Depuis plusieurs années, encore plus en ce début de 2024, la plupart des Haïtiens parlent de « révolution ». Elle serait pour eux la solution sine qua non du développement de leur pays. Plus d’un pense que 2024 serait l’année idéale pour ce renversement total et brusque des responsables et des institutions. Cependant, on est encore loin d’une révolution proprement dite. Les conditions sont réunies pour une révolte, un coup d’État ou une crise politique aiguë certes, mais le moment fatal tant attendu semble n’être pas pour demain.
Les hommes ont accepté formellement la révolution dans le monde politico-social à partir de 1789, l’année où des mutations profondes et qualitatives sont survenues dans l’ordre des choses en France. Elle n’est en aucun cas un mouvement spontané. Elle requiert plusieurs années de préparation pour que toutes les conditions y relatives soient d’abord remplies.
La période violente tant attendue en Haïti ne peut se faire sans avoir préalablement posé les bases. Personne ne peut lancer une révolution sans qu’il n’y ait des faits insupportables pouvant conduire à un objectif commun au niveau de la société concernée. En Haïti, les habitants vivent réellement dans des conditions inacceptables. Par contre, la masse, partie indispensable d’un tel acte, n’a pas un objectif commun face aux problèmes. Un groupe visant le même but ne se disperse pas, mais reste très solidaire. Actuellement, la classe moyenne du pays jongle entre voyager et trouver une porte de sortie personnelle au pays pour se retirer de toute revendication populaire.
Il est impossible de ne pas avoir des moyens de vulgarisation de ce rêve révolutionnaire pour une prise de conscience collective. Face au départ massif des gens vers l’extérieur et le manque d’appartenance de ceux qui choisissent d’y rester, comment peut-on faire une campagne de sensibilisation efficace ? Peu importe les moyens utilisés, la masse ne sera pas vraiment touchée et la prise de conscience collective sera toujours engluée dans la fameuse formule du « sauve-qui-peut ».
La première nation noire du monde, contrairement à la période qui allait déboucher sur 1804, est encore très loin d’avoir ce qui est le plus important dans cette période : « le révolutionnaire ». Ce dernier doit être un sacrificateur, se donnant totalement au pays sans aucun attachement à la famille ou aux biens. Celui qui cherche encore à gagner son pain ne peut être en aucun cas un révolutionnaire. Dans l’histoire de l’humanité, aucun responsable de révolution n’a choisi cette voie fatidique sans se délier de tout intérêt personnel ou familial. Il est la personne qui va se mettre avec les différents chefs de file pour renverser totalement la cible.
Avoir l’idée de révolution sans jamais avoir les conditions pour la réaliser vraiment est l’apanage des Haïtiens depuis deux siècles. Cette idée vaine risque d’occuper encore longtemps les pensées fabriquées à cet effet. Le problème est avant tout un manque d’appartenance au pays. Les méthodes modernes de colonisation, s’emparant du système éducatif, n’ont pas formé des Haïtiens dignes de ce nom. Un citoyen n’ayant pas une forte appartenance à sa patrie, peut-il lancer ou participer à une révolution ? Cette dernière, peut-elle se réaliser avec une infime partie de la société ?