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Entretien Exclusif avec le poète Robenson Joseph, l’auteur de « À l’Envers des Vers »

(TripFoumi Enfo) – Robenson Joseph, plus connu sous son nom de plume Robby_Apèl_Plim, sera en signature aux locaux de la Faculté des Sciences Humaines (FASCH-UEH), le samedi 11 juin 2022, à compter de 10 heures AM. « À l’envers des vers » est son premier recueil de poèmes.

L’ancien étudiant à la Faculté de Linguistique Appliquée (FLA-UEH) sera accompagné de deux autres jeunes auteurs de sa génération : Jacques Steven Prioly qui signe « Café Coton Corde Croix Caravelle Canne-à-Sucre Civilisation » et Donald Ayiti qui signe « Mak San » ; tous deux des recueils de poèmes.

En prélude de cette journée littéraire qui marque également la lancée officielle de Feray Edisyon – l’organisatrice de cet événement – Robby a accordé un entretien exclusif à la rédaction de TripFoumi Enfo en nous parlant de son amour pour la poésie ; ses poètes préférés et entre autres projets qu’il compte réaliser dans les jours à venir.

TFE : En quelques mots, parlez nous un peu de vous. Qui est Robenson Joseph?

RJ : Robenson Joseph est un Haïtien. Je suis né à Port-au-Prince. J’ai fait mes études secondaires au Lycée Alexandre Pétion et mes études supérieures en Linguistique à la FLA-UEH. Je suis enseignant ; professeur de langues ; interprète ; traducteur ; écrivain et poète.

TFE : Dequis quand êtes-vous devenu ami de la poésie ? Qu’est-ce qui vous a amené à faire de la poésie ?

RJ : C’est une question très pertinente. Et en même temps, elle me donne envie de rire… D’aussi loin que je me souvienne, mon amitié avec la poésie s’est germée du moment où j’ai commencé à me sentir dans l’urgence de dire et d’écrire ma réalité, ce qui me plaît et ce qui ne me plaît pas. Cela m’a forcé à créer un habitat pour ma voix intérieure, un dépotoire-monde pour mes regrets, et un faux-fuyant pour mes désirs.

Pour être bref, c’est dans cette démarche-là que je me suis mis dans la sphère poétique pour accoucher mon verbe. Pour parler de ce parcours en lettres comme en chiffres, je daterait cela des années 2014, 2015. À l’époque, j’étais encore au Lycée Alexandre Pétion quand j’ai commencé à écrire des petites lignes sur tout ce qui me passait à l’esprit. Parfois j’écrivais juste pour donner une forme physique à ma pensée.

Du lycée à la fac, j’ai rencontré Rosemond Doirin et Yves. Ils m’ont beaucoup aidé à aller vers l’avant. Parfois, ce sont eux qui relisent mes travaux en y exerçant des lectures critiques. Puis en suivant et en lisant certain.es poéte.esses comme Evelyne Trouillot, Franck Etienne, Georges Castera, Lyonel Trouillot et Jacques Prévert… leurs œuvres m’ont beaucoup aidé à avancer.

TFE : Quelle est l’importance de la poésie à vos yeux ? Êtes-vous devenu quelqu’un de différent après avoir embrassé le monde des poètes ?

RJ : À première vue, l’importance de la poésie à mes yeux s’attache à son apport à la vie. Ce, à la fois en termes de symbole de résistance et d’espoir. Ensuite, il y a aussi l’esprit philosophique que cela a développé en moi. Depuis ma rencontre avec le monde poétique, je ne fais que devenir de jour en jour plus capable non seulement d’observer la réalité et l’analyser avec mon sens poétique, mais aussi la traduire dans mon propre langage de vie.

Certes, si l’on me regarde, en comparant le Robenson que j’étais dix ans de cela et celui que je suis devenu aujourd’hui, on peut voir que j’ai beaucoup changé. Mais la réalité, c’est que je suis toujours le même. La poésie m’a tout simplement aidé à devenir davantage ce que je suis, la version que je n’avais pas encore explorée chez moi.

TFE : Aimeriez-vous avoir une carrière de poète ? Si oui, pensez-vous que la poésie peut vous aider à répondre économiquement à vos besoins ?

RJ : L’idée de carrière en tant que poète me fatigue l’esprit. La raison, c’est parce que pour moi être poète est plus que ce que l’on peut imaginer. Être poète, c’est être le truchement de tout. On absorbe tout comme on observe tout. On apprend à faire de nos souffrances de l’art. On sait comment orner les blessures pour camoufler notre douleur.

Si la poésie était un métier, elle le serait en se trouvant cloîtrée entre les épines et les roses. Et si j’aurais souhaité avoir une carrière de poète, cela aurait été d’un goût très amer à chaque fois que j’aurais à déguster le titre. Mais comme ce dernier m’est parvenu, je l’accepte. Sans tourner autour du bus, je ne compte aucunement sur la poésie pour gagner quoi que ce soit. Mais si celui-ci m’est venu, je l’accepterai sans embarras.

La poésie m’aide à traduire la vie. C’est adéquat! Sa partie numéraire ne me tente pas vraiment. D’autant plus, dans mon imaginaire poétique, je ne vois pas en la poésie qu’autre statut qu’un porte-voix, un itinéraire de combat, une résistance, une croix rouge sur les plaies de notre quotidien comme signe d’urgence, une alerte d’injustice. Ceci dit, l’idée économique dans cet aspect ne sillonne pas mon intention. La poésie a plus à donner qu’à vendre. C’est ma position.

TFE : Que conseillerez-vous à quelqu’un qui dit ne pas aimer la poésie ?

RJ : Tout le monde ne peut pas aimer la poésie. C’est un fait. Et je l’accepte. Aussi, en tant que poète, jamais je ne forcerai une personne à aimer cette branche de la littérature. Mais cela m’arrive souvent d’encourager les gens à l’en explorer, ne serait-ce que par le biais de la lecture. Parce que, à ce que je sache, j’ai toujours crû que les gens qui disent ne pas aimer la poésie sont ceux qui ne lisent pas encore les poètes qui les feront succomber.

De surcroît, comment prétendre ne pas aimer quelque chose que l’on ne connaît pas ? Et d’ailleurs, pour moi, quiconque se positionne pour ou contre la poésie est déjà trop poétique. « Qui se positionne se poétise ! », me suis-je souvent dit.

TFE : Tous les auteurs ne s’inspirent pas de la même façon. Comment faites-vous pour trouver de l’inspiration quand vous écrivez vos poèmes ?

RJ : L’inspiration est le mystère de l’imagination de notre sens créatif. Pour accoucher la poésie, je peux trouver mes idées de plusieurs manières différentes. Il m’arrive parfois de m’inspirer en lisant d’autres auteurs. Je peux aussi trouver de l’inspiration quand j’ai trop accumulé dans mes pensées. Quand cela m’arrive, pour me libérer et me décompresser, je me mets dans une transe d’écriture et accouche des poèmes. En gros, je peux dire que je m’inspire de tout pour écrire.

TFE : Quelle est l’importance de la poésie dans un pays comme Haïti ? En tant que poète, pensez-vous que la poésie peut apporter une contribution dans la solution de la crise actuelle que traverse Haïti ?

RJ : À mon sens, pour parler de l’importance de la poésie dans un pays comme le nôtre, il faut aller au chevet de la littérature haïtienne, c’est-à-dire à son émergence avec le mouvement patriotique au cours de la dernière moitié du 19e siècle. On peut voir à cet effet Antoine Dupré, Oswald Durand et Etzer Vilaire avec la génération de la ronde. On peut aussi voir le mouvement indigéniste qui lui-même s’est déroulé dans une période d’exaltation de liberté et de longues luttes contre le racisme.

À cette époque, plusieurs poètes et romanciers avaient fait de la littérature une source de résistance pour combattre le racisme, l’oligarchie, la corruption et tout ce qui empêchait la bonne marche du pays. L’histoire d’Haïti en témoigne. Les faits sont là. Plusieurs hommes littéraires ont été même tués sous la dictature des Duvalier. Je ne suis donc pas le premier poète à avoir combattu avec ma plume pour changer l’image de mon pays.

Avec les chocs socio-politiques qu’a connus Haïti tout au long de son parcours historique tant nationaux qu’internationaux, ensuite avec l’installation double du régime sanguinaire et anthropophage du PHTK, qui a fait régresser le pays de 10 ans en arrière, il y a lieu de comprendre que la poésie est un gain. Dans de pareils contextes, la poésie s’avère pratiquement impérative.

L’une des principales crises du pays a toujours été une crise de conscience. Et cela affecte toujours notre développement comme pays indépendant. Des poètes et écrivains comme : Justin Lhérisson, Jean Price mars, Léon Laleau, Jacques Roumain, Jacques Stephen Alexis ont beaucoup lutté pour combattre cela. Les Franckétienne, Lionel Trouillot, Evelyne Trouillot… luttent encore pour cette même cause.

TFE : « À l’envers des Vers » est une œuvre bilingue. Ce qui veut dire que vous écrivez en créole et en français. Que diriez-vous aux gens qui pensent qu’on ne peut pas faire de la poésie en créole ?

RJ : Il n’y a pas une langue au monde qui serait plus apte à faire de la poésie plutôt qu’une autre. Si en Haïti un groupe de gens pensent qu’on peut poétiser mieux en français qu’en créole, c’est tout simplement parce que la chaîne de l’esclavage a quitté nos pieds pour monter dans nos têtes. On parle dans ce cas de « colonisation mentale ».

TFE : Après « À l’envers des Vers », avez-vous d’autres projets littéraires en cours ?

RJ : Oui, j’ai d’autres projets en cours. J’ai des articles que je vais bientôt écrire. J’ai aussi d’autres récits à venir. Mais à l’heure actuelle, mon plus gros projet reste mon roman titré « Aux pieds des cendres » qui est en pleine gestation.

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