Haïti

Chronique : Balade littéraire dans un étang de barricades

(TripFoumi Enfo) – Le soleil s’est réveillé avec son sourire. Mains dans la poche. Prêt à faire la cour à quiconque tombé sous son charme. On dirait que ce sont des gentlemen avec qui je partageais mon enfance. Sourire avec ses rayons sur quatre pattes. Elles sont déjà débout, les barricades. Quelques-unes faites en fer, en carcasses de voitures, en bois, branches et troncs d’arbres d’acajou et de quenêpier, autres en roches blanches. Pas un chat. Les chiens sont encore endormis. 6 heures du matin sonnait déjà. Chaque pas est une visite dans le tréfond des rues. Je prends ma valise et mon courage à deux bras, après avoir bu une tasse de café chez une “pratik”. Direction Durisy : un étang. Un étang dont on parle toujours. La première barricade ne porte pas son nom sur sa tête. Des tessons de bouteilles éparpillés ça et là donnent à voir une rue déshabillée et piégée par la peur et l’incertitude. J’avance quand même à pas tronqués. Stressé. Mais convaincu.

Je respire mieux, car les vrombissements des moteurs des véhicules ne chantent plus ce matin-là. À une vingtaine de minutes de marche, une deuxième barricade, en roches. Ce n’est nullement pour une construction murale qu’elles (les roches) sont déposées sur la chaussée. Pour dire non à la misère, à l’insécurité, entre autres, je me suis dit. Cette deuxième, encore une fois, ne porte, non plus, pas son nom sur sa tête. À proximité, des hommes au visage suspect. Je m’efforce de traverser, et me voilà à l’autre bout.

Il n’y a pas que les couturiers et les cordonniers qui savent coudre, il y a aussi les barricadiers qui savent comment ficeler les deux côtés d’une rue. Ces gens-là, ce sont de véritables artistes, me suis-je dit. Comme un homme qui vient à peine de s’acheter un terrain en conflit dans les hauteurs de Pétion-ville, une troisième barricade s’est dressée. Faite de bouts de fer et de carcasses de voitures, celle-là happe tout sourire. Un pas devant, deux pas en arrière. Voilà un homme aux jambes arqués qui vient de la traverser. Mais très rapidement. Hésitant, je mets le premier puis le second pied, encore une fois, je suis de l’autre côté de cette barricade, donc j’avance. Merci au bon Dieu ! Une fois là-bas, je dois prier le bon Dieu pour le remercier. Mais, quel bon Dieu ? Me demandé-je. En tout cas, je pense à celui dont on m’a appris l’existence dans le petit catéchisme.

Je suis arrivé, enfin, dans le point de rencontre. C’est une nouvelle aventure littéraire qui s’annonce belle et richissime. Nous voilà au mitan de la gare-routière : André Dissette. Les marchands ambulants ont brillé par leur absence. Le pays est “lòk” effectivement ! Un énième épisode je dis ! Ah bon ! Pour le périple, 13 jeunes, amis et frères littéraires se sont mis en rang comme ces petits écoliers au temps du 18 mai pour fêter le drapeau. On va balader. On va écrire. On va lire ensemble sur les têtes de la montagne qui surplombent la ville. C’est parti.

La route, rocailleuse, en terre battue, mène tout droit vers la 11è section communale. Au pied de la montagne, mon petit cousin Emmanuel Sterlin et moi commençons à discuter sur la situation du pays. On parlait de la politique. On parlait du social. Non loin de nous, un camarade-frère, Brice Kervens, racontait des histoires, certaines sont plus légendaires que d’autres. Au fur et à mesure, l’air devient plus léger, l’atmosphère est plus rassurante, loin des barricades. Un calme retentit dans les arbres. Des oiseaux tournoient dans le ciel. Des feuilles valsées par le vent frais. Récital de textes. Place ! Sous les lèvres, des poèmes d’Antony Phelps, de Jacob Jean Jacques et de Jean Verdin Jeudi (Toli) roulent à flot dans la bouche des aventuriers littéraires.

Chronique : Balade littéraire dans un étang de barricades

Nous sommes arrivés au bord de l’étang Durisy. 10 heures sonnaient. Après une pause pique-nique et de partage, je me dirige vers un petit garçon qui se tient au bord du rivage. Son harpon en main, il tire son crochet fait en clou dans l’eau. ” W ap peche papa ! Lui ai-je lancé. – wi ! Midley, c’est son nom, est jovial et prêt à partager son expérience. Un sourire couronnant ses lèvres laisse entrevoir cette envie de vivre comme tous les autres enfants. “On avait l’habitude de pêcher avec un “Bwa won” dans cet étang, mais il est démoli depuis plusieurs mois”, explique l’adolescent. Une jeune fille a fait son apparition durant notre conversation.

  • Bonjour messieurs !

La fille nous parle.

  • Cet étang peut inonder toute la ville de Petit-Goâve, oui. Men Bon Dye pa t ap kite sa fèt pitit !

Après, nous nous sommes dirigés vers une localité appelée “Alègre”.

Ouvrier de la culture, le poète Jacob Jean Jacques a commencé l’atelier d’écriture avec une lecture actualisante de “Bèbè Bòlgota” de Pierre Michel Chéry. Après, place à la méditation. S’imposer en tant qu’audienceur n’était pas chose facile. Nous devons choisir une thématique. Je pense à la migration. Mais, comment vivre une telle expérience loin d’une jeune passionnée de lecture et d’écriture, morte noyée en mer portoricaine ? Hm ! Mais, la phase d’écriture est arrivée. J’écris un poème. Un poème sur la situation actuelle du pays.

Écrire entre les barricades. Écrire au bord de la mer. Écrire dans les montagnes. Peu importe le lieu où l’on écrit, l’acte reste une marque existentielle. L’écrivain est toujours témoin de son temps, mais aussi de son lieu d’énonciation. Bref, Il se faisait tard. Nous avions terminé nos rédactions puis leurs présentations. Après, de belles jeunes filles nous ont servi un plat de bananes et de “pwa fri kase”. On redémarre. Les nuages s’émincent… sur nos têtes et le soleil plie ses yeux et écarte ses jambes pour se coucher, car, il fait signe de sommeil. Douleur musculaire. Moi, je perds mes jambes. Les autres aventuriers aussi. La route est fatigante. Par la grâce du bon Dieu, je suis arrivé chez moi avec un poème dans ma main…

Adblock Detected

Please consider supporting us by disabling your ad blocker