L’accès à Internet en Haïti, toujours un casse-tête en plein 21ème siècle

Alors qu’on est à l’ère de la technologie, la question de l’accès à Internet en Haïti reste toujours un casse-tête en plein 2023. Les compagnies de téléphonie mobile sont perçues par les Haïtiens comme de véritables sangsues du fait que les prix de leurs services ne cessent d’augmenter, pourtant la qualité de ceux-ci laissent à désirer. Les clients de ces compagnies ne manquent jamais l’occasion de cracher leurs frustrations à travers les réseaux sociaux. Quelques-uns ont été interrogés par notre rédaction, ils expriment leurs grognes envers ces institutions.
Outre les compagnies de téléphonie mobile Digicel et Natcom, Access Haïti et HAINET sont des Fournisseurs d’Accès à Internet (FAI) en Haïti. Profitant de l’indifférence et de l’insouciance de L’État et de leur domination sur le maché local, la Digicel et la Natcom se sont mises d’accord pour offrir de piètres services, à des prix très coûteux, aux clients haïtiens.
Junior Cius, un client de la compagnie Digicel qui habite à Boutillier, dans une localité dénommée ” Bwa kochon”, a partagé ses expériences avec la compagnie Digicel avec nous. “La Communication est de très mauvaise qualité, je peux passer une semaine sans pouvoir effectuer même un appel. Pour communiquer avec quelqu’un au téléphone, je suis obligé de me déplacer vers le haut d’une montagne très éloignée de chez moi”, raconte Junior Cius. Si effectuer un appel téléphonique est un casse-tête dans la zone où habite ce jeune homme, n’en parlons pas de la question d’accès à Internet.
En effet, les services offerts par les compagnies de téléphonie mobile en Haïti (Digicel et Natcom) sont très inefficaces. Panne de réseau intermittente, vol de données, augmentation des prix de certains plans sans aucun avertissement sont, entre autres, autant de problèmes auxquels sont confrontés les clients de ces compagnies.
Dans certaines régions du pays, malgré la présence des antennes de relais des compagnies Digicel et Natcom, la situation est gravissime. C’est le cas, par exemple, de Thomazeau, une commune située dans le département de l’Ouest à environ une trentaine de km de Port-au-Prince. Si, avec la compagnie Natcom, les appels, les SMS peuvent s’effectuer assez difficilement, quant à la Digicel, c’est purement catastrophique, rapportent certaines gens de cette commune à notre rédaction.
Roseline Louicien s’est abonnée aux deux compagnies précitées. Elle nous a fait part de ses expériences avec elles, affirmant que “si le réseau de la Natcom fonctionne par intermittence, pour la Digicel, c’est le contraire. Il est presqu’impossible de trouver du signal même pour effectuer un appel, voire accéder à Internet”.
En plus de la mauvaise qualité des services de ces compagnies, s’ajoute la question de l’augmentation des prix, effectuée souvent sans avertissement. “Pour effectuer un appel, j’avais l’habitude de payer au moins 35 gourdes pour un plan journalier. À présent, ce plan n’est plus disponible et ceux qui le sont, leurs prix sont exorbitants,” explique-t-elle.
Par ailleurs, si avec une carte “SIM Jenès” de la Natcom on peut faire un plan Internet à un prix plus ou moins acceptable, à Thomazeau il est quasi impossible avec la compagnie Digicel. “Les plans sont coûteux, on n’arrive même pas à trouver le service de recharge électronique “Rechaj Pap Padap” nous permettant de recharger notre compte”, raconte Roseline.
Au moment où d’autres pays ont déjà commencé à expérimenter le service 5G, comme c’est le cas pour la Corée du Sud, premier pays à lancer ce service à l’échelle nationale, avec trois réseaux ultra-rapides mis en service en avril 2019, permettant aux utilisateurs de télécharger des films entiers en moins d’une seconde, des soi-disant services 4G fournis par les compagnies en Haiti fonctionnent avec la plus grande lenteur.
Toutefois, il faut reconnaître que l’insécurité galopante du pays n’est pas sans conséquence sur le fonctionnement des compagnies de téléphonie mobile en Haïti. Certaines d’entre elles avouent avoir rencontré des difficultés liées à l’insécurité dans certaines zones contrôlées par les bandits. Elles n’arrivent pas à envoyer des équipes techniques pour des services de maintenance ou pour alimenter leurs antennes en carburant. C’est le cas, par exemple, de Martissant où depuis plus d’un mois, utiliser le réseau de la Digicel ou de la Natcom est un calvaire. Quelqu’un peut disposer de données sur son compte, mais n’arrive pas à s’en servir.
Pour comprendre l’impact de l’insécurité sur le fonctionnement des compagnies en Haïti, un technicien travaillant pour la compagnie Digicel à Savien et à Jean-Denis a accepté de nous parler autour de la question sous couvert d’anonymat. “Si vous n’avez pas quelqu’un vous facilitant de pénétrer dans les espaces occupés par les bandits, l’accès sera très difficile. Parfois on est obligé de partager du carburant avec les bandits pour pouvoir accéder à leur fief”, explique le technicien. Aussi, selon les informations dont dispose notre rédaction, dans certains cas, le carburant peut être volé par les bandits dans les antennes, laissant la population dans l’incapacité d’utiliser les services de la Natcom et/ou de la Digicel.
En Haïti, si certains veulent avoir un service d’Internet efficace pour se distraire sur les réseaux sociaux, c’est tout à fait différent pour d’autres catégories. D’abord, à cause de l’insécurité, certains professionnels sont contraints de travailler en ligne, faisant face alors aux difficultés liées à la mauvaise connexion Internet dans le pays. Les médias en ligne, les webémissions, entre autres, nécessitent une bonne connexion Internet pour continuer à remplir leurs tâches de former et d’informer les gens à travers le monde, mais effectuer ce travail est pratiquement impossible en Haïti.
D’après ce qu’a publié l’ONU en 2016, l’accès à Internet est considéré comme un droit humain. « Les mesures visant à empêcher ou à perturber intentionnellement l’accès à l’information en ligne ou sa diffusion sont une violation du droit international des droits humains, (ONU, 2016) ». Dans ce contexte, l’État haïtien ne devrait-il pas prendre des mesures à travers le Conseil National des Télécommunications (CONATEL), son organe régulateur, pour garantir le droit d’accès à Internet de tous les Haïtiens en prenant des mesures efficaces visant à empêcher les compagnies de téléphonie mobile et les FAI à exploiter la population et les obliger plutôt à donner des services d’Internet efficaces ? Sans l’intervention de l’État, la population ne risque-t-elle pas de continuer à s’appauvrir pour des services qu’elle n’aura jamais ?
N.B. Les noms cités dans cet article sont des pseudonymes utilisés pour la sécurité des personnes interviewées.
Gladimir BRUNI