KPK ou la quête d’une souveraineté perdue !
“Libète ou lanmò !” voilà l’un des mantras de nos ancêtres révoltés. Ces derniers, de toute leur force, ont dit non à l’esclavage, au racisme et au ségrégationnisme. Ils ont pensé à une nouvelle ontologie, à une autre épistémologie et à une redéfinition du sujet politique moderne. Le soulèvement des êtres tenus en captivité par les esclavagistes blancs à St-Domingue a conduit à la naissance d’un nouvel État, souverain et indépendant le premier janvier 1804. Par cet acte, Haïti a remis en question un modèle d’organisation sociale dans laquelle l’émancipation de l’homme était un coquille vide.
Cette gifle bien méritée à l’ordre mondial dominant de l’époque suivra Haïti dans son évolution. En effet, il a fallu environ 20 ans pour qu’un État reconnaisse l’indépendance haïtienne. Mise à la porte à Vertières en 1803 par l’armée indigène, la France, en 1825, a contraint, via une ordonnance, Haïti de lui verser une grosse rançon pour la reconnaissance de sa Victoire. Ce que, malheureusement, le Président Jean-Pierre Boyer, encouragé par une bonne partie de l’oligarchie mulâtre d’Haïti, a accepté. Ce choix, disons-le, a plongé le nouvel État dans une situation très difficile marquée surtout par l’affaiblissement d’une petite économie, déjà ravagée par la guerre de l’indépendance.
Depuis, on a assisté à une descente aux enfers du pays. La fracture sociale est renforcée par, encore une fois, la mise à l’écart des nouveaux libres, dont les aspirations ont été tuées dans l’œuf par les anciens libres. Ces derniers ne sont jamais arrivés à s’unir pour donner une nouvelle orientation au pays. D’ailleurs, c’est dans ce climat de discorde que Jean-Jacques Dessalines, à qui l’on attribue le titre de père de la patrie pour son génie, a été assassiné le 17 octobre 1806. Cet assassinat peut se considérer comme celui d’un projet, celui de socialiser l’État colonial, autrement dit, un projet d’intégration des masses populaires.
Si le 19e siècle haïtien est surtout caractérisé par des crises politiques récurrentes, le 20e, quant à lui, est celui où la souveraineté du pays s’est entérinée par l’intervention militaire des Américains. En 1915, le premier État indépendant du continent américain, pour étendre son hégémonie, a déposé ses valises en Haïti et est resté pendant 19 ans. Au cours de leur passage, les États-Unis ont contrôlé tous les appareils administratifs de l’État et volé bien des réserves d’or du pays. Des paysans, dépossédés de leurs terres, ont été tués.
Après leur départ, ils ont laissé une Haïti dans une totale dépendance, surtout sur le plan économique et administratif. Ce sont eux, même aujourd’hui, qui décident de l’orientation politique du pays. Vers les années 1980, le libéralisme économique trouve son heure de gloire dans les pays de l’Amérique latine grâce à la privatisation de certaines institutions étatiques et la destruction de leur économie. Haïti n’en est pas épargnée. Mais… on résiste encore !
Les masses paysannes, malgré les efforts consentis par les élites haïtiennes dans le processus de leur effacement sur la scène politique, ne cessent de questionner l’ingérence américaine et l’insouciance de l’État qui n’arrive pas à se défaire de son essence coloniale. Haïti, sur le plan alimentaire, devient plus en plus dépendante de l’extérieur. Pour les produits de consommation de base, Haïti se tourne généralement vers son pays voisin, la République Dominicaine.
À Ouanaminthe, des Haïtiens lèvent la voix contre cette dépendance. Fini cet attentisme qui nous tue. La terre, symbole de liberté, voilà notre arme de combat. Ainsi, sur la Rivière du Massacre, se livrent-ils dans la quête de l’eau pour l’arrosage des terres dans la Plaine de Maribaroux. Ce à quoi s’oppose l’administration dominicaine. Luis Abinader, président dominicain, en vue de faire pression sur les initiateurs, a adopté une série de mesures, comme celle de fermer sa frontière avec Haïti.
Presqu’un mois après l’annonce de ces mesures, les travaux de construction du Canal d’irrigation se poursuivent, alors que M. Abinader annonce la réouverture de sa frontière seulement à des fins commerciales. Les autorités dominicaines n’ont pas obtenu l’effet escompté. Ne jurant que par l’achèvement de ce canal, les instigateurs de ce grand projet s’en foutent royalement du choix des dirigeants de l’autre partie de l’île.
Des Haïtiens ont laissé volontiers la République Dominicaine pour venir prêter mainforte à la construction du canal. Certains d’entre eux estiment que c’est une grande avancée dans la lutte pour retirer Haïti sous l’emprise de l’extérieur. Il ne s’agit pas uniquement d’une lutte pour la souveraineté alimentaire, mais également pour l’autodétermination, perdue depuis un bon bout de temps.
L’État, dans sa forme institutionnelle, est mis hors-jeu dans ce combat pour la souveraineté du pays. Aujourd’hui sonne le temps de la révolution pour une Haïti inclusive où ses fils et filles peuvent remplir leur destinée. Kanal la p ap kanpe (KPK), une vraie quête de souveraineté perdue !