Chronique : La nuit des silences
Chère fleure d’oranger
Je n’ai pas cessé de jouir.
Depuis la dernière fois où l’embrasure de nos lèvres ont joué la cathédrale de poussière dans cette chambre, j’ai senti que ta sueur me filait entre les mains, comme pour ne plus me revenir. Ici, la nuit des silences emporte tout sur son passage. Hier encore elle a tué à la rue Peine-sang, un brillant étudiant en Lettres. Oh diable la mort, oh diable les bourreaux pour qui l’appel du sang est un travail. L’étudiant en lettres, longé sur les craquelures du béton, abhorrait avant sa mort, les fines interstices » Des Villages de Dieu « , de la Ministre pour qui les fesses sont faites pour toutes les ministères.
Fleur d’Oranger, j’ai empilé des soleils sous mes doigts, apposé la pierre tombale contre le mur juste pour traverser ces lots de détritus qui surplombent ta rue, dans un souci d’émergence d’amour, mais comme tu le sais, les balles fusent, sortir est synonyme de mort. L’amour ne résiste pas souvent contre les fléaux de l’absence. L’insécurité tue l’amour. Alors je me tasse dans un coin des quatre murs qui servent de maison à mes parents, pour t’écrire cette lettre remplie de manque.
Cette lettre est le reflet de mon âme déchirée, qui tente en vain de coudre ses fissures avec ton nom. Je voulais que tu saches que plus rien ne fait battre mon cœur que ton silence accroché au désarroi du béton. Le ciel est devenu vague en ton absence et mes pleurs emportent Port-Au-Prince dans sa douce nuit. Comment te dire que j’ai cherché sur le palier de la nuit ivre des silences qui font échos dans le vide, tes mains, mais à chaque fois mes larmes ont bafoué mes mots et mes ratures ont blessé le papier.
J’ai cherché les mots, à ras le sol pour berner l’absence de tes regards. J’ai plongé ma main dans le néant pour attraper ton sourire, mais les balles ont troublé ma paix, comme si ce sentiment d’impuissance me collait à la peau. La nuit blesse mes yeux, je pose ma tête sur l’oreiller pour consumer les souvenirs d’autre fois. Les phrases partent à l’affût, mes doigts retracent le néant sur le carrelage, tout mon être chante avec douleur la mélancolie des tendresses oubliées.
J’ai toujours su que cueillir sa peine dans le noir ne fera pas de demain un beau jour, mais la nuit, les réverbères ne jugent pas l’inconnu qui pourfend sa chaire. Alors, je suis parti à la recherche d’une étincelle pour vaincre ma peur. L’histoire n’aurait aucun sens si le héros était mort sur le palier, l’amour aurait perdu tout son support si tu ne me souriais plus.
Je coupe cours… Inversion
Quand la nuit impose sa loi, quand les étoiles blessent l’horizon, quand la lune se détache du soleil, penser qu’un jour tu finiras dans mes bras est la seule chose qui m’aide à supporter l’existence, alors que Mon miroir-reflet te dénigre dans ton dos, ne supportant plus ton silence.
Pardonne-moi ma Fleur d’Oranger, j’ai couru trop loin du rivage, la mer a effacé nos pas dans le macadam et nous prive à tout jamais de nos espoirs escomptés. Nos pleurs d’un soir sont devenus sanglots noyés dans la bêtise humaine. Chaque fois que la nuit couvre le jour, l’apostrophe de l’ennui me presse comme si les corbeaux emportaient nos restes en décrépitude, sous la chaise dorée du soleil. Tu es si loin, que même mes doigts ne voudront plus de ta sueur.
Immersion…
Aide-moi à finir cette lettre d’amour raturée, il me manque des verbes corrosifs pour brûler nos passions; d’ailleurs, comment décrire nos manques sans des verbes qui brûlent, des virgules qui mettent le temps en suspens juste pour savourer une dernière fois ton regard.
Fleur d’Oranger, je porte mon cœur dans la main. Je sais que le temps n’a pas d’emprise sur les gens amoureux et moi, chien errant d’amertume jouissive, ne réclame que ton bruit dans mon être avant que la ministre pour qui les fesses sont faites pour toutes les ministères décrète que ma maison est un territoire perdu.
Tu sais, les cimetières ne renferment pas toujours de morts. Ils portent juste des épaves trop lourdes pour conjuguer l’alphabet des absents.
Ne pleure pas mon absence, Fleur d’Oranger. La rue a la couleur de mes os.