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Se rendre à la péninsule sud : récit d’un voyage dangereux sur une véritable route de l’impossible

Depuis l’état d’urgence sécuritaire décrété par les autorités sur quatorze communes des départements de l’Ouest et de l’Artibonite mi-juillet, l’accès à la péninsule sud du pays par voie terrestre devient presqu’impossible. Des milliers d’habitants cherchant à se rendre dans cette partie du pays se lancent dans un périple, en empruntant la voie maritime pour éviter les zones dangereuses, grâce à la bonne volonté d’un homme d’affaires véreux, selon certains dires. Cependant, malgré le danger imminent sur la Nationale #2, certains chauffeurs s’aventurent quand même pour tenter de faire traverser quelques passagers. A travers un voyage dangereux sur cette véritable route de l’impossible, le mardi 6 août 2024, TripFoumi Enfo a pu constater le calvaire des habitants du grand sud pour se rendre dans leurs villes d’origine, en traversant la commune de Gressier notamment.

Malgré le danger criant pour les passants sur la Nationale #2 au niveau de Gressier, au moins un minibus a permis à une quinzaine de passagers de traverser cette zone, mardi 6 août.

Contexte de ce voyage dangereux

Tout d’abord, plusieurs de ces passagers ont passé la nuit du lundi dans une station dans les parages du Champ de Mars. Ils voulaient garder leurs précieuses places pour se rendre à Jérémie à bord d’un autobus qui, pour rallier la Cité des poètes, doit emprunter la voie maritime afin d’éviter l’entrée sud de la capitale par voie terrestre.

Après une longue nuit d’attente, les gens allaient faire face à une grande déception le lendemain matin lorsqu’un employé de l’autobus annonce qu’ils ne pourront transporter aucun passager à la suite d’une instruction du propriétaire de l’autobus. «Le DG ne veut d’aucun passager à bord de son autobus», a-t-il informé. C’était la déception totale du côté des passagers après leur longue attente. Pour justifier cette décision, le propriétaire aurait brandi sa crainte de voir des assaillants envahir le navire transporteur, selon les employés.

C’est alors que plusieurs des passagers se sont rendus à Lalue et ont embarqué leurs affaires à bord d’un minibus en direction des Cayes. Déjà avant d’embarquer, les consignes du chauffeur sont claires. «Je vais vous déposer à Gressier. Une fois sur place, un autre passant viendra vous prendre pour vous embarquer dans un autre minibus qui vous attendra de l’autre côté du champ d’affrontement entre la police et les bandits», a fait savoir le chauffeur. Pour ce voyage risqué, chaque passager doit débourser au moins 3.500 gourdes et payer même pour son sac à main. TripFoumi Enfo s’embarque également à bord.

Un trajet inédit

À 10 heures 06 environ, le chauffeur quitte enfin la station avec une quinzaine de passagers à bord. Arrivée à l’entrée de la ruelle Alerte, on trouve une première équipe de malfrats. Là, on ne paie rien. Ils ne font qu’observer. C’est au bout de cette petite rue qu’on va trouver le premier poste de péage. «Où te rends-tu ?», demande un des malfrats au chauffeur. Celui-ci répond qu’il se dirige à Carrefour. Il paie 250 gourdes pour le passage.

Arrivé à Martissant, le chauffeur prétend encore qu’il se rend à Carrefour et donne 500 gourdes comme frais de passage. Mais les hommes de main d’Izo ne sont pas dupes. Ils se rendent compte que le conducteur se rend bien plus loin qu’à Carrefour. «Range-toi à côté et coupe le moteur», lui a ordonné l’un des malfrats. Mais après une longue discussion, l’homme au volant paie la somme requise et reprend sa route.

Quelques minutes plus tard, toujours à Martissant, un autre chauffeur va prendre la relève et c’est lui qui va nous diriger vers Gressier. Ce dernier est un privilégié car il est connu de quasiment tous les bandits stationnés sur la route. À chaque poste de péage ou non, il fait des échanges rigolos avec les malfrats en se servant surtout d’un langage plus ou moins codé. Mais malgré sa proximité remarquée avec les criminels, il doit quand même verser les frais de passage. A Carrefour par exemple, ce chauffeur mystérieux ne donne pas la somme requise pour traverser. Il est tout de suite mis en garde. «Tu es le seul à pouvoir emprunter la route dans cette condition et tu ne veux pas payer», lui a lancé un des bandits. Après un petit échange, il reprend la route. Soulignons qu’on a compté au moins une dizaine de postes de péage de la ruelle Alerte jusqu’à Gressier.

Sur toute la route, les hommes armés sont constamment présents. À environ tous les cinq à dix minutes, on trouve un nouveau poste, a constaté TripFoumi Enfo mardi 6 août. Armes de grand calibre, radios de communication, véhicules, ces hors-la-loi sont bien équipés.

Malgré l’accompagnement de ce mystérieux chauffeur, cette traversée n’a pas été sans difficulté avec les bandits. En effet, vers midi, ce dernier nous dépose peu après le commissariat de Gressier. Accompagné du passant venant de l’autre côté, on va faire face à une dernière équipe de criminels. Le plus âgé d’entre eux nous menace de kidnapping. Le plus jeune, un adolescent d’environ dix ans, vérifie les bagages d’au moins deux des passagers en les fouillant. TripFoumi Enfo n’a pas été épargné. «N’ayez pas peur. On ne va rien vous prendre», a promis l’adolescent. Mais après plusieurs minutes d’attente, de stress, entre autres, et surtout une rude discussion des bandits par radio, ces derniers nous donnent enfin le feu vert de partir. La grande surprise dans tout ça, c’est qu’à deux ou trois minutes de marche, le char blindé de la police est déjà dans notre viseur.

Quand le mensonge devient unique arme de combat !

Depuis l’état d’urgence sécuritaire décrété, rien de vraiment concret n’a été réalisé par le gouvernement sur le plan sécuritaire, à part un bilan douteux qui a été communiqué par le chef de la police, Rameau Normil.

Soulignons que ce dernier a indiqué à plusieurs reprises que la Police nationale a le contrôle de la commune de Gressier, le commissariat de police inclus. Mais ce mardi 6 août, TripFoumi Enfo a pu constater que le bâtiment du commissariat, quasiment détruit par les bandits, se retrouve en plein milieu de la zone contrôlée par les bandits armés. Le constat est alarmant.

Malheureusement, face à ce problème d’insécurité si dévastateur qui ronge le pays, les autorités ont décidé d’user du mensonge comme unique arme de combat. Comme preuve, la Police nationale prétend réaliser des opérations à Gressier et contrôler la zone. Pourtant, mardi 6 août, TripFoumi Enfo a constaté qu’un seul char blindé de la police était présent à cet endroit. Les bandits, de leur côté, étaient pourtant à l’aise sur toute la route, avec des postes positionnés avant et après du commissariat de police.

À l’instar de Roumain, «nous mourrons tous», si rien de sérieux n’est fait dans l’immédiat !

Si rien n’est fait dans tout de suite pour aborder ce problème d’insécurité, le pays va se perdre complètement dans le néant. Car le mensonge, l’ultime outil dont nos autorités se sont appropriées face à ce problème réel, ne pourra nullement le régler.

Parallèlement, soulignons que la population se sent désormais fatiguée de son état actuel. «On n’en peut plus. Malgré la peur, j’ai été obligée de me confronter à cette situation dangereuse. J’espère que les autorités vont finalement se rendre compte de cette réalité», a lâché une passagère, qui voulait garder son anonymat, après avoir traversé Gressier. «Je remercie Dieu de nous avoir protégés sur le chemin», a-t-elle ajouté.

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