Très petit traité de développement personnel

Apprendre à apprécier les petites choses. C’est la définition de la gratitude, de la reconnaissance qui serait nécessaire dans toute étape de développement humain. Il s’agirait de reconnaître ce qu’on a par rapport à d’autres et de ne pas se morfondre sur ce qui manque. Un pied en plus, un bras, un œil, respirer, la santé, une maison et autres compléments. Voilà des mois que cette petite association de mots prend plaisir à me travailler. Elle est le parfait numéro 1 dans nombre de manuels de développement personnel aux recettes magiques pour devenir soi, se réaliser, s’accomplir, devenir heureux, trouver le sens de sa vie et autres compléments. L’ironie dans tout ça, c’est le ton honnête que prend leurs auteurs pour dire qu’eux-mêmes ont eu à déchiffrer tous les autres ouvrages et que pas un seul ne leur était adapté. Et que finalement ils ont dû inventer leur propre méthode. Et encore que ces méthodes pouvaient aider n’importe quel humain. En d’autres termes, ils avaient La Vérité.
Ce ne serait pas étonnant, si demain je venais à trouver moi-même la vérité et à proposer cela sous réserve de rémunération aux hommes. Je vous entends grommeler après moi. Quoi ? Personne ne le fait gratuitement, je ne vois pas pourquoi je le ferais. Le développement personnel est en train de devenir, s’il ne l’est pas déjà, un grand secteur de l’économie. Et puis j’apporte la formule qui sauve. Savez-vous ce qu’il m’en coûtera de parcourir tous ou presque tous les manuels de la vie, de comprendre qu’ils étaient tous dans l’erreur la plus infâme, de trouver le vrai chemin et de revenir vous l’indiquer ? Oui, vous êtes des enfants à qui on doit prendre la main, les porter marche après marche, barreau après barreau sur ce grand escalier, cette grande échelle qu’est la vie. C’est pourquoi je supporte toute cette prolifération de baguettes plus magiques les unes que les autres.
Et puis, il est sûr qu’au moment du bilan, vous savez ce moment où tout le monde est d’accord que vous avez réalisé quelque chose (Écrire 50 romans, gagner assez de prix, donner nombre incalculables de conférences, d’interviews, avoir 5 albums sur le marché, gagner assez de combats et autres compléments), il arrive donc ce moment où l’on vous demande un compte rendu à titre d’exemple pour ceux qui viennent après vous, la jeunesse disent-ils. Dès lors, vous avez peu de temps pour résumer avec force et conviction toute votre vie, comme si elle n’avait été qu’une suite logique d’événements et de choix bien calculés, ou d’erreurs utiles, comme si vous aviez dès le début un plan clair de ce qu’elle serait et que vous n’aviez passé le temps qu’à cocher les cases, les étapes planifiées.
Il ne faudra pas laisser entendre que vous n’avez pas tant aimé cette passion que vous avez prétendu avoir, que vous avez passé toutes ces années à mentir, à vous forcer. Il ne faudra pas qu’on puisse soupçonner que tout ce que vous avez fait, vous l’avez accompli par automatisme, parce que c’est ce que l’on attendait de vous. Mais au contraire, il faudra raconter avec quelle ardeur cette passion vous consumait. Priorisez des phrases comme «Je pouvais passer des heures à (ajouter votre passion ; ex : des heures à lire et à écrire», «je ne pouvais me détacher de….» «C’était ça mon monde». À la question si vous auriez changé quelque chose dans votre parcours, il faudra répondre par la négative. Vous direz alors que votre vie n’aurait pas été telle sans ces choses, qu’elles vous ont construites. Vous ne direz pas que vous auriez tout changé, tout balayé d’une main. On vous demandera un conseil, une phrase pour ceux qui vous écoutent. Il faudra alors trouver la parfaite formule pour survoler vos méthodes (la vérité) tout en laissant un flou qui décidera la foule à s’arracher votre manuel de vie, votre formule magique. Ce sera là, la véritable œuvre de votre vie.
Dans 5 ans, 10 ans, tout le monde prétendra vous connaître parce qu’il aura lu cette grande œuvre ou quelques bouts de commentaires éparpillés qui résument en 3 paragraphes l’essence, la substantifique moelle. Dans 100 ans ou plus, vous serez devenu une citation, un petit bout de phrase que vous aurez vraiment dit si vous avez de la chance. On le scandera partout, voudra le dire en toutes circonstances. Voilà, sommairement l’espérance de vie humaine. Quel beau panorama, non ? En attendant que je trouve la vérité et que je vous sauve d’une vie absurde, je ne vous dissuaderai pas de lire nombre et nombre de manuels de vie. S’il n’est pas sûr que vous trouverez quoi que ce soit d’intéressant, d’innovant, il est certain que vous vous familiariserez avec les tournures de phrases qu’il faut pour construire votre grande œuvre. Entraînez-vous alors !
Dorvensca M. Isaac