Opinion

«Une île, deux peuples avec une inégalité criante, élections dominicaines de 2020, que faut-il tirer de cette énième leçon»

La République Dominicaine a organisé des élections hier dimanche 5 juillet 2020, et selon toute vraisemblance, le candidat de l’opposition du Parti Révolutionnaire Moderne (PRM) Luis ABINADER, grand homme d’affaires, les a remportées haut la main, mettant un terme à 16 ans de règne sans partage du Parti Libération Dominicaine «PLD», lesquelles élections ont eu lieu sous front de crise sanitaire due à la pandémie COVID-19, après avoir été reportées en mai dernier.

En effet, les résultats officiels n’ont pas encore été publiés mais dans un tweet, tard dans la soirée, Leonel FERNANDEZ, le dissident du PLD, a déjà reconnu la victoire de son adversaire. Ceci dit, toute possibilité de crise postélectorale est à écarter, sauf un fait inédit, laquelle crise pourrait déboucher sur une instabilité politique sans précédent dans l’histoire récente de la République Dominicaine. Ainsi, Leonel FERNANDEZ ‘s’est plié à la volonté populaire exprime par le peuple pour qui il voulait travailler à son bien-être. C’est en sens que Jean Jacques ROUSSEAU a eu à dire: “La conviction qu’elle seule est en mesure de réaliser la volonté du peuple, c’est-à-dire la volonté générale”.

En Haïti, nous pleurnichons encore les séquelles des élections mal organisées, créant une instabilité chronique qui ronge et plonge la Première République noire Indépendante, symbole de résistance et de liberté, dans la misère du terroir. Le pays traîne, trottine à reculons dans l’apprentissage d’une démocratie symbole de gouvernance par les institutions, qui, trop longtemps affaiblies par politicaillerie.

Ainsi, trois choses doivent attirer l’attention de plus d’un. Primo, la confiance des citoyens dominicains en leur institution, en suite la santé de la démocratie dominicaine et enfin la dimension d’homme d’État des dirigeants qui n’ont été motivés que par le bien-être collectif et le devoir de servir un pays qui leur appartient tous, pour paraphraser Nicolas MACHIAVEL.

Contrairement à Haïti, il serait impensable en République Dominicaine de voir des hommes ou de femmes venus de nulle part à la Magistrature Suprême de l’État. Ceci étant, de l’autre cote de la frontière, il existe une société civile forte composée des élites, des intellectuels, des patriotes et une fierté nationale. Pour venir au timon des affaires, il faut nécessairement bruler les étapes. Il faut préciser que l’intellectuel est pris au sens d’Antonio GRAMSCI.

Mais Luis ABINADER, qu’en est-il de ses parcours académique et politique?

De son vrai nom, Luis Rodolfo ABINADER CORONA, né le 12 juillet 1967 dans la ville de Santo Domingo, marié et père de trois filles. Il est fils d’un riche homme d’affaire et homme politique José Rafael ABINADER WASAF et de Rosa Sula CORONA CABA.

Après avoir bouclé ses études secondaires au Colegio Layola, il a pu décrocher à l’Institut Technologie de Saint Domingue, un Diplôme en économie.

Puis, il s’est rendu aux États Unis à Massachusetts, Cambridge, à l’Institut Arthur D LITTLE où il a complété, en 3e cycle, ses études en Gestion de Projet. Additivement, il a étudié Finance d’Entreprise et l’Ingénierie Financière à Harvard University et à Dartmouth Collège dans le New Hampshire.

Ce dernier préside le groupe ABICOR, développant et exploitant d’importants projets touristiques dans la Caraïbe, qu’il va devoir certainement quitter. Ce groupe familial a dirigé le projet d’entreprise de ce qui est aujourd’hui la «Société Cementos Santo Domingo», dont il est vice-président. Il a été aussi Président de la «Sosua and Cabarete Hôtel Association» et est membre du Conseil d’Administration de «Association Nationale des Hôtels et Restaurants» (ASONAHORES).

Sur le plan politique, il a été Vice-Président du «Parti Révolutionnaire Dominicain» (PRD) lors de la Convention nationale de 2005. En sus, il a été candidat à la Vice-Présidence de la République sous le Parti Révolutionnaire Dominicain, lors des élections présidentielles de 2012.

Avant d’être élu Président ce 05 Juillet, il a été choisi comme candidat à la Présidence du Parti Humaniste Dominicain en 2014, puis en avril 2015, il a été désigné comme candidat à la Présidence par le Parti Révolutionnaire Moderne (PRM) lors de la XVIIe Convention Ana María Acevedo.
Ainsi, la santé économique due à la stabilité politique n’est pas le fruit du hasard mais bien le travail d’une élite nationale et éclairée, des intellectuels au sens de Gramsci, des politiciens visionnaires et d’une société civile forte.
En conséquence, la République Dominicaine enregistre le plus grand tôt de croissance dans la région ces dernières années, selon un rapport de la Commission Economique pour l’Amérique Latine et les Caraïbes «CEPALC» en 2019. Aussi, elle devenait depuis les années 2000, sans contestation, le pays le plus émergeant dans toute la région, disait Christian GIRAULT dans LES ECHOS, et le rapport Stratégie 2015-2019 de l’Agence Française de Développement «AFD» l’a confirmé aussi. Tout ceci accumule sur une stabilité politique et institutionnelle durant ces 50 dernières années.

Derrière cette belle page d’histoire de la République Dominicaine se cache l’un de ses plus grands intellectuels Juan BOSCH qui fut élu président de la République le 20 décembre 1962 face à Viriato FIALLO après la chute du dictateur Trujilio.

En autre, et au lendemain sa prestation de serment, Juan BOSCH lance de nombreuses et profondes réformes, la nouvelle Constitution du 29 avril 1963 garantissant le droit du travail, la reconnaissance des syndicats, l’égalité homme/femme et protection des fermiers, la réforme agraire, légalisation du divorce, l’égalité des enfants naturels et légitimes, le contrôle dans les finances publics, le combat contre la corruption et l’annulation des contrats avec des compagnies nord-américaines. Au demeurant, il privilégie les intérêts supérieurs de la Nation.

En Haïti, après la chute de la dictature des Duvalier, le pays ne fait que s’effondrer par manque de vision, d’homme d’État, de Projet de société. Depuis, seuls les outsiders, «des argentins», arrivent au pourvoir par la magie du bas ventre, et des promesses vaines, irréalistes et irréalisables. Le pays ne peut pas être géré à coup de slogans et/ou de petits projets bidons mais par une vision large conceptualisée par les élites en conformité à nos aspirations, mœurs, coutumes et la réalité sociologique.

En guise de réponse à la question posée au début du texte, une révolution s’impose et incontournable pour renaître le pays de ses cendres.

Et pour y parvenir, l’Etat doit être organisé autour d’un consensus qui incarne la volonté d’une destinée commune (Thomas Fleiner GERSTER, Théorie Générale de l’Etat).

Ainsi, le bien commun était mieux servi lorsque des philosophes (élite intellectuelle) dirige l’Etat disait Platon. Aussi, le philosophe Thomas d’Aquin abonde dans le même sens pour dire que: “Seul pouvait atteindre le bien commun celui qui, en sa qualité de Roi (hommes d’État, dirigeants, politiciens), était au-dessus des intérêts particuliers et n’avait plus d’intérêts privés à faire triompher”.

Ceci dit, comme à l’instar de la République voisine, l’Ecole haïtienne doit être en mesure de préparer à la base ses dirigeants.

En sus, le chantier est immense. Comme la construction des Cathédrales, le pays doit être construit sur la confiance due aux institutions et relevé les hommes et femmes politiques à la dimension d’hommes et de femmes d’État. La construction d’une démocratie haïtienne reflet de nos valeurs de peuple, nos aspirations, notre réalité à la fois sociologues, culturelles et anthropologiques s’avère indispensable. Les valeurs haïtiennes doivent être mises en avant: l’attachement à la terre haïtienne, construction l’identité et la fierté d’être haïtien, sentiment appartenance au pays, et, tout ceci autour d’une vision globale.

Pour paraphrase Edgard MORIN, toute réforme politique doit nécessairement passer par l’éducation. Ceci étant dit, la construction d’une autre classe intellectuelle au sens de Gramsci (pluridimensionnel) pour gérer la cité est incontournable en lieu et place de celle-ci, singulière, moribonde, qui ne se croit utile que dans les dénonciations en spectateur.

Edward SAÏD disait «les intellectuels ne peuvent pas se réfugier dans la sphère unique de la pensée car ils sont mênes dans le troupeau des masses qui subissent l’action politique, Ainsi ils doivent être prêt à s’engager»

A l’instar d’Albert EINSTEN «le monde (Haïti) ne sera pas détruit par ceux qui font le mal, mais par ceux qui les regardent sans rien faire»

En somme, un sursaut pour la reconstruction spirituelle, physique, mentale, psychologue et anthropologique de cette fière nation, Première République noir Indépendante, n’est pas pour demain car la conscience collective nécessaire est loin d’y etre.

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