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Pas tout à fait de la critique littéraire en Haïti

« Ne donner à une œuvre que l’éclairage qui provient d’elle-même. », Walter Benjamin

Nous sommes en octobre 2023, il n’y aura pas de rentrée littéraire. Mais, les textes sortiront comme on vomit et les critiques vont envahir le macadam. Un sit-in d’éloges et de propagandes dehors ? Le livre de mon ami est mauvais, mais je dois faire silence. « Coup dur », « Dur coup » pour la littérature ? Pourquoi fait-on fi de « l’étymon spirituel » (Spitzer) des textes, c’est-à-dire le moyen de reconstituer l’unité d’une œuvre, son principe de cohérence, juste pour faire plaisir à l’autre ? Qu’est-ce qui explique qu’en Haïti tout le monde écrit de grandes œuvres grâce à la critique ? Le réseau ? Oui, en quelque sorte.

La critique littéraire est aussi un sens. Un sens qui vise le décryptage total d’une œuvre littéraire. Un processus d’interprétation, de comparaison, d’explication et de distinction. Pourtant, il faut dire « qu’il n’y a pas moindres de bonne critique, c’est-à-dire impitoyable » (Mbougar Sarr, la plus secrète mémoire des hommes, 2021, Éditions Philippe Rey), depuis un bout de temps en Haïti. On est tout bonnement (panier de regrets) confrontés à des gens de plumes (journaliste, poète, écrivain, dramaturge,) qui font des réflexes pas trop en bonne santé sur les œuvres où la vraisemblance, c’est-à-dire l’idée que le public se fait du vrai ou du possible, ne leur donne du temps pour mettre mots sur le nouveau livre de leurs proches. Pas mal de tentatives réfléchies quelques fois qui font bond qu’en présentant le livre avec des douces formules ô combien élogieuses ; « un premier roman touchant », « un roman à lire absolument », « une promesse pour la littérature haitienne » (toujours des promesses non tenues), « le premier roman de X ou Y : un coup de maitre » (le maitre peut être n’importe qui, surtout), « un récit à fleur de peau », « un premier recueil touchant pour x ou y », « a ou b : est un poète mature »…Vous pouvez à votre gré compléter la liste, elle n’est pas prête d’être close. Est-ce une critique traditionnelle sur des textes traditionnels ? Ce sont des propos plats sur des œuvres plates ? Est-ce de la critique ou discours sur les œuvres ?

Plus loin, la critique peut quelque chose, la littérature aussi. Elles se transforment aujourd’hui. Mais, il y a un temps où la littérature ne peut rien, c’est toujours quand la critique est faible, comme c’est le cas en Haïti. Elles marchent ensemble. Elles sont des sœurs siamoises. La critique ne peut rien pour l’œuvre, quelque part si toutefois l’œuvre ne peut rien pour elle-même. Des textes comme Ultravocal, Gouverneurs de la Rosèe, La Nouvelle Jeunesse, ont cette auto-défense littéraire. Ils n’ont pas besoin de la critique pour faire voir leurs immensités. Et, la critique ne peut pas tout le temps accompagner l’œuvre. Le temps est là. Je le répète, le vrai critique est l’éternité. Halte-là ! En Haïti, la critique littéraire peut tout sauf critiquer.

La littérature est clairement à la critique ce que la nature est à la physique. Un ordre dont la cohérence est à retrouver graduellement par les analyses. C’est à celle-ci, par contre, qu’il s’impose d’être intelligible, non à la littérature. Ici, c’est dans une immense marelle que saute l’avenir de la littérature haitienne. Ce ne sont que des critiques resautés qui blablatèrent sur les œuvres (on a tous notre ordi, on peut faire n’importe quoi avec), ne dépensant aucune énergie pour saisir et faire comprendre tout le matériau d’un texte : forme-sens (Adorno, 1976) et langue. Ou encore pour saisir « l’intention du texte » (Umberto Eco, de la littérature). Chers amis, encore des efforts pour être critique. Pour critiquer. Il est une insolence grave de dire n’importe quoi sur le texte d’un auteur qui met toute son âme dans sa vie de créateur. La lecture des œuvres nous demande de la fidélité et du respect dans la course libre de l’interprétation. Cette hérésie critique dérange.

En Haïti, s’il suffit de feuilleter un livre pour en faire une critique. Ce n’est pas grave. C’est plutôt une question d’une ferme volonté de plaire à « la bande » et au « clan ». Ou c’est peut-être la crise qui attaque la pensée. On dénigre l’œuvre parce que ce n’est pas celle de son pote (demander à Makenzy Orcel). On fait le contraire si c’est le contraire. Or, la critique = un travail d’un libre esprit qui réagit librement aux sollicitations occasionnelles que le texte lui fournit, où « l’imagination matérielle » doit être, avant toute chose, prise en compte. Un exercice d’interprétations, similitudes entre les œuvres, d’en/quête révélatrice. Elle est aussi « une prise […], une façon quasi corporelle de saisir le texte, de le délier et de le relier en soi, mais aussi d’être saisi, traversé par lui ».

Il nous manque une critique où le jugement esthétique impartial et objectif règne. Les critiques ont besoin d’une certaine honnêteté intellectuelle et ouverture d’esprit. Ils doivent des gens qui lisent et relisent. Je me souviens, étant rédacteur dans un journal, que le correcteur m’a envoyé un texto de ce genre, un après-midi : « Bonsoir Kerby, ça va ? Fais-moi une critique de ce recueil de poèmes, et envoie-la moi demain matin. » Je n’ai pas répondu au message. Ai-je bien fait ?

De quelle critique avons-nous besoin ?

Une critique sévère est urgente. Pour freiner les œuvres plates. Pour guérir notre littérature. Ceux qui se revendiquent « critiques littéraires » blessent la littérature haïtienne. La république des pousseurs, c’est-à-dire les critiques qui se rangent en clan pour dire ceux qu’ils veulent sur les œuvres des autres, méritent la prison. Du terrorisme silencieux ? L’idée bête c’est qu’on ne peut dire que l’œuvre du grand écrivain ou de mon ami dramaturge qui vient de sortir dans sa résidence d’écriture en France ou en Belgique, est mal écrite (ce serait une insolence). Et ceux qui critiquent sont tous les amis des grands écrivains, des dramaturges et des poètes. L’amitié est pour beaucoup, ici.

Bref, c’est une vilaine et honteuse pratique. Cache-misère de l’inculture ? Peut-être, camouflage, hypocrisie ? Un crime irrémissible, parce qu’elle bouche le chemin par où la vraie critique pourrait passer. Ce qu’on nomme « critique littéraire » là-bas, est prostitution ici ? Depuis des temps, nombreux sont des textes qui n’ont eu droit à la bonne critique mais plutôt de poussade. Grave ! S’il faut bien donner un nom à ce qui n’a pas de nom, j’appelle ces gens-là des « pusher ou booster-critic ». Triste constat : pas tout à fait de la critique. Nous n’avons pas besoin de booster l’œuvre pour qu’elle soit vue ou considérée sérieusement. #somebullshits. Une œuvre n’a pas besoin de critique pour assurer sa survie, c’est-à-dire pour traverser les siècles. Nous devons laisser parler les œuvres //critiques blasés. La seule vraie critique littéraire, pour ma part de sot, est l’éternité. Halte-là…!

Vilma Kerby
[email protected]

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