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Condoléances à l’Inde, silence pour Haïti : le Conseil présidentiel, un loup pour l’Haïtien

Dans une démonstration éclatante de diplomatie sélective, le Conseil présidentiel de transition (CPT) a exprimé sa « solidarité » au peuple indien, à la suite d’une attaque meurtrière survenue à Pahalgam, dans la région du Jammu-et-Cachemire, où au moins 26 personnes ont été tuées par des hommes armés non identifiés. Une déclaration bien rédigée, empreinte d’empathie, dans laquelle les autorités haïtiennes condamnent « avec la plus grande fermeté » l’assassinat de ces civils, en majorité des touristes. Une tragédie, certes. Mais une tragédie qui semble plus poignante aux yeux du CPT que les massacres perpétrés quotidiennement sur le sol dessalinien.

Langaj

« Au nom du peuple haïtien, lui-même durement éprouvé », lit-on dans le communiqué, « nous adressons nos sincères condoléances au peuple de la République de l’Inde ». Ironie du sort : le peuple haïtien, lui, n’a droit qu’à des communiqués creux, à des plans de sécurité jamais appliqués, à des promesses mirifiques sans lendemain. Il faut croire que la souffrance nationale ne mérite pas les gestes forts réservés aux pays dits amis.

Certes, le carnage au Cachemire est tragique. Mais faut-il rappeler aux membres du CPT qu’en Haïti, des femmes enceintes, des enfants, des vieillards sont exécutés en plein jour par des terroristes, parfois à quelques pas des ministères ? Pourtant, jamais une action aussi ferme — et « sincère », puisqu’ils le disent — n’est entreprise pour contrer ces crimes qui anéantissent tout un peuple. Visiblement, la voix du Conseil présidentiel voyage plus vite à l’étranger qu’elle ne résonne dans les quartiers de Carrefour, Cité Soleil, Martissant, Delmas 6, Cité Militaire, Mirebalais ou Savien.

D’ailleurs, le peuple haïtien, que le Conseil prétend représenter et au nom duquel il parle, ne s’est pas exprimé sur l’Inde. Il n’en a pas eu le temps : il courait pour sauver sa vie, se cachait des tirs croisés, cherchait du pain ou tentait d’éviter le prochain kidnapping. Pendant ce temps, le CPT signait une lettre bien polie à « Son Excellence Monsieur Narendra Modi ». Une lettre que même les diplomates chevronnés des chancelleries européennes auraient pu applaudir pour sa forme… mais sûrement pas pour sa pertinence.

On aurait aimé voir ce même Conseil « condamner avec la plus grande fermeté » les groupes terroristes qui brûlent vifs des Haïtiens, y compris des bébés. On aurait aimé qu’il agisse « au nom du peuple haïtien » pour faire justice aux écoliers et étudiants tués, aux déplacés, aux femmes et fillettes violées. On aurait voulu voir ses membres manifester une peine sincère pour leurs propres compatriotes. Mais non. Ce sont l’Inde et la République dominicaine qui méritent leur compassion officielle. Partant de là, ne seraient-ils pas plus enclins à rendre justice aux étrangers qu’aux Haïtiens eux-mêmes ?

La souffrance haïtienne est étrangement absente de leurs décisions, de leurs priorités, de leurs politiques. Présente uniquement dans les mots, jamais dans les actes. On se demande même si ce Conseil est réellement au courant de ce que vit le peuple au quotidien. En réalité, ces membres du CPT… sont-ils encore des Haïtiens ? Ce Conseil incarne à la perfection la maxime : « c’est de l’enfer d’un groupe que se construit le paradis des autres ». Ces délinquants en veste sont l’incarnation du mot : insouciance.

Langaj

On comprend que la diplomatie a ses codes. Elle exige parfois des gestes symboliques de solidarité. Mais quand cette solidarité devient un rideau de fumée pour masquer l’inaction locale, elle devient indécente. Haïti brûle, et ses dirigeants rédigent des lettres de condoléances.

« Nous adressons nos sincères condoléances », écrivent-ils, pendant que les rues de Port-au-Prince se transforment en morgues à ciel ouvert. Pendant que des familles dorment sur des cartons, sous des ponts ou dans des stations-service, les autorités haïtiennes envoient leurs pensées éplorées à New Delhi. L’indifférence n’a jamais été aussi bien habillée.

En fin de compte, ce communiqué en dit long. Il illustre un pouvoir plus prompt à s’émouvoir pour l’étranger qu’à s’indigner pour ses propres enfants. Il confirme une vérité cruelle : le peuple haïtien peut mourir tous les jours, tant qu’il le fait en silence. Car dans les couloirs du Conseil présidentiel, la douleur ne mérite une réaction que lorsqu’elle est… étrangère.

« Zanmi m, si n an vi toujou, se pa fòt mouche Leta, restavèk laboujwazi. »

Condoléances à l’Inde, silence pour Haïti : le Conseil présidentiel, un loup pour l’Haïtien

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