Opinion

Détourner le vote d’un peuple est pire qu’un crime de guerre

La démocratie semble être le régime politique le plus accepté dans le monde. Sous l’emprise de l’impérialisme international, elle s’est propagée partout et semble-il a séduit de nombreux peuples (Diallo, 2012). Dans certaines sociétés, elle a été introduite par la violence, dans un pays comme Haïti elle est le fruit d’un long combat. Quelle est donc son critère d’appréciation ? Tous ses défenseurs sont unanimes sur le fait que le vote, offrant la possibilité de choisir ses représentants afin de protéger sa liberté et de déterminer son avenir, est le premier mode d’action démocratique.

Voter revient à élire le candidat en qui l’on a confiance ; exprimer sa pensée ; défendre son intérêt et faire entendre ses préoccupations ; aider financièrement le candidat pauvre, honnête et intelligent, car chaque vote a une valeur financière, face aux candidats riches, incultes et corrompus ; contribuer au bon fonctionnement de la société ; influencer les décisions politiques futures ou parier sur le futur ; sauvegarder l’ardeur démocratique. Cependant ne pas voter c’est donner champ libre à la médiocrité ; laisser les autres décider à sa place ; offrir à une minorité souvent inconsciente la possibilité de décider pour l’ensemble de la population ; renoncer à un droit ; hypothéquer son avenir.

Que faire avant de voter ? Voter est un acte réfléchi. Bien voter requiert un minimum d’éducation sociale et politique. Lesquelles aiguisent le flair politique de l’électeur, lui donne le temps de se renseigner sur ce que propose chaque parti politique, d’écouter les débats et de participer à des discussions privées et publiques ; facilitent la comparaison des programmes des différents candidats afin de déterminer celui ou celle qui porte les idées les plus convaincantes – dans le cas d’Haïti, souvent le programme du parti est contraire à celui du candidat ayant acquis la bannière en payant le prix fort. Par ailleurs il faut scruter à la loupe le candidat, ses études universitaires, sa vie morale et familiale, ses groupes de pairs, ses capacités mentales, son attachement à la terre d’Haïti, ses exploits individuels, sa force de caractère, sa contribution au progrès d’Haïti et au perfectionnement de l’humanité.

Il n’est pas sans savoir que les joutes électorales haïtiennes de 1990-1991 ayant porté Jean Bertrand Aristide à la magistrature suprême de l’État demeurent jusqu’à date les seules consultations électorales réellement démocratiques. Depuis, les élections pouvant être qualifiées de ” parodies d’élections”, de ”mascarades d’élections” sont truffées de fraudes et d’irrégularités. Depuis, aucune élection n’est organisée dans ce pays sans qu’il n’y ait manipulations, contestations, casses… Les vrais résultats des urnes ne sont jamais vraiment connus. Quand ce n’est pas la communauté internationale qui se trouve dans l’oeil du cyclone c’est un conseiller électoral ou un membre de la machine électorale ou encore le candidat lui-même. Conséquences, le pays peine à arpenter la voie de la démocratie réelle et les pouvoirs souvent corrompus et illégitimes à offrir à chaque citoyen un minimum de félicité.

Quelles stratégies utilise-t-on pour détourner le vote du peuple haïtien ? La faim. Elle influe le destin des peuples. Peut-on voter lucidement avec le ventre creux ? Rien n’est plus dangereux que l’électeur crève-la-faim. Autant qu’il peut prémunir un pays d’une faillite il peut aussi provoquer sa disparition. Affamé, ce n’est plus sa conscience qui le guide mais son existence sociale. Sa plus grande préoccupation : trouver à manger en monnayant son vote. Le plus petit des billets suffit donc pour qu’il commette l’irréparable: plébisciter les pires crapules ayant passé leur vie entière à déconstruire le schème social haïtien. Dans l’isoloir, seul face au destin son ventre le force à trahir l’élite politique et intellectuelle progressistes en posant une croix sur l’effigie d’un escamoteur, un fripouille indomptable, un égorgeur de chiens, mais qui vient de détruire quelques vers dans son ventre par le don d’un billet de mille gourdes. Sans même s’en rendre compte, en agissant de la sorte il vient d’émarger son arrêt de mort et celui de ses progénitures.

Penser que le peuple seul est responsable de son malheur par le fait que martyrisé par la misère il octroie un caractère marchand à son vote serait faire preuve d’inintelligence ou d’immaturité politique. Neuf fois sur dix, dans les pays pauvres ou les institutions républicaines sont d’une faiblesse d’enfant malnutri, ce sont les secteurs mafieux de la communauté internationale et quelques suppôts locaux du système impérialiste qui s’accaparent des élections en imposant leur diktat aux conseils électoraux afin d’élire leurs valets. Comment procèdent-ils ? Ils planifient une élection budgétivore à laquelle l’Etat n’est en mesure de répondre seul par faute de moyens. Par la suite se présentent comme le sauveur tout en laissant le champ libre aux conseillers électoraux gaspillant le budget électoral en de folles prodigalités afin de se trouver une bonne raison de faire mainmise sur la structure électorale et d’influencer les résultats par la nomination de leur crasse-ventre.

Certains membres des conseils électoraux, pour avoir trop longtemps vécu dans la privation de toutes choses et dans des cases infestées de cafards, ayant pris goût au luxe et dans une dynamique d’enrichissement sur le vif afin d’anéantir la misère dans leur vie à jamais, se sont convertis en arnaqueurs électoraux, trafiquants de vote. Cela revient à dire, c’est l’appât du gain qui transforme les élections en pratiquement des marchés électoraux où les clients-candidats viennent marchander les produits-votes du peuple. Ce marché électoral est sans règles et sans principes. Pour un même produit-vote, le commerçant-conseiller électoral peut le vendre à deux clients-candidats en lice. Le candidat le plus offrant part victorieux. Seul en cas de tollé dans la presse le moins offrant est remboursé.

Outre les billets de mille gourdes, face à un candidat populaire savant et digne le candidat impopulaire, ignare et corrompu répond par le bourrage d’urnes, s’impose par les armes en forçant les partisans de son adversaire à bouder les élections tout en s’assurant de remplir des camions d’électeurs acquis à sa cause pour aller voter ou en semant la pagaille dans les centres de vote susceptibles d’exposer au grand jour son impopularité. Les massacres dans les quartiers populeux par les politiques s’inscrivent dans cette logique de défaire la cartographie électorale haïtienne. Ceux qui votent dans ce pays sont ceux qui accumulent toutes les calamités de l’existence dans les ghettos.

C’est ainsi chers lecteurs qu’on détourne les votes du peuple. Et les instigateurs de cet acte font plus de torts à la société haïtienne que les crimes de guerre. À ce propos, des criminels de guerre peuvent exterminer la moitié d’une population mais jamais toute la population par le fait qu’aucune guerre ne dure indéfiniment, tandis qu’une élection truquée facilitant l’arrivée des canailles inaptes au pouvoir peut provoquer la disparition d’un peuple de par leurs décisions politiques. C’est pourquoi, la plus grande bataille à mener : apprendre le peuple à bien voter et surtout faire respecter ses choix.

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