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Des finances publiques alarmantes !

(TripFoumi Enfo) – Au cours des neuf premiers mois de l’exercice fiscal 2020-2021, les finances publiques ont été pour le moins préoccupantes. Pour le premier trimestre allant d’octobre à décembre 2020, les recettes publiques s’élevaient à 25,3 milliards de gourdes pendant que les dépenses totalisaient 48,9 milliards de gourdes. Les dépenses étaient donc de 82,8 % supérieures aux recettes publiques, ce qui avait occasionné un montant de financement monétaire de la Banque de la République d’Haïti (BRH) de 20,7 milliards de gourdes. Au deuxième trimestre (janvier à mars 2021), les recettes avaient diminué 10,7 % par rapport au premier trimestre pour passer à 22,6 milliards de gourdes. Les dépenses avaient également diminué de 15,5 %, c’est-à-dire de 41,3 milliards de gourdes.

Au troisième trimestre, les recettes étaient encore plus faibles que les deux premiers trimestres, soit 21,8 milliards de gourdes alors que les dépenses publiques s’élevaient à 84,6 milliards de gourdes. Les dépenses publiques représentaient alors 288,1 % des recettes publiques ou encore près de quatre fois les recettes publiques du troisième trimestre. Au total, pour les neuf mois, les recettes totalisaient 69,7 milliards de gourdes et les dépenses 174,8 milliards de gourdes. Ce large déficit budgétaire a conduit à un financement monétaire de la BRH de 40,2 milliards de gourdes en juin 2021 alors que le plafond de financement a été fixé à 39,3 milliards de gourdes dans le cadre du pacte de gouvernance économique et financière signé entre le MEF et la BRH.

On comprend qu’il existe d’autres financements à part celui la BRH pour compenser l’écart colossal entre les recettes et les dépenses publiques. Évidemment, le déficit budgétaire non contrôlé et le type de financement associé, en particulier le financement monétaire, a eu des incidences sur la dépréciation accélérée de la gourde. Le taux de change de référence de la BRH est passé de 72,16 gourdes pour un dollar américain en décembre 2020 à 80,32 gourdes en mars 2021, puis 95,88 gourdes le samedi 31 juillet 2021. Bien que le taux de change pratiqué par les entreprises dépasse déjà les 100 gourdes.

De tout ce qui précède, on peut en déduire que l’un des grands défis de la période post-Jovenel consistera donc à maitriser les dépenses publiques afin de limiter leurs conséquences sur le taux de change qui, lui, généralement, fait augmenter le niveau d’inflation. Le niveau général des prix a continué d’augmenter même si la vitesse de progression a diminué. En glissement annuel, le taux d’inflation s’élevait à 14,5 % en mai contre 27.8% en août 2020.

Il faudra une réorientation des décisions politiques et économiques qui ont conduit à cet état lamentable des finances publiques. Cet état des lieux résulte essentiellement des troubles sociopolitiques et de la détérioration du climat sécuritaire du pays.

L’urgence de rétablir un climat sécuritaire

La récente Note de la politique monétaire de la BRH est très claire là-dessus : « Au niveau national, l’activité économique au cours du 3e trimestre a continué de pâtir des troubles sociopolitiques et de la détérioration du climat sécuritaire du pays. À ces chocs s’ajoute la recrudescence des cas de coronavirus. Les variants anglais et brésilien détectés dans le pays au cours du mois de mai 2021 ont aggravé les conditions sanitaires déjà précaires. Aussi, les mesures prises pour contrer la propagation de la pandémie ont-elles été renforcées traduisant un ralentissement de l’activité économique.»

La détérioration du climat sécuritaire se traduit par l’impraticabilité des routes menant vers le Grand Sud depuis le début du mois de juin qui a empêché la libre circulation des personnes et des biens, en particulier des denrées, en provenance des régions agricoles des départements du Sud, Sud-Est, des Nippes et de la Grand’Anse.

Le climat d’insécurité actuel, rappelle la BRH, « a provoqué une perturbation des chaines alimentaires en raison du problème d’approvisionnement des marchés dans un contexte de faible performance de la campagne d’hiver notamment dans les régions du Nord et du Nord-Est affectées par les inondations en mars dernier, et de l’épuisement des maigres réserves résultant de la période de soudure. Cette situation s’est reflétée dans la baisse de l’offre alimentaire locale, laquelle a été compensée par les produits importés».

C’est donc sans surprise qu’au mois d’avril 2021 les importations avaient augmenté de 21,60 % et les exportations de 8,16 % pour les sept premiers mois de l’exercice fiscal comparativement à la même période de l’année antérieure. Au cours de cette même période, la balance commerciale s’est détériorée de 26,28 %. « Le renforcement de la demande d’importations et les anticipations négatives des agents économiques associées à la dégradation du climat sécuritaire ont été les principaux facteurs alimentant les pressions sur le change », confirme la banque centrale.

Le climat sociopolitique et sécuritaire a plombé le climat des affaires et a détérioré davantage la capacité de l’État haïtien à mobiliser des ressources financières. Est-ce pourquoi aujourd’hui l’ultime urgence demeure l’établissement de l’ordre et de la sécurité dans le pays. Le climat de sécurité conditionne le succès de tous les autres objectifs souhaitables. Autrement dit, la réussite ou l’échec du nouveau gouvernement en dépend.

D’un autre côté, il faut rationaliser les dépenses publiques. Pour y parvenir, le gouvernement post-Jovenel doit faire un état des lieux des finances publiques et dresser la liste des actions prioritaires à réaliser avec des coûts réalistes, étant donné les contraintes budgétaires. Un budget rectificatif serait nécessaire en ce sens.

Nécessité d’un consensus politique

En termes de perspectives, la BRH prévoit que « la conjoncture sociopolitique et sécuritaire risque d’agir négativement, une fois de plus cette année, sur les rentrées des visiteurs durant la période estivale. De même, des pressions inflationnistes pourraient être alimentées par la poursuite de la tendance à la hausse des cours des produits de base sur le marché international, notamment ceux du pétrole. De plus, une telle situation risquerait d’alourdir la facture d’importations du pays et d’amplifier les manques à gagner par l’État».

La relance économique passera, selon la banque centrale, par « un dénouement favorable de la crise sociopolitique et l’amélioration des conditions de sécurité pourraient permettre d’atténuer les impacts négatifs des chocs actuels sur l’activité économique. Aussi, un tel développement enverrait-il des signaux positifs susceptibles de rétablir la confiance des agents, laquelle peut les conduire à nuancer leur position attentiste quant à leurs dépenses de consommation et d’investissement dans l’économie».

Quelle est la capacité des principaux acteurs à établir un climat sécuritaire et à obtenir un consensus politique ? Là est la question fondamentale. À la chute du président Jean-Bertrand Aristide le 29 février 2004, c’étaient les mêmes préoccupations. En près de 20 ans, ces problèmes ne font que s’aggraver. Comme en 40 ans. Résultat : le produit intérieur brut réel par habitant (indicateur du niveau de vie) de 2021 est inférieur à celui de 1945, date de la fin de la Deuxième Guerre mondiale, pour reprendre l’essence d’un article du Dr Daniel Dorsainvil publié dans l’édition du Nouvelliste du 13 avril 2021.

Thomas Lalime

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