
J’ai vraiment du mal à me défaire de cette vieille habitude : je me lève avec l’aube. Toute la maison dormait encore quand je sautai du lit. Je sors dans la cour observer la rosée du matin qui s’attarde sur le gazon, sur les arbres et sur les fleurs qui bordent la propriété. Loin du tumulte quotidien de Port-au-Prince et de ses brasseurs, je tente de me connecter à la nature. Je fais un footing jusqu’à la rivière de la localité.
Je suis à Bouzy, petite localité de Fonds-des-Nègres, dans le département des Nippes. Le soleil perce le rideau formé par les arbres alors que je m’apprête à rentrer pour déguster mon café. Je l’aime chaud et presque sans sucre. J’ai toujours pensé que le café est fait pour être bu sans accompagnement.
Une fois sorti de table, ma journée peut débuter. De toute façon, je ne fais que déambuler, rencontrer des gens qui vous saluent avec un large sourire illuminant leurs visages même s’ils ne vous connaissent pas. Outre l’hospitalité des gens des Nippes, un fait a attiré mon attention.
En effet, à la lumière de mes observations, il m’a été facile de voir que chaque maison dispose de sa cave. Ces caves prennent plusieurs formes selon la taille du domaine. Elles sont souvent bien entretenues et décorées.
Il existe une telle promiscuité que les vivants résident dans les maisons et les morts se reposent non loin dans les caves. Pour moi, il s’agit d’un art de cohabiter avec des personnes qui nous ont été chères en sachant qu’elles sont proches de nous, sous nos yeux.
Faut-il un grand courage pour cohabiter avec les morts ? Évoluer chaque jour en côtoyant la personne qui repose dans un caveau soit à l’arrière ou à l’avant de propriété ? Cela ne fait-il pas remonter des souvenirs douloureux ?
Ce fait me prouve qu’il est difficile de quitter les siens et que le monde est une grande communauté qui enterre ses morts dans son coeur pour mieux s’en souvenir. Quant à moi, en dépit des efforts consentis, je frémis à chaque fois que je vois même au loin un cimetière. Mais je crois que nous cohabitons tous avec nos morts. Certains s’usent de leurs cœurs ou encore de leurs souvenirs comme tombes. Mais les gens de Bouzy donnent un cadre physique à cela en construisant ces tombes dans la cour même de leurs maisons.