L’Église, à travers le temps, a connu des persécutions de tout genre, selon les écritures. Les porteurs de l’Évangile du Christ, par exemple, ont été lapidés, décapités, pendus, entre autres. Si les adeptes du christianisme mettent en avant tout le mal qu’ils subissent des mains de différents gouvernements et peuples, les «non-croyants» ne cessent de revendiquer leur droit à la vie sans se soucier des préceptes chrétiens jugés anachroniques, réducteurs, voire inutiles. En Haïti, en particulier, beaucoup reprochent à l’Église d’avoir cautionné l’esclavage. Ce qui pousse certaines à voir une sorte de traîtrise chez un Noir devenu chrétien. La rédaction de TripFoumi Enfo a recueilli différentes réactions autour de ce sujet.
TFE : Pourquoi l’Église chrétienne est autant critiquée dans le monde, en Haïti particulièrement ?
Cette question a été posé à différentes personnalités de la société haïtienne. Il est intéressant de constater que le sujet invite à des réflexions diverses et variées, et chacun semble avoir raison.
Claude Emmanuel Camille, Pasteur licencié en théologie, Apologète, membre baptisé à l’Église de Dieu de Delmas 17 :
Pour répondre à une telle question, il faut être honnête et lucide, car ce ne sont pas toutes les églises évangéliques qui ne sont pas aimées par la société. Celles qui sont critiquées et même détestées sont celles qui ont à leur tête un leader qui dénonce avec hardiesse la corruption et la dépravation de l’homme. Les églises chrétiennes qui ne mettent jamais l’accent sur l’immoralité sont très populaires et elles sont très appréciées, même par les incroyants. Pourquoi cette appréciation ? Parce que les leaders de ces assemblées prêchent ce que les gens veulent entendre et non pas ce que la Bible enseigne.
Stanley Figaro
Chrétien observateur :
L’accumulation de richesses par l’Église et son influence politique dans certains pays sont perçues par certains comme contraires à ses enseignements sur la pauvreté et l’humilité. Cette contradiction, perçue entre la richesse matérielle de l’institution et ses valeurs spirituelles, est souvent une source de critiques.
Wesker Sylvain
Étudiant en sociologie :
L’envahissement de l’île d’Haïti en 1492 par les Espagnols a marqué un tournant décisif dans l’histoire des premiers habitants de cette terre, à qui des travaux forcés ont été imposés jusqu’à ce que la mort s’en soit suivie. L’Église jouait un rôle central dans ce génocide dans la mesure où elle a été utilisée pour légitimer l’esclavage. La France, arrivée un peu plus tard, s’en est également servie pour rendre pérenne sa domination sur les personnes esclavagisées dont la majorité était issue du continent africain. J’estime que cette expérience de l’Église provoque encore un malaise chez bon nombre d’Haïtiens, notamment chez les lettrés.
Le Vodou, arme idéologique utilisée par les «esclaves» de façon à subvertir l’ordre colonial et esclavagiste, a été mis à l’écart après l’indépendance par les élites dirigeantes, alors que le Christianisme continuait de garder un statut privilégié. L’Église ne cessait de poursuivre sa prétendue mission civilisatrice qu’on lui a attribuée. Ainsi, on constate ce qu’on pourrait appeler un choc culturel, donnant ainsi naissance à des frontières symboliques. Les différentes campagnes, connues sous le nom de campagnes des rejetés conduites par l’église, sont l’expression de cette fragmentation. C’est comme si on était en face de deux sociétés parallèles fonctionnant dans le même espace.
Le contexte post-séisme de 2010, marqué surtout par l’arrivée de Michel J. Martelly au pouvoir mérite, une considération. L’organisation «Religion pour la paix» a volé au secours de M. Martelly, accusé d’être un des pourvoyeurs des bandes criminelles de ce pays. Malgré le fait que le secteur vaudou y avait sa représentante, cela n’a pas empêché que de vives critiques aient été adressées aux représentants de l’Église dans cette organisation. D’ailleurs, on reprochait à l’Église le fait de former un citoyen détaché de sa réalité immédiate. Donc, la non-socialisation de l’Église serait à mon avis un facteur qui attire toutes ses critiques.
Junior Rémy
Chrétien, écrivain :
Depuis le début, l’Église n’a jamais été une entité appréciée ou aimée du monde comme le Seigneur Jésus l’a bien dit. Le monde est agressif par rapport à l’effritement des valeurs, par rapport surtout à une prophétie qui est accomplie, car la Bible dit : malheur à celui qui appelle le mal bien et le bien mal. Malheureusement, on vit en plein dedans ces jours-ci, où le monde normalise ce qui est mal, l’inacceptable, l’intolérable, l’immoral.
Je dois insister là-dessus : le monde n’a jamais été ami-ami avec l’Église. Tant que l’Église continuera à remplir sa mission, qui est de ramener des âmes à Jésus et dénoncer le mal, la haine contre elle persistera.
Par ailleurs, je dois admettre que certains leaders religieux vont à l’encontre des prescrits, ce qui fait que l’Église du Christ est devenue de plus en plus un sujet de calomnie. Mais, en réalité, tout ce que je viens de vous dire nous ramènera au point départ : le monde persistera dans sa haine contre l’Église aussi longtemps que celle-ci prêchera la moralité, la pureté.
Le monde est anti-Dieu. Le monde n’en a que faire de Jésus ou de la Bible. Quelques versets pour illustrer tout cela :
Jean 15:18
Si le monde vous hait, sachez qu’il m’a haï avant vous.
Jean 15:19 Si vous étiez du monde, le monde aimerait ce qui est à lui; mais parce que vous n’êtes pas du monde, et que je vous ai choisis du milieu du monde, à cause de cela le monde vous hait.
Jean 15:23
Celui qui me hait, hait aussi mon Père.
Jean 16:33
Je vous ai dit ces choses afin que vous ayez la paix en moi. Vous aurez des tribulations dans le monde ; mais prenez courage, j’ai vaincu le monde.
1 Jean 2:15
N’aimez point le monde ni les choses qui sont dans le monde. Si quelqu’un aime le monde, l’amour du Père n’est point en lui.
Rysdaël C. Duvelsaint
Politiste :
L’histoire de l’Église en Haïti est entachée d’un passé historique qui ne devrait inspirer aucune fierté. Pour asseoir le système colonialiste et esclavagiste dans la colonie de Saint-Domingue, il a fallu le bras religieux. Il semble avoir été nécessaire pour faire croire aux esclaves que, s’ils sont dans cette situation, c’est la volonté de Dieu. Donc, l’Église, dans la mise en place du système colonialiste et esclavagiste, a joué un rôle fondamentalement important. Par conséquent, après l’indépendance, beaucoup de ces esclaves pensaient qu’il fallait définitivement rompre les liens avec l’Église.
Maintenant, au-delà de ce passé historique entaché de bavures, l’Église, dans toute société, a une fonction socialisante et socialisatrice. Pourquoi l’Église est tout le temps critiquée en Haïti, c’est parce que :
1 – Il y a ce constant historique ;
2 – L’Église ne joue pas son rôle d’agent socialisateur.
Aucun Haïtien digne de ce nom, aucun Haïtien conscient ne peut être religieux sans être en mesure de prendre une certaine distance par rapport à la question. C’est-à-dire, être un Haïtien conscient et être religieux en même temps, cela nécessite un effort intellectuel pour se dire que l’Église a cette fonction socialisatrice, l’Église a cette fonction spirituelle qui me permet de m’approcher de Dieu, mais au-delà de ça, mon pays a un passé qui le lie à l’Église, et ce passé consiste au fait que cette institution a joué un rôle important et prépondérant, je dirais, dans la mise en place du système colonialiste et esclavagiste. C’est-à-dire, en tant qu’Haïtien conscient, je dois prendre un certain recul par rapport à certaines choses qui se disent à l’Église. Ce n’est pas rejeter l’Église en soi, mais c’est d’être en mesure de prendre avec des pincettes ce qui se passe à l’Église, ce qui se fait à l’Église, ce qui se dit à l’Église.
Je crois que l’Église est autant critiquée en Haïti parce qu’elle a failli à sa mission de socialisation, dans un premier temps. L’Église a failli à sa mission, dans second temps, je dirais, spirituelle, parce que l’individu qui est éveillé spirituellement, il est capable d’acquérir de la sagesse et cette sagesse va faire que l’individu en question devienne plus humain, plus aimant, donc plus susceptible d’aimer l’autre et d’être en mesure d’accepter et de tolérer l’autre. Tandis qu’en Haïti, ce qui se passe avec l’Église, c’est que, déjà les conflits de religions entre les différentes églises posent problème, cette institution prône la haine de soi, la haine de l’autre, la non-reconnaissance de soi et la non-reconnaissance de l’autre. Il y a plein d’autres problèmes que je me garde de relater.
Le poids de l’histoire, de la colonisation, associé à la faillite de sa mission de socialisation, fait que l’Église aujourd’hui devient la cible de toutes les critiques.
L’Église est sujette à d’innombrables critiques, certains qui, dans leur sagesse, veulent voir cette institution sacrée agir selon leurs propres pensées, d’autres, plus virulents, qui maintiennent l’idée que ses préceptes sont désuets, et qu’il n y a plus de place dans ce monde moderne pour ces balivernes. Cependant, tout cela, dans les écritures (bibliques), a été prédit et les chrétiens ont été déjà mis en garde contre le monde.
Récemment, dans un débat chez nos confrères du Figaro (Club Le Figaro, idées) entre Michel Onfray, philosophe français, athée revendiqué, et le père Michel, chanoine de l’abbaye de Lagrasse, homme de Dieu. «Le Christianisme a-t-il un avenir ?», le sujet qui leur était proposé, a placé les deux hommes sur deux estrades diamétralement opposées, et ils sont, tout au long du dialogue, restés convaincus, chacun avec son point de vue sur la question. Tout nait, grandit, croît, décroît et meurt, maintient le philosophe. Il pense que comme toute autre civilisation, le Christianisme mourra. Considérant Jésus comme un concept, il maintient que l’homme n’a pas existé historique. Tout l’opposé du moine qui, lui, croit que Jésus s’est incarné, a vécu parmi les hommes, est mort, ressuscité et qu’il continue de veiller sur lui et les croyants.
Le débat sur l’Église et Jésus n’est pas jeune et très probablement continuera à donner vie à d’innombrables verbes des décennies encore. Les croyants resteront-ils toujours croyants, les athées toujours athées ?