Littérature

Nos grands petits poètes

E. E. Cummings : la poésie ne signifie ni s’insignifie rien, elle EST.

L’humain aime à parler de ce qui lui dépasse. Par exemple, l’on parle souvent de la poésie. De ce qu’elle est et ce qu’elle n’est pas. S’il n’y avait pas Makenzy Orcel pour nous rappeler « qu’elle n’est pas censée comprendre. Seulement sentir. Sentir jusqu’à vomir ou pleurer », on croirait avec peine qu’être poète revient à attendre le crédit de Y ou X, c’est-à-dire d’un certain écrivain ou prétendu critique de renom du milieu, ou à être compris tout simplement. Et on aurait peur de ce qu’on écrit, de ceux qui nous lisent aussi. Encore, s’il n’y avait pas Jean L’Anselme pour nous faire comprendre « qu’on n’arrive pas à la définir, mais on la reconnaît quand elle est là », on penserait que les grands petits poètes n’ont pas raison (mais nul n’a raison), le droit de chercher le beau dans les tripes du verbe, et que ceux qui cherchent la bonne poésie (la merde ?) sont tous des fous en cavale. « Mais qu’est-ce que la poésie, sinon un torchon humide sur le rebord d’un évier ? »

Maintenant, question : qui est poète et qui ne l’est pas ?

« Je crois humblement que tout homme est poète, qui accepte de traverser la vie par cet endroit qu’on nomme « mention d’homme », a dit magnifiquement Sony Labou Tansi. La poésie est avant tout geste [d’amour, d’humanité]. Elle vient de nous. Elle est en nous, partout. Parle de nous. S’impose à nous. Étant dans toutes les petites choses, elle a une force trans/formatrice, réparatrice et thérapeutique (vous pouvez toujours demander à n’importe quel marchand ambulant qui est poète). Et, aucun poème n’est plus beau et touchant, quelle que soit sa puissance verbale, qu’un pain donné à un enfant qui meurt de faim.

En effet, c’est la main qu’on essaie de serrer avec la vie lorsqu’on écrit (un poème), c’est-à-dire on est à la re/conquête d’une certaine amicalité avec le bonheur, une sorte de relation. Parce qu’on pense que les mots sont calmants. Parce qu’on veut toujours attraper ce qui nous échappe. Mais n’appartient-elle pas à tout le monde (aux garagistes, aux marchands, aux médecins, aux opérateurs culturels, aux éditeurs-poètes, aux ministres) ? Etc… Ils sont nombreux les poètes ; ils croient qu’ils peuvent refaire le monde en travaillant sur les mots, pour s’abriter, habiter le monde, ne les laissant pas dormir profondément, faire rêver les autres (les donner espoir de beaux lendemains), et aussi les éclairer. C’est parce qu’ils supposent que « vivre » n’est pas toujours suffisant. Il faut fouiller, chercher quelque chose qui vérifie notre existence.

De toute façon, pour que le poète ne touche pas le cœur, l’âme des autres, il faudrait qu’on ne le lise pas. Il n’y a pas de mauvais poètes (machòkèt comme a dit le chroniqueur), mais de poètes qui n’arrivent pas à vous frapper l’être (et c’est personnel). De là, toute œuvre est sérieuse. Loin de là…

Très simple ; l’éditeur poète fait circuler la poésie avec des manèges de gentlemen tout en pensant à sa puissance, le marchand voulant vendre ses produits possède un langage poétique (fallait un jour faire un tour dans un marché), le ministre-poète, lui, tout comme le garagiste n’échappe pas à l’omniprésence de la poésie, l’opérateur culturel, le journaliste et le peintre sont de même. C’est parce qu’elle vient à eux. Les grands petits poètes du milieu subissent une emprise, c’est plus fort qu’eux. Plus loin, ils pensent que la parole délibérée peut changer leurs conditions. Leurs paroles poétiques sont acerbes, virulentes, toujours, n’ayant d’autre cible que l’État. Il serait difficile de ne pas voir un recueil de poèmes où ce mot est en captivité totale. Les grands petits poètes dénudent, fustigent. Ils rêvent de changer le cours des choses par les mots en touchant les autres ; les vers sont des clés qui ouvrent mille portes. C’est un travail citoyen. Ils éclairent. Ils prêchent l’urgence de la révolte, de l’amour et d’amitié. Ils prennent parti. Ils sont les voix de ceux qui n’en ont pas.

Encore, très simple ; le choix du créole dans l’écriture ne devrait pas être une affaire politique, mais plutôt culturelle. Par le créole, on s’adresse à l’âme haitienne. Quand le créole sonne, n’importe quel bruit est devenu haïtien. Notre choix de langue est quelque chose de très personnel. Surtout, il ne se tient pas dans l’accès facile de la langue.

Toujours, très simple ; le chroniqueur critique son travail de donneur de coup de pouce, de booster-critique : incohérence. Et, ensuite sa tête est remplie plus que toute tête de formules douces pour vous faire prendre n’importe quel texte pour un chef-d’œuvre. Les théories donnent-t-elles le tournis au chroniqueur ?

Par ailleurs, pour être poète, écrire des poèmes est presuqu’insuffisant et même pas nécessaire ; il faut vivre en poésie, habiter le monde par elle, et faire corps avec. Le vrai poème est acte d’amour et d’humanité, voilà ma chanson. Pour moi, il y a deux types de poèmes ; le poème écrit, et le poème actionné. Le premier concerne le jeu-travail des mots, création de langages, d’images, et d’esthétiques. Pourtant, le second, une sorte d’action poétique posée qui défie le poème écrit, lui obligeant à sortir de son cachet, ce qui peut bien nous expliquer qu’il y a des poètes qui n’ont jamais pondu un vers, mais qui sont de vrais poètes par leurs actes poétiques, c’est-à-dire un geste ou une action qui sauve, tente à adoucir l’humain, qui cherche à forger le bien-être commun ou qui veut assurer la survie des uns et des autres. Car « l’homme n’a point d’autres intérêts que sa survie ». Selon moi, si Georges Castera jetait, avant sa mort, une pierre (cassant la tête d’un canard à cravate) sur le Palais national, il serait sans doute le plus complet des poètes haïtiens.

Pas de conclusion…

Bref, Paul Morand dit que tout finit par un recueil de poèmes en Haïti. Une attention si pointue est portée à la poésie, ici. Si on disait qu’Haïti est une terre de poètes, on aurait, sans peut-être, raison. Être poète, c’est une belle mœurs nationale quand même. C’est une sorte de censure lorsqu’on pense que tout le monde n’a pas le droit d’écrire ce qu’il veut. Cette conception exclusiviste de la poésie fait mal. Sur ce, suis-je pour une écriture vaine ? Mais non, juste parce que l’art est pour tous et toutes. Je ne suis pas confiné à Petit-Goâve, toutefois je réfléchis à l’arrogance du chroniqueur. Trop de culture nuit, peu de culture tue.

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