanl solèy leve min fwon’Ti wawa bwè san nan chalimo/Adja-ounto demina/Nouvadou pye blanch nan fètomè/Se ladan I tou/Timoun fè balansin ak branch trip/Nan powèm sa cheri/Plen zantray ki manke fom/Plen moun ki manke yo menm Plen rèv dlo nan je/Plen souvni k magi pat/Plen edityan…

Les poèmes adressés aux femmes dans Wondonmo sont tristement contagieux, parce qu’on peut à tout moment rencontrer le calvaire (des autres). Il ne parle pas seulement pour lui. Il décrit la situation délétère que vit le pays avec un lyrisme touchant, la misère des uns et des autres. Quelque part, il y a certains poèmes qui donnent l’aspect d’un message adressé à une femme aimée qui n’est pas d’ici. Des poèmes-épistolaires ? »

Chez Samuel, c’est de la poésie mature, s’attachant aussi à énoncer la réalité, dans les sillons (peut-être conscient ou inconscient) d’un certain de Pierre Brisson, de Felix Maurisseau Leroy, qui dans un élan vaudouesque (présent partout) dit son amour pour le bizango. « Pafwa m rete/M anvi wè dans bef/Yon chay fanm plen pwèl/Ak rad pil koulè/Je wouj/Dyol wóz. »

Samuel Clermont cherche par la puissance et le pouvoir des mots, de la musicalité de la langue à cracher ses émotions.

Ainsi, il en use une poésie mordante. Ce n’est pas une poésie de belles images, d’un univers de rêve où les fleurs dansent. Loin de là. C’est plutôt une poésie au poing fermé qui dit l’atrocité : « M pot lasalin nan chak pa m ap fè/Pou m ka moun pi devan/Tout mache
ki boule bouche kom/Tout bri bat potoprens anonse nan meteyo ».

C’est tout un univers de révolte que nous sommes amenés à découvrir. Les mots ne restent pas suspendus comme des cristaux dans la nuit glacée. Une poésie au goût de cendres.

Wondonmo, ça s’appelle ne pas mourir sans dire le mal des autres. La souffrance des uns. Sans oublier d’égrener les forfaits que sa terre a subis par les internationaux « Leta konn 2 ti chante/Siklòn vini ma ba w bonbon/Viv ONG/Viv MINISTA. » Sa poésie est de celle des artisans du verbe gueux et sensibles, qui n’ont pas trouvé le courage de se taire. Une voix qui se lève.

Tout comme l’écrivain, le poète est un parleur. Un porte-parole. Un parleur qui soulève la réalité avec une certaine esthétique, parce que l’écriture et le réel sont des frères siamois. Par contre, la parole samuelienne n’est pas amie de beauté (quelque fois). Il nous invite de préférence à réfléchir sur des choses aussi sociales que politiques. Il dit la mutation de l’État face à nos problèmes. « Mezanmi banm di n !/Se pa soud lotorite a soud tande/Se wòkmann li k natiralize/Ki fèl pa tande mizik lepèp/Nou mèt bal on ti chans/L ap fè kèk lwa pou kòd soutyen ti mennay li. Menm yon palavire lap ban apresa/Baw !/Baw !/Baw ! ». Ne pas dire, dénoncer est pour lui une impossibilité éthiquement citoyenne. Mais le lyrisme reste insolent (on peut toutefois m’enlever le mot), incisif et rageur.

Dans Wondonmo, les vers semblent les mots d’un enfant fronté. Pas d’économie de furie, il crache tout ce qui lui fait mal (dire son pays). Il prend sa plume pour une arme. Il tue, pourtant personne ne meurt, sauf les canards sauvages et bruts (les politiques).

Dans ce texte, il fait preuve d’un poète habile et mature. Avec son don de langage, sa riche matérialité poétique à la Leroy. Au travers des pages, un peu de mots.

Wondonmo vous dit tout bas de faire une pause dans la course de recherche de la bonne poésie contestataire.

Kerby Vilma
[email protected]

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