Dette de l’indépendance : le regard de Michèle Duvivier Pierre-Louis sur l’ordonnance de Charles X

L’institut français en Haïti a accueilli, mercredi 29 novembre 2023, la dernière de la série de conférences organisée dans le cadre de la 20e édition du Festival Quatre Chemins. “L’ordonnance de Charles X : La dette, la double dette et la spirale” a été le thème autour duquel s’est entretenue la présidente de la FOKAL, Michèle Duvivier Pierre-Louis, avec les festivaliers. Au cours de son intervention, madame Pierre-Louis a montré comment l’indemnité payée à la France par Haiti a eu de graves conséquences économiques sur le futur du jeune État.
D’emblée, Michèle Duvivier Pierre-Louis est revenue sur la situation économique florissante de la colonie française de Saint-Domingue durant tout le XVIIIe siècle. Avec chiffres à l’appui, la responsable de la FOKAL précise: “En 1700, il y avait 18 sucreries et 9 000 esclaves. En 1715, on passe de 18 à 140 usines sucrières et de 9000 à 30 000 esclaves. En 1789, plus de 800 plantations produisaient du sucre et 3 000 du café. 40 % du sucre mondial provenait de la colonie de Saint-Domingue et 60 % du café mondial, après le Brésil.
Pourtant, après la déclaration de l’indépendance, en 1804, l’économie du pays a été chambardée, notamment avec l’ordonnance de Charles X. Après l’indépendance d’Haiti, le gouvernement français passa 7 ans à négocier avec les autres puissances coloniales de l’époque pour reprendre son ancienne colonie. En 1824, soit dix-sept ans après les premières négociations, l’ancienne métropole se rendait compte qu’il est impossible de reconquérir Haïti. Le roi Charles X qui succéda à Louis XVII, envoya en Haiti ses émissaires pour négocier la reconnaissance de l’indépendance d’Haïti en imposant une somme calculée ainsi que les modalités de paiement à travers la fameuse Ordonnance de Charles X. Pendant tout le XIXe siècle, rappelle la conférencière, Haiti a payé aux Français, Américains, Anglais et Allemands.

Cette prescription a été remise en mains propres au président Boyer. Réticent au début, il a fini par céder, en juillet 1825, sous la menace de ce que les historiens appellent “La diplomatie canonnière” (500 canons étaient dirigés sur Port-au-Prince). En imposant cette décision à Boyer qui a été ratifiée par les sénateurs haïtiens, la France reconnaît l’indépendance des Haïtiens de la partie Est de Saint-Domingue (Pas Haïti) et prive la douane de 50 % de taxes dans l’importation des produits français.
Le public avait les yeux rivés sur l’ancienne première ministre qui enchaînait ainsi : “Nous avons payé en tout : indigo, bois précieux, café, cacao, pièces d’or… Mais, à chaque fois qu’il y a un bateau français chargé de pièces d’or payées par Haïti, la population se rassemblait autour du port pour protester ; il y avait toujours de l’émeute à Port-au-Prince. Lors de la signature du contrat, il y avait des émeutes, il y en avait pour le vote par le sénat, à chaque fois qu’on paie, il y avait toujours des émeutes en Haïti”, rappelle madame Pierre-Louis, précisant que le montant de l’indemnité devrait être payé en 5 versements de 30 millions de Francs or à partir de l’année 1825.
Femme de grande culture, disposant d’une riche documentation, madame Pierre-Louis fait parler nos historiens. “Haïti a payé pendant tout le XIXe siècle la dette de l’indépendance. La plupart de nos historiens haïtiens ont étudié ce processus qui a paralysé le développement de notre nation tout en amplifiant les tensions sociales persistantes“, rappelle l’intervenante, admettant que les Haïtiens ont aussi leur responsabilité.

Selon des historiens qui ont étudié les relations économiques et financières entre Haïti et la France pendant tout le long du XIXe siècle jusqu’à l’occupation américaine, non seulement Haïti a payé une dette pour son indépendance, elle a aussi accepté de payer une rançon pour la liberté de genre humain (la dette, la double dette et la spirale).
“À titre de comparaison, ce montant est presque le double de ce que les États-Unis ont payé à la France pour La Louisiane. 80 millions de francs or pour 2 millions de kilomètres carrés. Contre 150 millions pour 20 mille kilomètres carrés. Pour payer cette dette imposée, Haïti a dû emprunter 30 millions de francs or auprès des banques françaises. Cette tractation n’a été qu’un jeu d’écriture. Ce qui va nous amener, comme l’appellent les historiens, à la spirale des dettes”, a-t-elle souligné, rappelant qu’Haïti a continué à emprunter aux Américains, aux Allemands et aux Français.
“Il s’agit d’une tranche d’histoire qui doit être connue par tous les Haïtiens vivant dans le pays et dans la diaspora. Beaucoup de documents ont été produits pour sensibiliser en ce sens. Notre action vise à sensibiliser le public par le biais de publication de podcast d’animations afin de déboucher sur des activités de toutes sortes, y compris des plaidoyers”, promet madame Pierre-Louis.