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L’Odeur du café : l’enfance et Mister Dany

Né en 1953, Dany Laferrière [ce romancier américain] est l’une des grandes voix de la littérature francophone (je ne serais pas exagéré en disant celle du monde). Avec L’odeur du café (VLB éditeur, 1991), où il rend hommage à sa grand-mère Da, l’Immortel fait preuve magistrale de son art de grande simplicité esthétique et poursuit une œuvre autobiographique extraordinairement majeure : poétique et légère, drôle, bondée d’humour. D’un style qui charme et saisit, l’auteur nous dessine le magnifique portrait de son enfance dans les années 60, à Petit-Goâve. Un livre tendre sur l’enfance où rien n’est laissé au hasard par l’auteur de L’énigme du retour (Prix Médicis, 2009). L’odeur du café est un album-photo sans images abîmées.
Ce récit, fait d’une image clef, « un petit garçon assis aux pieds de sa grand-mère sur la galerie ensoleillée d’une petite ville de province », où l’auteur nous dépose à Petit-Goâve, ville de province située « à quelques kilomètres de Port-au-Prince », (peut-être dans un camion qui ronfle grave au bas du morne Tapion), sur la galerie de Da, dodinant sur son chewing-hair, est un classique (Italo Calvino aurait pu le dire). Da, une grann « au visage serein et souriant », est bienfaisante et généreuse.

Langaj

Une charpente d’archives

D’une certaine manière, chaque fragment dévoile un secret, met à nu nos mœurs et nos croyances locales, dénonce des faits insolites et étranges, des témoignages, se laisse tomber un petit souvenir collé dans la tête de Vieux Os (surnom de Dany), pareil à des autocollants ou chewing-gums sur le banc de l’école pendant des années. Écriture détaillante. Tels des doux instants croqués sur le vif, le récit est présenté en trente-huit succincts chapitres entrecoupés et hachés d’intertitres brulants qui nous invitent à re/découvrir des parcelles beaucoup plus microscopiques dans la vie de l’auteur.

Un enfant capteur

Vieux Os, cet enfant-témoin capte, scripte tout. Il raconte tout, ablativo tout en un tas, en accordant une certaine importance à des sens (la vue et l’odorat) et aussi aux merveilles poétiques des petits êtres de la nature « les fourmis ont-elles un nom ? Elles courent comme des dingues dans les fentes des briques. Dès qu’elles se croisent, elles s’arrêtent une seconde, nez à nez, avant de repartir à toute vitesse. Elles se ressemblent toutes. Peut-être portent-elles le même nom ? ». Plus loin, il observe l’instant, muni d’un sentiment d’éternité, « Da boit son café. J’observe les fourmis. Le temps n’existe pas. » Le non-dit de cette attention portée aux fourmis est une sorte de logique poussée au bout : si on arrive à aimer les fourmis (insectes si misérables), on aimerait les autres. Vieux Os, nous invite à faire un pas vers l’Amour…

Une fois, il faut faire un flash-back aux émotions de l’enfance pour comprendre cette affection pour les humbles choses de la terre. Car, le choix d’enfant de dix ans pour raconter l’enfance n’est pas fortuit, c’est mieux calculé qu’on le croyait. Parce qu’à cet âge on est naïf, innocent, sensible aux choses, aux personnes autant qu’aux animaux. Au fond, cette sensibilité nous amène vers une humanité en cuisine (ou cuite). C’est le cas de Vieux Os, un gamin sensible, au regard perçant, à qui rien n’échappe et qui aime tant son chien appelé Marquis, malgré son état. « Nous avons un chien, mais il est si maigre et si laid que je fais semblant de ne pas le connaître. Il a eu un accident et depuis, il a une drôle de démarche. Là pour Vieux Os, on doit aimer l’autre en dépit, le prend tel qu’il est. Aimer les autres, jusqu’à ce que le verbe soit fatigué.

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Enfance=poésie

Il est de ces questions qu’on se pose. Que nous révèle L’odeur du café ? À travers cette œuvre, nous avons un enfant et sa grand-mère qui contemplent la vie (et sa magie) au quotidien, et qui considèrent précieusement la profondeur des petites choses qu’on voit tous les jours et l’on oublie leur force et leur poids. Négligence. L’adulte en grandissant oublie la sensibilité de l’enfance, du coup, il banalise le mal et aussi la gravité des évènements, et pose des actes qui enraient le mécanisme de notre commun bonheur. Or, l’enfance est poésie, y étant on vit poétiquement, occuper à aimer : les choses, les gens. Vous vous imaginez si l’adulte (le négligeant) rend ce qu’il doit à l’enfance : la fidélité? De là, naitra, sans moindres utopies ou mensonges, un monde meilleur… où il n’y aura pas de place aucune pour le racisme (un mot qui lui pogne tant), la guerre, l’hypocrisie, l’inégalité… et d’autres maux qui rongent et déchiquettent le monde.

enfance =poésie

Dany a dit [quelque part], qu’il ne trouve pas d’autre sujet, à part : l’enfance. Bluff ? Ou modestie ? Il est facile de voir bien sans nos paires de lunettes, plutôt qu’il fait corps à l’important conseil de Georges Bernanos : « Restez fidèle à l’enfance. Ne devenez jamais une grande personne ». En un regard contemplatif sur l’enfance, il en sort inconsciemment avec une parole : au fur et à mesure que l’homme grandit, il devient plus bête. Grandir fait mal, il semble. C’est ce combat de retour à l’enfance qu’il mène dans le monde, aujourd’hui. D’ailleurs, armé de son œuvre « un cœur nomade » comme si il voulait donner le monde aux enfants, il déclarait la guerre au siège de l’ONU en déclarant avec force : « Je vais leur rappeler de leur enfance ». Ici, on peut dénicher le souhait teinté d’impératif de l’écrivain (tantôt japonais tantôt américain) : que tout le monde reste et demeure enfant, pour toujours !

Quelque part, le féru lecteur de Borges donne l’air à Jean Genet ; l’un vole des livres et l’autre une bicyclette, « l’été dernier, j’avais volé une bicyclette, la bicyclette de Montilas, le forgeron, juste devant chez lui. » Là, il est plutôt décevant et naïf. Mais quel enfant n’a pas volé, une fois ? Peut-être celui qui ne l’est pas ou ne l’a jamais été.

Un livre : L’odeur du café. Une tentation : l’enfance. À cette phrase-appel « Il ne faut pas céder à la tentation d’écrire sur son enfance : on risque de s’attendrir sur soi ; l’écrivain canado-haïtien répond présent du plus grand P. » Touchant l’amitié, l’amour, la famille, la mort, le bonheur, le sexe, etc… Dans ce récit « tout public » comme reprennent les mots de Jean Jonassaint, les souvenirs s’accordent aux sensations. À fleur de peau, par ailleurs, il expose nos mœurs, valeurs, manies d’antan…

Ainsi, L’odeur du café (Prix Carbet de la Caraïbe, 2011) – ce récit qu’on ouvre tout comme on le fait dans un coffre aux trésors – est merveilleux et original, d’une prose légère, constitue une pierre précieuse dans la vaste « Autobiographie américaine » de Dany Laferrière. Une hypotypose qui nous replonge au fin fond de son enfance passée à Petit-Goâve, avec ses paysages de peintres naïfs, ainsi que des mornes au crâne rasé. Et aussi une réflexion sur soi, le monde, les relations humaines et l’enfance…

Vilma Kerby
[email protected]

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