Pages noires de vers imprécis d’Aterson-n Sainval : parce qu’il nous reste que la parole

Le performeur et le poète Aterson-n Dade Sainval vient d’inscrire dans le panorama de la poésie haïtienne « Pages noires de vers imprécis », paru en 2022 aux éditions Pulucía. Ce recueil de 85 pages se place sous le signe de l’amour (éternelle hantise des poètes), la conscience d’un demain à bâtir à coups d’union, d’un aujourd’hui trop chaud à vivre, de l’insécurité, entre autres.
Sainval est conscient du pouvoir de la parole. Il va au plus près du verbe, sans limites, pour dire « qu’Ici/tout s’emballe/comme/l’amertume qui nous empêche de respirer[…] Ici/tout s’emballe/comme/ j’ai vu l’or en cendre/et les yeux des mers en ruisseaux ».
Dans ce recueil, on est pris par le travail d’un dératé exquis qui par entrelac d’images cherche le beau dans une couture presque classique. Pourtant, en des milieux sombres de ces pages noires, sa poésie fait face à ce qu’on endure. « Il est minuit/quel spectacle si horrible/le temps est à la pendule ». Sa parole fait pont entre un art qui servit et le contraire. Peut-être, un exercice de génie.
Son ébauche avec une carte sous les yeux – et son oreille est son moyen de constat amer. « L’espoir/abimé/assassiné/la vie et la mort s’aiment tellement qu’elles se blotissent/enfin/enfin/leurs étoiles quittent leurs horizons/ici/ici/c’est l’échec qui parfume l’existence ». En fait, tout poète devrait être un constateur du réel (par le verbe) à l’instar du performeur.
Sainval parle la langue des feuilles volantes, du frottement du drap blanc et de l’homme qui marche à Port-au-Prince. « Dans ce beau quartier/ de Bel air/où Cité Soleil/a séché/la mer/avec ses odeurs tenaces/vivre devient une option/quand ses infinies d’abeilles clament /que mourir ne doit pas être une obsession/comme les aboiements tristes des chiens/de leurs cages qui attendent le couteau du cuisinier/pour épicer leurs silences/une lame/une envie/celle de se libérer/de cette vie qui nous ennuie/afin que tout soit fini ». Dans ce texte, le performeur nous montre vraiment que les poètes sont des gens enfoncés dans la vie des autres. Prenant leurs voix.
On est poète parce qu’on a des pieds à donner aux bonnes nouvelles de la tendresse. Cette phrase est presqu’une bourse pour le texte. Elle prend tout le texte et le met dans son sac.
Écrire, c’est mettre dehors ce qui ne veut pas rester à l’intérieur, par peur d’étouffement. Les poèmes naissent de cette passion du vivant, porteurs souvent de petites scènes (parfois) brièvement évoquées quand font signe, pris sur le vif, un geste, un visage, une silhouette, une parole, une rencontre.
Et l’amitié, prétexte pour aimer l’autre, donne précision au texte « J’ai plongé mon corps/dans ce vaste monde/pour me laisser voyager dans cet aéroport/que le goût d’haleine fraiche/M’a-t-il toussé au visage : l’amour ».
Parce « qu’il fait un temps de mardi gras ». Un temps où la bêtise des politiques roule dans la ville. Un temps où l’humanité perd l’amour. Un temps où la détresse et l’inespérance battent leur plein. Le poète Aterson Sainval vous donne « Pages noires de vers imprécis » comme remède.
Ici, la mission que s’assigne le poète, si mission il y en a, est toujours de se mettre à l’écoute des bruits, (c’est-à-dire de la réalité ?), d’une part, de l’amour, et d’autre part, de sa « clandestinité intérieure », qui lui permet de faire chanter les mots (son métier de performeur demeure present dans le texte) – seule façon de métamorphoser ce monde sans éclat. Ou encore lui questionner « pourquoi suis-je toujours en vie ou ne pas être mort ? »