Un Conseil présidentiel sans alternative viable : que peut-on espérer de ses 100 premiers jours ?
Depuis l’assassinat du feu président Jovenel Moïse en juillet 2021, le pays connaît une situation catastrophique. Ariel Henry qui a dirigé le pays comme Premier ministre pendant plus d’une trentaine de mois, n’a pas su (voulu) rétablir les institutions démocratiques, alors que presque toutes les institutions régaliennes sont à l’arrêt depuis des lustres. Fin février, la crise s’est aggravée avec un soulèvement généralisé des groupes terroristes qui contrôlaient déjà plus de 80 % de Port-au-Prince, selon les Nations Unies. Dans la foulée, le PM Henry a dû renoncer au pouvoir pour faire place à une nouvelle équipe : un Conseil présidentiel de transition.
Après plusieurs semaines de tractation, les membres dudit Conseil, rassemblant neuf Conseillers-présidents, représentant chacun un secteur de la vie nationale, ont prêté serment dans un pays dévasté par la misère et la désolation, avec des concitoyens déshumanisés, appauvris, maltraités et humiliés.
Dans ce contexte aussi alarmant, le Conseil a promis, dans moins de 24 mois de redonner espoir à la population en améliorant ses conditions de vie. Les défis à relever paraissent nombreux. Nombreux !
En plus de l’établissement d’un climat sécuritaire pour la réalisation des élections, ledit Conseil a promis, dans l’accord du 3 avril (article 7) conclu entre les différentes parties prenantes, de remettre Haïti sur, entre autres, la voie de la dignité, de la souveraineté et de s’assurer du bon fonctionnement des institutions de l’État.
Mais depuis sa prise de fonction, on dirait que celui-ci n’arrive pas à trouver ses marques, du fait que la crise qu’il était censé combattre, l’a peut-être englouti.
De ce fait, une première hypothèse soutient que le Conseil peut, malgré tout, amener à un dégel de cette crise à laquelle le pays est en proie. Une seconde croit qu’il ne parviendra pas à faire quoi que ce soit pour amener à une amélioration des conditions de vie de la population haïtienne.
Entre optimisme et scepticisme, on va, à travers un exercice historique et pédagogique, essayer de comprendre l’avenir du nouveau Conseil présidentiel, installé à la tête du pays depuis le 25 avril 2024.
Un regard rétrospectif
À travers un coup d’œil rétrospectif dans l’histoire, on dénombre plusieurs collèges présidentiels ayant dirigé le pays.
Selon le professeur Luné Roc Pierre-Louis, intervenant au micro de Magik9 le 17 avril 2024, pas moins d’une vingtaine de collèges ont déjà gouverné le pays allant des années 1840 jusqu’à la fin des années 1980. Comme point marquant, parmi ces présidences collégiales, seulement sept avaient pu diriger le pays pendant quatre mois ou plus, à en croire le professeur Pierre-Louis. Certaines ont même passé moins d’une quinzaine de jours au pouvoir.
La présidence collégiale la plus récente est celui qui a gouverné le pays pendant deux ans suite au départ de Jean-Claude Duvalier en 1986 : le Conseil national de gouvernement (CNG).
Une crise permanente !
La situation qui sévit actuellement en Haïti n’est pas nouvelle. La seule différence, c’est qu’elle a atteint un niveau extraordinaire menaçant l’existence même de notre République.
Pour essayer de limiter les effets désastreux de cette situation, sans précédent, plusieurs possibilités avaient été envisagées par les protagonistes. Toutefois, après le passage mitigé d’Ariel Henry à la tête du pays, le Conseil présidentiel intérimaire a été mis en place. Ce Conseil est, pour le moins, représentatif.
Cependant, malgré ce caractère représentatif, on dirait qu’il n’est pas la clé pouvant aider à solutionner les problèmes. Car, suite à son installation, un important désaccord autour de seulement sa présidence avait empiété sur son fonctionnement. Mais après cette mésentente accrue, les membres de ladite entité ont opté pour une présidence tournante, malgré le fait que l’accord politique paraphé entre les parties prenantes n’ait pas prévu une telle disposition.
Face à l’arrivée de ces nouvelles autorités, il faut mentionner que le contexte actuel, notamment la situation sécuritaire, est très spécial. Le pays est au bord d’une catastrophe humanitaire avec plus de 360.000 personnes déplacées à cause de la violence armée, selon l’OIM. Des écoles, universités et autres institutions d’utilité publique sont détruites par les groupes criminelles ou occupées par des déplacés forcés. Dans un contexte aussi incertain, quelle attente à l’issue des 100 premiers jours de ce Conseil ?
Un Conseil sans alternative viable !
S’il est vrai que le pays avait été déjà dirigé par des collèges présidentiels peu satisfaisants, il faut mentionner qu’ils n’ont pas été tous des échecs, selon le professeur Pierre-Louis. En effet, la plupart de ces derniers parvenaient, même à un degré moindre, à réaliser au moins des élections pour assurer le transfert du pouvoir.
Mais dans le cas du nouveau Conseil présidentiel, les alternatives ne paraissent guère viables et l’avenir de cette entité face aux multiples défis paraît de plus en plus incertain.
Dans le projet de décret portant organisation et fonctionnement de ce Conseil présidentiel, sont réparties en six grands axes ses différentes missions, à savoir : le rétablissement de la sécurité, la réalisation d’élections, la réforme constitutionnelle, la conférence nationale, le redressement économique et le relèvement social et humanitaire.
Malgré cette répartition pour adresser les problèmes criants de la cité, plusieurs points ne jouent pas en faveur du Conseil. On peut énumérer, entre autres, le temps ou encore les intérêts politiques.
En effet, il n’est un secret pour personne que chaque secteur représenté au Conseil présidentiel a ses propres intérêts politiques. Ce qui avait déjà déclenché des hostilités entre ses parties prenantes autour sa présidence.
Gilbert Boutté, intellectuel français, a présenté, dans un texte intitulé «Risques et catastrophes : Comment gérer et prévenir les crises ?», trois modèles fondamentaux de processus décisionnels. Hormis un modèle mono-rationnel avec un décideur unique et un modèle organisationnel, il a présenté un modèle politique.
Selon Boutté, dans ce modèle, le pouvoir est très disputé en raison du jeu politique qui se joue. Il explique que lors de la gestion d’une incertitude, «chaque acteur ou chaque groupement d’acteurs de ce modèle a ses intérêts propres qui les conduisent et voient les choses à leur manière». Ainsi dit, dans ce modèle, chaque acteur cherche à tirer profit de chaque action, suivant ses intérêts politiques propres.
Suivant cette idée, la lutte politique qui s’était déjà livrée entre les membres du Conseil va inéluctablement constituer une embûche pour son fonctionnement, tenant compte des différents intérêts politiques en jeu.
À un certain niveau, il peut y avoir, dans les mois à venir, un apaisement de la situation sécuritaire, tenant compte de l’arrivée de la mission multinationale en Haïti et des équipements adéquats qu’aura la police nationale pour contrecarrer les gangs criminels.
Mais, du point de vue politique, économique et social, les alternatives du Conseil pour gérer les incertitudes ne paraissent pas claires. Malgré la soif des Haïtiennes et Haïtiens, malgré l’optimisme d’une frange de la population de voir des jours meilleurs pour le pays, l’arrivée du Conseil n’a pas vraiment calmé les esprits.
De ce fait, sans pour autant être pessimiste, on ne peut espérer grand-chose à l’issue de ses 100 premiers jours au pouvoir et même de toute la durée de son mandat. De nouvelles têtes vont probablement s’enrichir avec l’argent des contribuables et les masses populaires vont continuer sans doute à moisir dans la crasse. Ou… attendons de voir.